Cour de justice de l’Union européenne, le 2 juin 2022, n°C-587/20

Par un arrêt du 2 juin 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le champ d’application de la directive 2000/78/CE relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. La question portait sur la compatibilité d’une clause statutaire d’une organisation de travailleurs avec le principe de non-discrimination fondée sur l’âge.

En l’espèce, une personne, présidente d’une fédération syndicale depuis 1993, n’a pu se représenter à sa propre succession en 2011 en raison d’une disposition statutaire. Cette disposition fixait à soixante ans, ou soixante et un ans dans certains cas, l’âge maximal pour être éligible à la fonction de président. Ayant atteint l’âge de soixante-trois ans, sa candidature était donc exclue.

L’intéressée a saisi la commission nationale pour l’égalité de traitement, qui a jugé la disposition statutaire contraire au droit de la non-discrimination et a ordonné le versement d’une indemnité. Face au refus d’exécution de l’organisation syndicale, la commission a porté l’affaire devant les juridictions nationales. La cour d’appel de la région Est du Danemark, saisie du litige, a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur le point de savoir si une telle situation relevait du champ d’application de la directive 2000/78/CE.

Le problème de droit soulevé était donc de déterminer si une limite d’âge statutaire pour l’élection à la présidence d’une organisation de travailleurs entre dans le champ d’application de la directive 2000/78/CE, et plus spécifiquement de son article 3, paragraphe 1, qui définit les conditions d’accès à l’emploi et l’engagement dans de telles organisations.

La Cour de justice de l’Union européenne répond par l’affirmative. Elle juge qu’une telle limite d’âge « relève du champ d’application de cette directive ». La solution repose sur une interprétation large des notions d’emploi et de travail, qui consacre une conception extensive du champ d’application du droit de la non-discrimination (I), et aboutit à une conciliation des droits fondamentaux en faveur de l’égalité de traitement (II).

***

I. L’affirmation d’une conception extensive du champ d’application du droit de la non-discrimination

La Cour de justice étend le bénéfice de la protection offerte par la directive 2000/78/CE au-delà du cadre strict du salariat. Elle y parvient en dépassant la notion traditionnelle de travailleur (A) et en écartant la spécificité du mandat politique comme un possible critère d’exclusion (B).

A. Le dépassement de la notion traditionnelle de travailleur

La Cour rappelle que les termes d’une disposition du droit de l’Union, en l’absence de renvoi aux droits nationaux, doivent recevoir une interprétation autonome et uniforme. Pour définir le périmètre de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive, elle procède à une analyse téléologique et littérale. Elle estime que « l’utilisation conjointe des termes “emploi”, “activités non salariées” et “travail” » démontre une volonté de couvrir toute forme d’activité professionnelle.

Le législateur de l’Union n’a donc pas entendu limiter la protection aux seuls « travailleurs » au sens de l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, c’est-à-dire aux personnes accomplissant une prestation sous la direction d’une autre en contrepartie d’une rémunération. La finalité de la directive, qui est de « lutter contre la discrimination […] en ce qui concerne “l’emploi et le travail” », justifie une interprétation large. Le poste de président d’une organisation syndicale, exercé à temps plein et donnant lieu à une rémunération mensuelle, constitue bien une activité professionnelle réelle et effective. Cette approche fonctionnelle permet d’inclure des situations qui échapperaient à une analyse purement formelle du lien de subordination.

B. Le rejet de la nature politique du mandat comme critère d’exclusion

L’organisation syndicale soutenait que la nature politique du mandat de président, pourvu par élection, justifiait une exclusion du champ d’application de la directive. La Cour rejette cet argument de manière catégorique. Elle souligne que la directive ne prévoit aucune exception pour les postes dont le titulaire est élu.

La méthode de recrutement, qu’il s’agisse d’une élection ou d’une embauche classique, est indifférente. De plus, la Cour note que « des postes de nature politique » ne sont pas exclus du champ d’application de la directive, laquelle s’applique « tant au secteur privé qu’au secteur public ». Les seules exclusions possibles, comme celles visant les forces armées, sont expressément prévues par le texte. L’objectif de la directive, qui est de garantir une protection efficace contre les discriminations, serait compromis si son application dépendait de la nature politique ou non des fonctions exercées. Le caractère électif d’un mandat ne saurait donc constituer un motif permettant de déroger au principe fondamental de non-discrimination.

***

II. La conciliation des droits fondamentaux en faveur de l’égalité de traitement

La solution retenue par la Cour de justice l’oblige à mettre en balance le principe de non-discrimination avec la liberté d’association. Elle opère cette conciliation en affirmant la primauté du premier sur la seconde dans ce contexte (A), ce qui conduit à une extension significative de la protection contre les discriminations au sein même des organisations de travailleurs (B).

A. La primauté du principe de non-discrimination sur la liberté d’association

L’une des organisations intervenantes invoquait la liberté syndicale, garantie par l’article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail. Ce droit inclut la faculté pour les organisations de travailleurs d’élire librement leurs représentants. La Cour reconnaît cette liberté mais rappelle qu’elle n’est pas absolue.

Conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, des limitations peuvent être apportées à l’exercice des droits et libertés, pourvu qu’elles soient prévues par la loi, respectent le contenu essentiel de ces droits et libertés, et soient nécessaires et proportionnées. La Cour considère que les limitations découlant de la directive 2000/78/CE remplissent ces conditions. Elles sont prévues par la loi, poursuivent des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union et sont nécessaires pour « garantir les droits en matière d’emploi et de travail dont disposent les personnes ». L’interdiction des discriminations constitue ainsi une restriction légitime à l’autonomie des organisations syndicales, conciliant la liberté d’association avec la protection d’un autre droit fondamental.

B. L’extension de la protection contre les discriminations au sein des organisations de travailleurs

En appliquant la directive aux conditions d’éligibilité à la présidence d’une fédération syndicale, la Cour étend la portée de la protection contre les discriminations. Elle ne se fonde pas seulement sur l’article 3, paragraphe 1, sous a), relatif à l’accès au travail, mais également sur le sous d), relatif à « l’affiliation à, et l’engagement dans, une organisation de travailleurs ».

La Cour estime que présenter sa candidature et exercer la fonction de président constitue une modalité d’« engagement » au sens de cette disposition. Cet engagement ne se limite donc pas à la simple adhésion, mais couvre également la participation active à la vie et à la direction de l’organisation. Cette interprétation est cohérente avec l’objectif de la directive qui est d’établir un « cadre général pour lutter contre des discriminations ». La décision renforce ainsi le contrôle sur les statuts des personnes morales de droit privé, dès lors que ceux-ci régissent l’accès à une activité professionnelle ou les modalités de l’engagement de leurs membres, assurant une application effective du principe d’égalité de traitement.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture