Cour de justice de l’Union européenne, le 2 octobre 2008, n°C-157/06

Par un arrêt en date du 12 juillet 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur les obligations des États membres en matière de passation des marchés publics de fournitures. En l’espèce, un État membre avait autorisé par un décret ministériel du 11 juillet 2003 une dérogation aux règles communautaires pour procéder à l’achat d’hélicoptères légers. Ces appareils étaient destinés aux besoins de ses forces de police et de son corps national de pompiers. La Commission des Communautés européennes, estimant que cette procédure dérogatoire ne respectait pas les conditions fixées par le droit communautaire, a introduit un recours en manquement à l’encontre de cet État. La Commission soutenait que le recours à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché constituait une violation de la directive 93/36/CEE. L’État membre, pour sa part, justifiait vraisemblablement cette procédure par la spécificité des besoins liés à la sécurité et à l’ordre public. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si l’acquisition de matériel, bien que destiné à des missions de service public essentielles, pouvait s’affranchir des règles de mise en concurrence prévues par le droit communautaire en dehors des cas de dérogation strictement définis. La Cour a répondu par la négative, en déclarant que « la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 93/36/CEE ».

L’analyse de la décision révèle l’attachement de la Cour à une application rigoureuse des principes du marché intérieur, y compris lorsque des intérêts étatiques sont en jeu (I). Cette solution, au-delà du cas d’espèce, réaffirme la portée limitée des exceptions invocables par les États et la primauté du droit communautaire sur les actes administratifs nationaux (II).

I. L’application rigoureuse des règles de mise en concurrence

La Cour, dans sa décision, opère un rappel ferme des principes régissant les marchés publics avant de sanctionner leur contournement par une interprétation extensive des exceptions.

A. Le principe de transparence des procédures

Le droit communautaire des marchés publics, tel qu’encadré par la directive 93/36/CEE, vise à garantir la libre circulation des marchandises et une concurrence non faussée au sein du marché intérieur. La passation de marchés publics doit, en principe, respecter des procédures de publicité et de mise en concurrence permettant aux opérateurs économiques de tous les États membres de présenter une offre. Les articles 6 et 9 de la directive imposent ainsi le recours à des procédures ouvertes ou restreintes, qui assurent une transparence adéquate. Le recours à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché demeure exceptionnel. En jugeant que l’État membre a manqué à ses obligations, la Cour réaffirme que cette transparence est la règle, et que toute dérogation doit être justifiée au regard de critères stricts. Le simple fait que les fournitures soient destinées à des forces de police ne suffit pas à écarter ce principe fondamental.

B. L’interprétation stricte des conditions de dérogation

La directive 93/36/CEE prévoit des cas limitatifs où une procédure négociée sans publicité est possible, notamment en cas d’urgence impérieuse ou de raisons techniques ou artistiques. En l’espèce, la Cour constate que l’État membre a agi « sans qu’aucune des conditions susceptibles de justifier une telle dérogation soit remplie ». Ce faisant, elle refuse toute justification tirée de la nature générale des missions des entités adjudicatrices. Le raisonnement de la Cour est constant : les exceptions aux règles fondamentales du Traité doivent être interprétées de manière restrictive. Permettre à un État de s’exonérer des règles de concurrence pour l’équipement de ses forces de police au seul motif de la nature de leurs missions créerait une brèche significative dans le droit des marchés publics. La valeur de cette décision réside dans son orthodoxie juridique, qui prévient une érosion progressive des règles du marché intérieur par des considérations d’opportunité nationale.

II. La portée de la condamnation au regard des prérogatives étatiques

La solution retenue par la Cour n’est pas seulement technique ; elle porte en elle une conception précise de l’articulation entre le droit communautaire et la souveraineté des États, particulièrement dans les domaines régaliens.

A. La distinction implicite entre sécurité intérieure et intérêts essentiels de sécurité

Si les traités permettent aux États membres de déroger à certaines règles pour la protection de leurs intérêts essentiels de sécurité, notamment en matière militaire, cette notion ne saurait être étendue indéfiniment. L’équipement de forces de police ou de services de pompiers, bien que lié à la sécurité et à l’ordre public, relève de la sécurité intérieure et non, en principe, des intérêts essentiels de la sécurité de l’État au sens des dérogations prévues par le droit primaire. La Cour, par cet arrêt, trace une ligne de démarcation claire. Elle empêche que des prérogatives de puissance publique ne servent de prétexte pour s’affranchir des obligations économiques découlant de l’appartenance à l’Union. La portée de la décision est donc considérable, car elle discipline la capacité des États à invoquer leurs fonctions régaliennes pour se soustraire au droit commun de la commande publique.

B. L’affirmation de la primauté du droit communautaire

Cet arrêt est une illustration classique du mécanisme du recours en manquement et de son rôle dans la sauvegarde de l’ordre juridique communautaire. En déclarant qu’un décret ministériel national a conduit à une violation du droit communautaire, la Cour rappelle avec force le principe de primauté. Un acte de droit interne, quelle que soit sa forme ou son auteur, ne peut faire échec à l’application d’une directive correctement transposée. La décision a donc une portée qui dépasse largement l’achat de quelques hélicoptères ; elle constitue un rappel pour l’ensemble des administrations nationales et locales des États membres. Celles-ci sont tenues de s’assurer de la conformité de leurs actions au droit de l’Union, sous le contrôle de la Commission et, en dernier ressort, de la Cour de justice. Il ne s’agit donc pas d’une simple décision d’espèce mais bien d’un arrêt de principe quant à l’obligation de respect des règles du marché intérieur.

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Hassan KOHEN
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