Par un arrêt du 2 octobre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par le Bundesverwaltungsgericht allemand, a précisé la portée de la notion de « pâturages permanents » dans le cadre de la politique agricole commune. En l’espèce, un exploitant agricole avait, sur des parcelles consacrées depuis plusieurs années à la production de graminées fourragères, procédé à un labourage suivi d’un ensemencement avec un mélange de trèfle et de graminées. L’autorité administrative compétente avait par la suite reclassé ces terres en « pâturages permanents », ce qui déclenchait une interdiction de labourage sans autorisation préalable. L’exploitant a contesté cette qualification devant les juridictions administratives allemandes. Après avoir été débouté en première instance par un jugement du Schleswig-Holsteinische Verwaltungsgericht du 13 octobre 2010, puis en appel par un arrêt du Schleswig-Holsteinische Oberverwaltungsgericht du 12 mai 2011, il a formé un pourvoi devant la juridiction suprême. Celle-ci a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si des terres agricoles consacrées depuis plus de cinq ans à la production de plantes fourragères herbacées conservent la qualification de « pâturages permanents » lorsqu’elles ont été labourées et réensemencées avec une variété différente de plante fourragère herbacée. Il s’agissait de déterminer si une telle opération constituait une « rotation des cultures » faisant obstacle à cette qualification. La Cour de justice de l’Union européenne a répondu par l’affirmative, jugeant que ces terres demeurent des pâturages permanents. Elle considère que « la définition de ‘pâturages permanents’ […] doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre des terres agricoles qui sont actuellement et depuis cinq ans ou davantage consacrées à la production d’herbe et d’autres plantes fourragères herbacées, alors même que ces terres ont, au cours de cette période, été labourées et ensemencées avec une variété de plante fourragère herbacée autre que celle qui y était précédemment produite ». Par cette décision, la Cour adopte une interprétation stricte et fonctionnelle de la notion de pâturage permanent (I), ce qui conduit au renforcement des objectifs environnementaux de la politique agricole commune (II).
I. L’interprétation stricte et fonctionnelle de la notion de pâturage permanent
La Cour de justice fonde sa solution sur une analyse littérale et systémique de la réglementation applicable. Elle considère que la catégorie des plantes fourragères herbacées est indivisible (A) et que, par conséquent, les techniques culturales employées pour en changer la composition sont sans incidence sur la qualification juridique des terres (B).
A. L’indivisibilité de la catégorie des plantes fourragères herbacées
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur l’existence d’une « rotation des cultures » lors du passage d’une culture de graminées fourragères à un mélange de trèfle et de graminées. La Cour écarte cette analyse en s’appuyant sur le libellé de la réglementation. Elle relève que la définition des pâturages permanents vise « la production d’herbe et d’autres plantes fourragères herbacées » comme un ensemble unique. Selon elle, cette formulation démontre que « toutes les variétés de plantes fourragères herbacées sont considérées comme équivalentes » au regard du texte. Le législateur de l’Union n’a pas établi de distinction entre les différentes sortes d’herbes ou de plantes fourragères, les traitant comme une seule et même catégorie de culture.
Dès lors, un changement au sein de cette catégorie ne saurait constituer une rotation. La Cour précise qu’une rotation, au sens de cette disposition, ne peut s’entendre que du « cas de production d’une culture autre qu’une plante fourragère herbacée ». La notion de rotation suppose donc une rupture dans la nature de l’affectation des sols, passant d’une production herbagère à une culture arable d’un autre type, comme le maïs ou les céréales. Le passage d’une herbe à une autre n’est qu’une simple modification interne à une même destination agricole.
B. L’indifférence du travail du sol et du changement de semences
La Cour déduit de cette approche unitaire une conséquence logique quant aux interventions de l’agriculteur sur ses terres. Si le passage d’une plante fourragère à une autre ne constitue pas une rotation, alors les moyens techniques mis en œuvre pour y parvenir sont également sans pertinence pour la qualification de pâturage permanent. Le fait que l’exploitant ait labouré le sol avant de procéder à un nouvel ensemencement ne modifie pas l’affectation de la parcelle. Pour la Cour, « ce qui importe pour la qualification de ‘pâturages permanents’ […] c’est l’utilisation ou l’affectation effective des terres concernées ».
Ainsi, ni la technique culturale, qu’il s’agisse d’un labour, d’une scarification ou d’un sursemis, ni le changement de la composition floristique du pâturage n’interrompent la période de cinq années au-delà de laquelle une terre acquiert le statut de pâturage permanent. L’élément déterminant reste l’usage continu des terres pour la production d’herbe ou d’autres plantes fourragères herbacées, quelle qu’en soit la variété. Cette interprétation finaliste, qui privilégie la fonction de la parcelle sur les modalités de son exploitation, permet de sécuriser le régime de protection des pâturages permanents.
II. Le renforcement des objectifs environnementaux de la politique agricole commune
Au-delà de l’explication technique de la norme, la décision révèle la volonté de la Cour de donner leur plein effet aux objectifs environnementaux fixés par le législateur de l’Union. Cette approche consacre la primauté de la finalité environnementale sur la liberté d’exploitation (A) et aboutit à la consécration d’une règle claire et difficilement contournable (B).
A. La primauté de la finalité environnementale sur la liberté d’exploitation
La Cour rappelle l’objectif poursuivi par la réglementation, tel qu’énoncé dans les considérants des règlements applicables. Le maintien des pâturages permanents est encouragé en raison de leur « effet positif sur l’environnement », afin de « prévenir leur transformation généralisée en terres arables ». Ces surfaces jouent un rôle essentiel en matière de stockage de carbone, de préservation de la biodiversité et de lutte contre l’érosion des sols. En adoptant une définition large et inclusive de la notion de pâturage permanent, la Cour garantit que cette protection ne soit pas vidée de sa substance.
L’intérêt général environnemental justifie ainsi une restriction à la liberté de l’exploitant agricole de gérer ses terres. Bien que le changement de culture puisse répondre à des objectifs agronomiques ou économiques légitimes, comme l’amélioration de la qualité nutritive du fourrage, cet intérêt particulier doit céder le pas devant l’impératif de préservation des prairies. La décision confirme que les aides directes de la politique agricole commune sont conditionnées au respect de normes environnementales contraignantes, qui s’imposent à l’agriculteur.
B. La consécration d’une règle claire et difficilement contournable
En jugeant que le changement de composition d’une prairie ne remet pas en cause son statut de pâturage permanent, la Cour prévient tout risque de contournement de la règle. Une interprétation contraire aurait offert aux exploitants une méthode simple pour échapper aux obligations de maintien. Il leur aurait suffi de procéder à un renouvellement régulier de l’herbe, en alternant les variétés tous les quatre ans, pour empêcher que leurs terres n’atteignent jamais le seuil de cinq ans déclenchant la qualification de pâturage permanent. Un tel comportement aurait rendu la mesure de protection largement inefficace.
La solution retenue a donc une portée pratique considérable. Elle assure la sécurité juridique en fixant une règle simple : tant qu’une parcelle est dédiée à la production d’herbe, elle progresse vers le statut de pâturage permanent, peu important les interventions qui y sont menées. Cela garantit l’effectivité du dispositif de protection et consolide le verdissement de la politique agricole commune, en faisant de la destination environnementale des terres un critère stable et robuste.