La Grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 2 mai 2018, une décision majeure sur l’encadrement des sanctions fiscales. Le juge européen s’interroge sur la conformité de seuils d’incrimination pénale différenciés entre la taxe sur la valeur ajoutée et les impôts sur le revenu. Dans cette affaire, un administrateur n’a pas versé le montant de taxe résultant de la déclaration annuelle de sa société pour l’exercice fiscal deux mille douze. L’administration fiscale a notifié cette irrégularité et a infligé une amende administrative correspondant à trente pour cent de la dette ainsi que des intérêts. Le procureur de la République a saisi le Tribunal de Varèse le 29 mai 2015 afin d’obtenir le prononcé d’une condamnation à une amende pénale. Le prévenu invoque toutefois l’application rétroactive d’une loi plus douce ayant relevé le seuil de poursuite pénale à deux cent cinquante mille euros. Le Tribunal de Varèse, par une décision du 30 octobre 2015, sursoit à statuer pour interroger la Cour sur la protection des intérêts financiers. La juridiction nationale demande si le droit de l’Union permet de fixer des seuils d’incrimination plus élevés pour les taxes européennes que pour l’impôt direct. La Cour énonce que les traités ne s’opposent pas à une telle disparité législative dès lors que les sanctions administratives conservent un caractère effectif.
I. La qualification restrictive de l’atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne
A. L’exclusion de la notion de fraude au sens de la convention PIF
La Cour souligne que le défaut de paiement d’une taxe préalablement déclarée ne peut être assimilé à une manœuvre frauduleuse classique. Le juge européen précise que l’assujetti a dûment rempli ses obligations déclaratives et que l’administration dispose ainsi des données pour constater la créance. Cette situation se distingue des actes intentionnels visant à présenter des documents faux pour diminuer illégalement les ressources du budget général de l’Union. Le juge en conclut qu’une « telle omission de versement de cette taxe ne constitue pas une fraude au sens de l’article 325 TFUE ». L’absence de dissimulation écarte donc l’application automatique des sanctions pénales impératives prévues par les textes relatifs à la protection des intérêts financiers.
B. L’assimilation du défaut de versement à une activité illégale résiduelle
Le manquement à l’obligation de paiement demeure un comportement contraire aux prescriptions du droit européen, même en l’absence de fraude fiscale déclarative. Le juge considère que ces omissions « constituent des activités illégales de nature à porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union » au sens des traités. Cette interprétation large permet d’inclure tout agissement privant le Trésor public de ses liquidités au détriment du budget commun des États membres. La Cour refuse une lecture restrictive qui limiterait ces activités illégales aux seuls agissements de même gravité que la fraude fiscale internationale. Dès lors, les États membres doivent prévoir des sanctions efficaces pour réprimer ces retards de paiement, tout en conservant une marge de manœuvre institutionnelle.
II. La reconnaissance de la liberté des États membres dans le choix des sanctions
A. Le maintien du caractère effectif des sanctions administratives nationales
La protection des intérêts financiers n’impose pas systématiquement le recours au droit pénal pour punir les manquements ne résultant pas d’une fraude. Les États membres conservent une « liberté de choix des sanctions applicables » tant que celles-ci présentent un caractère réellement effectif et dissuasif. En l’espèce, la législation nationale prévoit des amendes administratives s’élevant à trente pour cent du montant impayé ainsi que des intérêts de retard. Le juge estime que de telles sanctions sont de nature à amener les assujettis à renoncer à toute velléité de retarder leur versement. Ainsi, le principe d’effectivité ne s’oppose pas à la fixation d’un seuil de déclenchement des poursuites pénales élevé pour cette catégorie d’infraction.
B. Le respect du principe d’équivalence malgré la disparité des seuils d’incrimination
Le droit de l’Union exige que les violations du droit européen soient sanctionnées de manière analogue aux infractions nationales d’une importance similaire. Le juge européen examine si l’omission de verser la taxe sur la valeur ajoutée est comparable au défaut de reversement des retenues salariales. Il relève que ces deux infractions « se distinguent tant par leurs éléments constitutifs que par la difficulté à les découvrir » par l’administration. Le tiers payeur agissant pour l’impôt sur le revenu délivre une certification qui rend son manquement plus difficile à détecter pour le fisc. Par conséquent, le principe d’équivalence ne commande pas l’application d’un seuil d’incrimination identique pour ces deux catégories d’impositions aux mécanismes techniques distincts.