Cour de justice de l’Union européenne, le 2 mars 2023, n°C-760/21

Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne précise les critères de distinction entre les médicaments, les denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales et les compléments alimentaires. En l’espèce, une société commercialisait un produit destiné à des patients souffrant de troubles spécifiques. Une autorité nationale de santé a remis en cause la classification de ce produit en tant que denrée alimentaire, estimant qu’il devait être qualifié de médicament par fonction en raison de son action sur l’organisme. La société a contesté cette décision devant une juridiction nationale, arguant que son produit répondait aux besoins nutritionnels particuliers de ses utilisateurs. Saisie du litige, la juridiction nationale a sursis à statuer et a adressé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Elle cherchait à obtenir une interprétation claire des dispositions du droit de l’Union, notamment de la directive 2001/83/CE relative aux médicaments et du règlement (UE) n° 609/2013 concernant les denrées alimentaires destinées à des groupes spécifiques. La question fondamentale posée à la Cour était de savoir quels sont les critères déterminants pour qualifier un produit de « médicament », de « denrée alimentaire destinée à des fins médicales spéciales » ou de « complément alimentaire », lorsque ce produit se situe à la frontière de ces catégories. En réponse, la Cour énonce que la distinction repose principalement sur la finalité du produit, qu’il convient d’apprécier au cas par cas en fonction de ses caractéristiques objectives. Elle clarifie également les conditions propres à la qualification de denrée alimentaire destinée à des fins médicales spéciales, notamment la nature des besoins nutritionnels, la notion de modification du régime alimentaire normal et l’exigence d’une utilisation sous contrôle médical. La Cour, par cette décision, offre ainsi une grille d’analyse détaillée visant à clarifier la qualification de ces produits (I), consolidant par là même l’étanchéité des régimes juridiques qui leur sont applicables (II).

I. La clarification des critères de qualification des produits frontières

La Cour de justice apporte des éclaircissements essentiels sur les critères permettant de qualifier un produit se situant à l’interface entre plusieurs réglementations. Elle réaffirme la primauté de l’approche fonctionnelle pour la distinction avec le médicament (A) et adopte une interprétation extensive des conditions de qualification en tant que denrée alimentaire destinée à des fins médicales spéciales (B).

A. La primauté de l’approche fonctionnelle dans la distinction avec le médicament

La Cour rappelle que la qualification d’un produit doit s’opérer au regard de sa finalité principale. Pour distinguer un médicament d’une denrée alimentaire, elle souligne qu’« il convient d’apprécier, au regard de la nature et des caractéristiques du produit concerné, s’il s’agit d’une denrée alimentaire destinée à répondre à des besoins nutritionnels particuliers ou d’un produit destiné à prévenir ou à guérir des maladies humaines ». Un médicament est ainsi défini par son aptitude à exercer une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, visant à restaurer, corriger ou modifier des fonctions physiologiques. À l’inverse, une denrée alimentaire destinée à des fins médicales spéciales a pour but de répondre à des besoins nutritionnels que le patient ne peut satisfaire par une alimentation classique. Cette distinction, fondée sur la fonction et non sur la simple présentation, impose aux autorités nationales une analyse in concreto des propriétés de chaque produit. Le critère déterminant réside donc dans l’existence ou non d’un effet thérapeutique significatif, qui seul justifie l’application du régime plus contraignant applicable aux médicaments.

B. L’interprétation extensive des éléments constitutifs de la denrée alimentaire destinée à des fins médicales spéciales

La Cour précise ensuite les contours de la notion de denrée alimentaire destinée à des fins médicales spéciales. Elle interprète de manière large les conditions posées par le règlement n° 609/2013. Premièrement, elle définit les « besoins nutritionnels » comme ceux « causés par une maladie, un trouble ou un état de santé, dont la satisfaction est indispensable au patient d’un point de vue nutritionnel ». Deuxièmement, elle juge que l’effet du produit n’a pas nécessairement à se manifester au cours de la digestion, ouvrant la voie à des produits dont le mode d’action est différent. Troisièmement, la Cour considère que l’impossibilité de satisfaire les besoins par une « modification du seul régime alimentaire normal » couvre non seulement les cas où une telle modification est impossible ou dangereuse, mais aussi ceux où elle s’avère très difficile pour le patient. Enfin, pour la définition du terme « nutriment », elle renvoie à celle du règlement (UE) n° 1169/2011, assurant ainsi une cohérence terminologique au sein du droit alimentaire de l’Union. Cette approche pragmatique permet d’inclure dans la catégorie des denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales une gamme étendue de produits nécessaires à la prise en charge nutritionnelle des patients.

En définissant avec cette précision les critères de qualification, la Cour de justice ne se contente pas de clarifier le droit applicable ; elle consolide également la cohérence du cadre réglementaire global des produits de santé en Europe.

II. La consolidation de régimes juridiques distincts et imperméables

La décision de la Cour a pour conséquence de renforcer la sécurité juridique en assurant une application rigoureuse des différents régimes. Elle le fait en réaffirmant le principe de l’exclusivité mutuelle entre les catégories de produits (A) et en précisant le rôle de l’encadrement médical comme une conséquence de la qualification et non comme une condition de celle-ci (B).

A. La réaffirmation de l’exclusivité mutuelle entre les catégories de produits

La Cour énonce clairement que les notions de « complément alimentaire » et de « denrée alimentaire destinée à des fins médicales spéciales » sont « exclusives l’une de l’autre ». Un produit ne peut relever simultanément des deux qualifications. Cette affirmation est fondamentale car elle empêche les fabricants de choisir le régime juridique le plus avantageux et garantit que les produits destinés à des patients fragilisés soient soumis à des contrôles adaptés. Alors que les compléments alimentaires visent à compléter un régime normal pour une population saine, les denrées alimentaires destinées à des fins médicales spéciales sont formulées pour des personnes dont l’état de santé engendre des besoins nutritionnels spécifiques. La détermination doit se faire « au cas par cas et en fonction des caractéristiques et des conditions d’utilisation » du produit. Cette approche casuistique assure que chaque produit soit placé dans le cadre réglementaire correspondant à sa véritable finalité, protégeant ainsi le consommateur et assurant une concurrence loyale sur le marché.

B. Le rôle instrumental du contrôle médical comme conséquence de la qualification

Enfin, la Cour opère une distinction subtile mais essentielle concernant l’exigence d’une utilisation sous contrôle médical. Elle juge qu’un produit « doit être utilisé sous contrôle médical si la recommandation et l’évaluation subséquente d’un professionnel de santé sont nécessaires ». Cependant, elle précise que cette exigence n’est pas « une condition de qualification d’un produit en tant que telle ». Autrement dit, un produit n’est pas une denrée alimentaire destinée à des fins médicales spéciales parce qu’il est utilisé sous contrôle médical ; il doit être utilisé sous contrôle médical parce que sa nature et sa finalité le qualifient comme telle. Cette inversion de la logique a une portée pratique considérable. Elle signifie que la qualification dépend des caractéristiques intrinsèques du produit et non des modalités de sa commercialisation ou de sa prescription. Le contrôle médical est une garantie d’usage approprié, une conséquence de la nature du produit, et non un critère constitutif de sa définition juridique. La Cour renforce ainsi la prééminence des critères scientifiques objectifs dans la classification des produits.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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