Par un arrêt en date du 2 mars 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le cadre juridique applicable à la publicité pour les jeux de hasard au regard de la libre prestation des services. En l’espèce, trois sociétés exploitant des établissements de jeux de hasard aux Pays-Bas se sont vues infliger des amendes administratives par l’autorité belge compétente. Il leur était reproché d’avoir fait la promotion de leurs activités sur le territoire belge, en violation d’une législation nationale. La loi belge interdit en principe la publicité pour de tels établissements, mais prévoit une dérogation de plein droit pour les opérateurs titulaires d’une licence nationale. Or, cette licence ne peut être octroyée qu’à des établissements situés sur le sol belge, excluant de fait les opérateurs établis dans d’autres États membres. Saisies d’un recours contre ces sanctions, les requérantes au principal ont soutenu que cette exclusion constituait une restriction injustifiée à l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Confronté à cette argumentation, le tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles a saisi la Cour d’une question préjudicielle.
Il s’agissait de déterminer si la libre prestation des services s’oppose à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant une interdiction générale de publicité pour les jeux de hasard, réserve une dérogation automatique aux seuls opérateurs établis sur son territoire, excluant de fait toute possibilité similaire pour les opérateurs établis dans d’autres États membres. La Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge qu’un tel régime, qui instaure une différence de traitement fondée sur le lieu d’établissement, constitue une restriction discriminatoire à la libre prestation des services, laquelle ne saurait être justifiée par les objectifs d’intérêt général invoqués.
Il convient d’analyser la manière dont la Cour a identifié l’existence d’une restriction discriminatoire (I), avant d’examiner les raisons pour lesquelles une telle mesure ne pouvait être justifiée au regard des principes du droit de l’Union (II).
I. L’identification d’une restriction discriminatoire à la libre prestation de services
La Cour qualifie la législation en cause de restriction à la libre prestation de services (A) avant de souligner son caractère spécifiquement discriminatoire (B).
A. La confirmation d’une entrave à la libre prestation de services
La Cour rappelle d’abord que l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne « exige la suppression de toute restriction à la libre prestation des services, même si cette restriction s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre ». En l’espèce, la législation belge interdit de faire de la publicité en Belgique pour tout établissement de jeux de hasard ne disposant pas d’une licence délivrée par l’autorité nationale. Comme cette licence est réservée aux seuls établissements situés sur le territoire belge, cette mesure a pour effet direct d’interdire la publicité de tous les opérateurs situés dans les autres États membres.
Conformément à une jurisprudence constante, la Cour confirme qu’une telle réglementation « constitue une restriction à la libre prestation des services ». En empêchant les opérateurs étrangers de promouvoir leurs services auprès des consommateurs belges, la mesure litigieuse entrave leur accès au marché et bénéficie de fait aux opérateurs nationaux, seuls autorisés à communiquer commercialement. La Cour s’inscrit ainsi dans la continuité de ses décisions antérieures, pour lesquelles l’interdiction de la publicité constitue un obstacle manifeste à la liberté économique fondamentale garantie par le traité.
B. La caractérisation du caractère discriminatoire de la mesure
Au-delà de la simple restriction, la Cour insiste sur le caractère discriminatoire de la mesure belge. La législation nationale ne se contente pas de réguler la publicité ; elle instaure une différence de traitement explicite fondée sur le lieu d’établissement de l’opérateur. Les établissements situés en Belgique peuvent obtenir une licence qui leur ouvre de plein droit une dérogation à l’interdiction de publicité. En revanche, les établissements situés dans d’autres États membres sont, par construction, privés de cette possibilité.
La Cour relève que « la restriction en cause au principal, à savoir l’impossibilité totale, pour un établissement de jeux de hasard situé dans un autre État membre, d’obtenir une autorisation pour faire en Belgique de la publicité découle essentiellement du fait que cet établissement est établi en dehors du territoire belge ». Une telle distinction, directement fondée sur la localisation géographique de l’opérateur au sein de l’Union, constitue une discrimination en raison du lieu d’établissement, prohibée par le traité. Le raisonnement met en lumière le fait que le régime de licence n’est pas fondé sur des critères objectifs et non discriminatoires accessibles à tous, mais sur une condition territoriale qui exclut a priori les prestataires étrangers.
Une fois le caractère discriminatoire de la mesure établi, la question de sa justification devenait centrale. La Cour a toutefois fermement écarté cette possibilité.
II. L’injustification de la restriction en raison de son caractère disproportionné
La Cour examine les justifications avancées par l’État membre et les rejette, d’abord en raison de leur nature (A), puis en raison du caractère disproportionné de la mesure (B).
A. Le rejet des justifications fondées sur l’intérêt général
L’État belge invoquait plusieurs objectifs pour justifier sa législation, notamment « la protection du joueur, la transparence financière et le contrôle des flux d’argent, le contrôle du jeu ainsi que l’identification et le contrôle des organisateurs ». Ces objectifs relèvent de ce que la jurisprudence qualifie de « raisons impérieuses d’intérêt général ». Cependant, la Cour rappelle une distinction fondamentale : si de telles raisons peuvent justifier des mesures restrinctives appliquées indistinctement, elles « ne sauraient […] être invoquées pour justifier une restriction à la libre prestation de services ayant un caractère discriminatoire ».
Seules les raisons expressément prévues à l’article 52 du traité, à savoir l’ordre public, la sécurité publique et la santé publique, peuvent justifier une mesure discriminatoire. En l’espèce, les arguments de l’État belge, centrés sur la protection des consommateurs et la lutte contre la fraude, ne relevaient pas de ces catégories. Ce faisant, la Cour applique une grille d’analyse rigoureuse qui limite drastiquement la marge de manœuvre des États membres lorsqu’ils adoptent des mesures qui traitent différemment les opérateurs nationaux et ceux des autres États membres.
B. L’examen subsidiaire de la proportionnalité de la mesure
À titre subsidiaire, et même en admettant que la lutte contre l’addiction au jeu puisse relever de la protection de la santé publique au sens de l’article 52, la Cour examine si la mesure est proportionnée à l’objectif poursuivi. Pour être autorisée, une restriction discriminatoire doit constituer « une condition indispensable pour atteindre l’objectif poursuivi ». Or, la Cour juge que l’interdiction totale et absolue de publicité pour les opérateurs étrangers dépasse manifestement ce qui est nécessaire.
Elle souligne qu’il existe des mesures moins restrictives pour atteindre les buts légitimes invoqués. Elle suggère notamment un mécanisme qui permettrait d’autoriser la publicité pour des établissements étrangers, « à la condition que les dispositions légales adoptées et contrôlées dans cet autre État membre apportent des garanties en substance équivalentes à celles des dispositions légales correspondantes en vigueur dans l’État membre concerné ». En prônant une approche fondée sur la reconnaissance mutuelle des systèmes de contrôle, la Cour invalide le choix d’une interdiction générale qui présume, de manière irréfragable, que les opérateurs étrangers présentent un risque supérieur à celui des opérateurs nationaux. Le caractère systématique et non individualisé de l’exclusion rend la mesure belge disproportionnée, et donc incompatible avec le droit de l’Union.