La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 2 juin 2016, un arrêt fondamental relatif à l’exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée. Cette décision précise les conditions dans lesquelles un manquement aux obligations douanières entraîne, ou non, la naissance d’une dette fiscale à l’importation.
Dans la première affaire, un gestionnaire d’entrepôt douanier a inscrit tardivement des sorties de marchandises dans sa comptabilité matières avant leur réexportation effective. Dans la seconde espèce, un transporteur a omis de présenter des biens au bureau de douane de sortie lors d’une procédure de transit externe vers un pays tiers. Les autorités douanières allemandes ont alors réclamé le paiement des droits de douane et de la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement d’un manquement procédural. Le tribunal des finances de Hambourg a saisi la juridiction européenne afin de savoir si la taxe est due pour des marchandises ayant quitté le territoire.
Les redevables soutenaient que l’absence d’intégration des marchandises dans le circuit économique de l’Union européenne faisait obstacle au prélèvement de la taxe. L’administration considérait au contraire que la naissance d’une dette douanière entraînait automatiquement celle de la taxe sur la valeur ajoutée par un effet de renvoi législatif. La juridiction européenne affirme que la taxe n’est pas due dès lors que les marchandises n’ont pas été consommées sur le territoire intérieur. Elle précise également que les mécanismes de remboursement propres au code des douanes ne sont pas applicables à la taxe sur la valeur ajoutée.
I. L’exigence d’une importation effective pour le déclenchement de la taxe
A. La subordination de la taxe à l’entrée dans le circuit économique
La taxe sur la valeur ajoutée constitue un impôt sur la consommation qui frappe les biens introduits dans le circuit économique de l’Union européenne. La Cour souligne que l’importation est effectuée dans l’État membre sur le territoire duquel le bien sort des régimes suspensifs prévus par la directive. Pour les juges européens, « une dette de TVA pourrait s’ajouter à la dette douanière si le comportement illicite qui a engendré cette dette permettait de présumer que les marchandises concernées sont entrées dans le circuit économique ». En l’espèce, les marchandises étaient couvertes par un régime d’entrepôt ou de transit jusqu’à leur réexportation physique hors du territoire douanier.
L’absence de risque de consommation sur le marché intérieur interdit donc de qualifier l’opération d’importation au sens de la législation fiscale européenne. La décision rappelle que le fait générateur de la taxe suppose une sortie matérielle du régime suspensif accompagnée d’une mise à disposition économique. Les marchandises n’ayant pas quitté le régime douanier avant leur réexportation, elles ne sauraient être considérées comme ayant fait l’objet d’une importation taxable. Cette approche privilégie la réalité économique de l’opération sur la qualification purement juridique résultant du manquement aux obligations douanières.
B. L’insuffisance du manquement procédural douanier comme fait générateur
Le droit douanier prévoit la naissance d’une dette pour l’inexécution d’une obligation, même si la marchandise est réexportée ultérieurement hors de l’Union. La Cour confirme que l’omission d’une inscription comptable « fait naître une dette douanière pour cette marchandise au titre de l’article 204, paragraphe 1, sous a), du code des douanes ». Toutefois, cette fiction juridique propre aux droits de douane ne se transpose pas automatiquement au domaine de la taxe sur la valeur ajoutée. Le manquement aux règles de l’entrepôt douanier ou du transit ne suffit pas à caractériser une consommation effective ou potentielle.
Les juges rejettent ainsi l’argument d’une automaticité entre la naissance de la dette douanière et celle de la créance fiscale de l’État. Dès lors que les biens sont restés sous surveillance jusqu’à leur départ, le comportement illicite ne permet pas de présumer une intégration économique. La solution garantit la neutralité de la taxe pour des opérations qui n’aboutissent à aucune consommation finale sur le territoire de l’Union. Le manquement procédural demeure sanctionné par les droits de douane sans pour autant générer une charge fiscale indue.
II. L’étanchéité des régimes de recouvrement des impositions
A. La distinction organique entre droits de douane et taxe sur la valeur ajoutée
La décision met en exergue l’autonomie conceptuelle de la taxe sur la valeur ajoutée par rapport aux droits de douane proprement dits. La Cour rappelle que « les droits à l’importation n’incluent pas la TVA à percevoir pour l’importation de biens » selon une jurisprudence constante. Bien que le recouvrement soit souvent lié, la nature juridique de ces deux prélèvements demeure fondamentalement distincte dans l’ordre juridique européen. Cette distinction interdit une application extensive des concepts douaniers aux mécanismes de la taxe sans une base textuelle explicite et précise.
L’identité du redevable de la taxe ne peut être recherchée que si le fait générateur de l’importation est préalablement et valablement caractérisé. Puisque les marchandises n’ont pas été introduites sur le marché, la question de la qualité de la personne devant acquitter la taxe devient superfétatoire. La Cour refuse ainsi de lier le sort du transporteur ou de l’entreposeur à une obligation fiscale dont le fondement même fait défaut. L’indépendance des régimes assure que la taxe ne soit pas détournée de sa fonction de prélèvement sur la consommation finale.
B. L’éviction des mécanismes de remboursement du code des douanes
L’arrêt précise les limites de l’application par analogie des règles douanières en matière de restitution des sommes indûment versées par les opérateurs. L’article 236 du code des douanes permet le remboursement des droits qui n’étaient pas légalement dus au moment du paiement effectif. La Cour juge que cette disposition « ne saurait inclure le remboursement de la TVA » car celle-ci ne constitue pas un droit à l’importation. Les procédures de remboursement de la taxe doivent donc suivre les voies de droit spécifiques prévues par les directives fiscales européennes.
Cette interprétation restrictive protège la cohérence du système commun de taxe sur la valeur ajoutée en évitant des interférences avec les règles douanières. L’inexistence d’un redevable pour des marchandises réexportées rend la perception de la taxe illégale dès l’origine dans les circonstances de l’espèce. Le juge national doit donc assurer la restitution des montants perçus en se fondant sur les principes généraux du droit de l’Union. La solution consacre ainsi une séparation hermétique entre les procédures de régularisation douanière et les mécanismes de rectification fiscale.