La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 2 mars 2023, un arrêt précisant l’articulation entre les monopoles nationaux et le droit du marché de l’électricité. Cette décision répond à une demande de décision préjudicielle formulée par la Cour d’appel de Bucarest le 3 juin 2021 dans un litige relatif à l’octroi de licences. Une entité privée s’était vu refuser une autorisation pour organiser des marchés centralisés de l’électricité en raison d’une législation nationale consacrant une exclusivité publique. Les juges de Luxembourg devaient déterminer si les règlements européens sur le marché intérieur de l’électricité interdisent le maintien d’un tel monopole légal.
Le requérant soutenait que la libre concurrence imposait la suppression de toute structure monopolistique pour les opérateurs de marché. L’autorité de régulation nationale invoquait la préservation d’un modèle établi pour les services d’échange journaliers et infrajournaliers. La Cour d’appel de Bucarest a donc interrogé la juridiction européenne sur la validité de cette restriction au regard des principes de libre concurrence. La Cour de justice juge que le droit de l’Union ne s’oppose pas au maintien d’un monopole préexistant pour les marchés de gros journaliers. Pour les marchés à terme, elle renvoie à l’appréciation du droit primaire tout en soulignant les limites liées aux situations purement internes.
**I. La validation du monopole légal sur les marchés de l’électricité à court terme**
**A. Le maintien des structures monopolistiques préexistantes**
L’arrêt consacre la licéité des monopoles nationaux sur les segments journaliers et infrajournaliers lorsqu’ils sont fondés sur des dispositions législatives antérieures précises. La Cour souligne que l’article 5 du règlement 2015/1222 permet explicitement de refuser la désignation de plusieurs opérateurs désignés du marché de l’électricité. Elle rappelle qu’un « monopole national légal est réputé exister lorsque la législation nationale prévoit expressément qu’une seule entité […] peut assurer des services d’échange journaliers et infrajournaliers ». Cette disposition préserve la stabilité des structures de marché nationales déjà établies lors de l’entrée en vigueur de la réglementation européenne. La reconnaissance de cette exclusivité dépend uniquement de la notification préalable à la Commission européenne dans les délais impartis par le texte. Le juge européen valide ainsi une exception notable au principe de mise en concurrence directe des prestataires de services d’intermédiation.
**B. La compatibilité avec les objectifs du marché intérieur**
Le règlement 2019/943 fixe les principes fondamentaux des marchés de l’électricité sans imposer une structure concurrentielle absolue pour les opérateurs de bourse. La Cour observe qu’aucune disposition « ne prévoit de règle concernant les échanges sur ces marchés qui soit susceptible d’être interprétée […] comme s’opposant […] au maintien d’un monopole ». Bien que le texte mentionne les bourses de l’électricité au pluriel, cette formulation n’établit pas une interdiction générale de l’exclusivité. Les objectifs d’intégration et de transparence du marché de gros peuvent s’accommoder d’un opérateur unique si celui-ci respecte les règles techniques. L’absence d’harmonisation exhaustive sur l’organisation institutionnelle des bourses laisse aux États membres une marge de manœuvre substantielle pour structurer leur marché. La solution assure une transition progressive vers une ouverture totale tout en évitant une fragmentation immédiate des liquidités nationales.
**II. L’appréciation de l’exclusivité des marchés à terme au regard du droit primaire**
**A. Le recours subsidiaire aux libertés de circulation**
Pour le marché de gros à terme, le droit dérivé ne prévoit pas de dérogation explicite comparable à celle régissant les échanges journaliers. La Cour estime donc qu’une « réglementation nationale […] doit, en principe, être appréciée au regard des dispositions pertinentes du droit primaire ». Ce glissement vers le droit primaire s’explique par l’absence d’harmonisation complète des services d’intermédiation pour les produits de couverture à long terme. L’exclusivité accordée à un seul opérateur constitue potentiellement une restriction à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services. Une telle mesure doit alors être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et respecter le principe de proportionnalité. Le juge national est invité à vérifier si l’objectif poursuivi par l’État justifie une atteinte aux libertés fondamentales du traité.
**B. L’obstacle procédural de la situation purement interne**
L’application effective du droit primaire se heurte toutefois à l’absence d’élément transfrontalier caractérisé dans les faits soumis à la juridiction de renvoi. La Cour rappelle fermement que les libertés fondamentales « ne trouvent, en principe, pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre ». La demande de décision préjudicielle ne contenait aucun indice certain permettant d’établir un lien de rattachement avec le commerce entre États membres. En conséquence, la juridiction européenne refuse d’interpréter les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette irrecevabilité souligne l’importance pour les juges nationaux de démontrer l’intérêt des opérateurs étrangers pour le marché national concerné. La portée de l’arrêt reste ainsi limitée par le cadre factuel étroit d’un litige opposant exclusivement des acteurs nationaux.