La Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision précisant les conditions d’exonération fiscale des produits énergétiques utilisés dans l’industrie. Dans cette affaire, un exploitant utilisait du charbon pour produire la chaleur nécessaire à la fabrication de sucre et récupérait le gaz carbonique. Une partie de ce dioxyde de carbone servait à la confection d’engrais chimiques tandis qu’une autre était réinjectée dans le cycle sucrier. Le litige portait sur le refus de l’administration fiscale d’accorder le bénéfice du « double usage » prévu par le droit de l’Union. La juridiction saisie du litige a donc sollicité l’interprétation de la directive 2003/96/CE par la voie d’une question préjudicielle. Le problème de droit consistait à savoir si la valorisation des résidus de combustion permet de qualifier le charbon de produit à double usage. La Cour devait aussi déterminer si la législation nationale pouvait adopter une définition plus restrictive que celle prévue par les textes européens. Le juge européen décide que la production d’engrais ne constitue pas un tel usage contrairement au processus sucrier lorsqu’il est indispensable. Elle confirme par ailleurs la faculté des États membres de limiter la portée de cette notion dans leur droit interne.
I. La délimitation matérielle du double usage énergétique
A. L’exclusion des utilisations successives de résidus de combustion
La Cour précise d’abord que l’utilisation du charbon comme combustible et la récupération du gaz carbonique pour des engrais ne constituent pas un « double usage ». Cette interprétation stricte repose sur la nature de la réaction de combustion qui génère inévitablement des résidus gazeux secondaires et indépendants. L’article 2, paragraphe 4, sous b), de la directive 2003/96/CE exige que le produit remplisse lui-même deux fonctions distinctes durant son emploi industriel. La production chimique de fertilisants à partir de rejets de combustion constitue une activité séparée qui ne modifie pas la finalité thermique initiale. Le charbon n’est donc pas employé ici pour une fonction autre que celle de combustible lors de sa phase de consommation principale.
B. L’admission de l’usage intégré au processus de fabrication
Le juge européen admet cependant la qualification de « double usage » lorsque le dioxyde de carbone est indispensable au cycle de production du sucre. La décision souligne que cette reconnaissance s’applique s’il est constant que le « processus de production de sucre ne peut aboutir sans l’emploi du dioxyde de carbone ». Cette approche fonctionnelle privilégie la réalité technique de la fabrication sur une lecture purement thermique du produit énergétique initialement consommé. L’intégration du résidu gazeux dans la chaîne de fabrication transforme effectivement la nature de la consommation du charbon par l’entreprise industrielle. La double finalité est alors caractérisée par la nécessité absolue d’utiliser simultanément la chaleur et le gaz carbonique issus du produit.
II. La reconnaissance d’une compétence fiscale nationale résiduelle
A. La faculté de restriction de la notion de double usage
Le second apport de la décision concerne la marge de manœuvre laissée aux autorités nationales pour définir les critères d’exonération de la taxe. La Cour énonce qu’un État membre est « en droit de retenir, dans son droit interne, une portée plus restrictive de la notion de double usage ». Cette faculté permet d’assujettir à l’impôt des produits énergétiques qui seraient normalement soustraits au champ d’application obligatoire de la directive. La souveraineté fiscale des États est ainsi préservée dès lors que les objectifs budgétaires nationaux ne contreviennent pas aux principes du droit européen. Cette souplesse législative permet de limiter les exonérations automatiques pour des procédés industriels dont l’impact environnemental reste significatif.
B. Le maintien de la taxation des produits hors champ harmonisé
Cette solution s’explique par le fait que les produits destinés à un double usage sortent du régime strictement harmonisé par l’Union européenne. Les États retrouvent donc leur pleine compétence pour taxer ces substances selon des modalités propres à leur politique économique et énergétique nationale. La directive 2003/96/CE n’établit pas une obligation d’exonération totale mais définit simplement les limites de l’harmonisation des accises sur les énergies. Le juge européen sécurise ainsi les pratiques nationales visant à imposer une taxe sur des produits énergétiques « soustraits du champ d’application de cette directive ». L’arrêt confirme que l’absence d’harmonisation européenne sur un point précis redonne aux parlements nationaux leur pouvoir souverain de taxation.