Cour de justice de l’Union européenne, le 2 octobre 2014, n°C-446/13

Une société établie en Italie vend des pièces métalliques à un acquéreur situé en France. Elle expédie d’abord les biens à un prestataire en France pour des travaux de peinture. Le vendeur demande le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée grevant ces travaux de finition. L’administration rejette cette demande au motif que la livraison finale se situe en France. Le tribunal administratif de Paris confirme cette décision le 3 juillet 2008. La cour administrative d’appel de Paris rejette également le recours par un arrêt du 21 octobre 2010. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État demande à la Cour de justice de l’Union européenne de préciser le lieu de la livraison.

La juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation de la directive concernant le lieu d’une livraison effectuée après transformation des biens. Le vendeur soutient qu’il réalise une livraison intracommunautaire depuis l’Italie vers la France. L’administration considère au contraire que l’opération taxable se situe intégralement sur le territoire national. Le problème juridique réside dans la détermination du point de départ de l’expédition à destination de l’acquéreur final. La Cour de justice de l’Union européenne rend sa décision le 2 octobre 2014. Elle juge que le lieu de livraison se situe dans l’État membre où les travaux de finition sont achevés.

I. La localisation de la livraison au lieu de l’achèvement des biens

A. L’exigence d’un lien matériel entre l’expédition et la livraison

La Cour souligne que le lieu de livraison est « à l’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ». Elle précise que cette notion implique l’existence d’un lien temporel et matériel suffisant entre la livraison et l’envoi des marchandises. Le transfert du pouvoir de disposer d’un bien comme un propriétaire doit coïncider avec le mouvement physique vers l’acquéreur. En l’espèce, les pièces brutes envoyées au prestataire ne sont pas encore conformes aux obligations contractuelles du vendeur. La livraison ne peut donc porter que sur les biens ayant subi les transformations prévues par le contrat de vente initial.

L’expédition vers le prestataire de services ne constitue pas le départ du transport à destination de l’acquéreur au sens de la directive. Les marchandises doivent être prêtes pour leur usage final avant que le transport vers le client ne puisse être juridiquement qualifié. La Cour écarte ainsi l’idée que le premier mouvement physique depuis l’Italie détermine le lieu de l’imposition. La transformation des produits interrompt nécessairement la continuité de l’opération de transport initialement engagée par le fournisseur italien.

B. La distinction entre transport préparatoire et transport final

Le juge européen considère que l’expédition vers le sous-traitant vise uniquement à rendre les biens conformes aux engagements contractuels. Cette étape constitue une opération intermédiaire qui ne transfère aucun pouvoir de disposition à l’acquéreur final des pièces métalliques. Le bien vendu n’existe dans sa forme définitive qu’après l’exécution des travaux de peinture réalisés par la société tierce. En conséquence, le départ de l’expédition vers l’acheteur se situe dans les locaux du prestataire de services. Le lieu de la livraison est donc réputé se situer en France, conformément aux dispositions de la sixième directive.

Cette analyse distingue clairement le flux logistique global de l’expédition juridique spécifique à la vente des marchandises. Seul le mouvement des biens « devenus conformes aux engagements contractuels » entre les deux parties est pertinent pour la taxe. Le transport entre l’Italie et le prestataire français revêt un caractère purement préparatoire à la livraison effective. La Cour impose une vision réaliste de l’opération économique en liant la fiscalité à l’état final de la marchandise.

II. La préservation de la neutralité fiscale par la qualification de l’opération

A. Une interprétation conforme à l’économie du système de taxe

L’interprétation littérale de la directive est corroborée par l’objectif de détermination non équivoque de l’État membre compétent. La Cour rappelle que les règles de territorialité visent à éviter les doubles impositions ou l’absence totale de taxation. En fixant le lieu de livraison chez le transformateur, elle assure une perception de la taxe au lieu de consommation réelle. Cette solution permet également au vendeur de déduire la taxe payée au prestataire au lieu de solliciter un remboursement. Le principe de neutralité fiscale est ainsi respecté sans alourdir indûment les procédures administratives pour l’assujetti.

Le mécanisme de la déduction directe remplace celui du remboursement prévu par la huitième directive pour les non-établis. Le vendeur réalise une opération taxable en France, ce qui lui ouvre un droit à déduction sur ses déclarations locales. Cette approche simplifie la gestion de la taxe pour les entreprises engagées dans des processus de production transfrontaliers. La Cour privilégie une cohérence globale entre le lieu de l’opération et les modalités de récupération de la taxe d’amont.

B. La prévention des conflits de juridiction par une règle univoque

La décision apporte une sécurité juridique nécessaire aux opérateurs économiques effectuant des transactions complexes au sein du marché unique. Elle définit un critère stable pour identifier l’État membre auquel revient la recette fiscale afférente à la livraison. Le recours à un prestataire de services dans l’État de l’acheteur déplace le lieu de la vente vers ce territoire. Cette règle empêche toute confusion sur la nature intracommunautaire ou interne de la livraison des biens transformés. Les autorités nationales disposent désormais d’une grille de lecture claire pour qualifier ces flux de marchandises.

La portée de cet arrêt s’étend à toutes les situations où un bien subit une transformation avant sa remise finale. Le juge européen confirme sa volonté de coller à la réalité des contrats pour déterminer l’assiette de l’impôt. La solution garantit une répartition équitable des compétences fiscales entre les États membres de l’Union européenne. Elle protège enfin les intérêts du Trésor public tout en respectant la liberté de circulation des services industriels.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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