Cour de justice de l’Union européenne, le 2 octobre 2019, n°C-152/18

La décision soumise à l’analyse, rendue par la Cour de justice de l’Union européenne le 2 octobre 2019, offre une illustration de l’application du droit de la concurrence dans le secteur bancaire.

En l’espèce, une confédération bancaire, regroupant des fédérations régionales, avait adopté un mécanisme financier interne visant à compenser les charges nées de la mise en commun de certains risques. Une des entités affiliées, souhaitant se désengager de ce système pour poursuivre une stratégie commerciale indépendante, a contesté la validité des conditions financières qui lui étaient imposées pour sa sortie, les jugeant dissuasives. Elle estimait que ces dernières constituaient une restriction de concurrence contraire aux règles de l’Union.

Saisie d’un recours contre une décision de l’autorité nationale de la concurrence ayant validé ce dispositif, la cour d’appel de Paris a décidé de surseoir à statuer. Elle a soumis à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. Celles-ci portaient essentiellement sur le point de savoir si une décision par laquelle un groupement d’entreprises fixe les conditions de sortie d’un de ses membres peut être qualifiée d’accord ayant un objet anticoncurrentiel. Le doute des juges du fond portait également sur la possibilité de considérer un tel mécanisme comme une restriction accessoire, nécessaire à la poursuite d’un objectif légitime. La Cour de justice était donc interrogée sur la méthode d’analyse applicable à une telle situation, au regard de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

La juridiction de l’Union a jugé que le mécanisme litigieux ne révélait pas un degré de nocivité suffisant pour être qualifié de restriction de concurrence par objet. Elle a précisé que l’analyse devait se porter sur les effets concrets de la mesure sur le marché, tout en admettant qu’une telle clause de sortie puisse, dans certaines circonstances, être considérée comme une restriction accessoire et objectivement nécessaire au fonctionnement d’un système de mutualisation des risques.

L’enjeu portait ainsi sur la qualification d’un mécanisme de sortie au sein d’un réseau bancaire mutualiste et sur les critères permettant de l’exclure, ou non, du champ des pratiques anticoncurrentielles. Il convient d’analyser la solution retenue par la Cour, qui précise la méthode d’examen des restrictions de concurrence (I), avant d’en apprécier la portée quant à l’équilibre entre coopération et concurrence au sein des réseaux (II).

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**I. La méthode d’analyse des restrictions de concurrence précisée**

La Cour de justice apporte d’utiles clarifications sur la distinction entre les restrictions par objet et par effet (A), tout en rappelant la finalité de la théorie des restrictions accessoires (B).

**A. Le rejet de la qualification de restriction par objet**

La Cour rappelle avec constance que la notion de restriction par objet doit être interprétée de manière stricte. Elle « ne saurait être retenue que pour certains types de coordination entre entreprises qui révèlent un degré de nocivité à l’égard de la concurrence suffisant pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire ». En l’espèce, si les conditions de sortie du réseau pouvaient rendre plus difficile le développement d’une activité concurrente par le membre sortant, elles n’avaient pas pour seul but de l’évincer du marché.

Le mécanisme de compensation financière poursuivait en effet un objectif de préservation de la stabilité et de l’intégrité du système de mutualisation. La Cour estime qu’un tel objectif n’est pas, en soi, illégitime. Par conséquent, l’analyse ne peut se limiter à constater la nature potentiellement restrictive de la clause. Il appartient à la juridiction nationale d’examiner concrètement si les modalités de calcul de l’indemnité de sortie produisent effectivement des effets restrictifs, voire prohibitifs, sur la concurrence. Cette approche pragmatique s’oppose à une condamnation de principe et impose un examen factuel détaillé.

**B. Le rappel du rôle de la théorie des restrictions accessoires**

La Cour prolonge son raisonnement en se penchant sur la notion de restriction accessoire. Elle explique qu’une restriction à la liberté d’action des participants à un accord peut échapper à l’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, du traité si elle est « objectivement nécessaire à la mise en œuvre d’une opération ou d’une activité principale et proportionnée aux objectifs de celle-ci ». L’analyse ne se fait donc pas dans l’abstrait, mais au regard de l’objectif principal de l’accord en cause.

Dans cette affaire, l’objectif principal était le fonctionnement d’un système de garantie collective et de partage des risques, inhérent au modèle économique du groupe bancaire. La Cour admet que la pérennité d’un tel système peut exiger que la sortie d’un membre ne le déstabilise pas. La clause de sortie litigieuse pouvait donc être considérée comme nécessaire. Toutefois, elle renvoie au juge national le soin d’apprécier si les modalités financières de cette sortie étaient proportionnées, c’est-à-dire si elles n’allaient pas au-delà de ce qui était indispensable pour assurer la viabilité du réseau après le départ de l’un de ses membres.

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**II. L’équilibre entre coopération et concurrence dans les réseaux**

La décision commentée a une portée significative pour les groupements d’entreprises, en particulier dans le secteur bancaire (A), tout en laissant aux juridictions nationales une marge d’appréciation importante (B).

**A. La consolidation du modèle des groupements mutualistes**

Cet arrêt apporte une forme de sécurité juridique aux réseaux fondés sur un principe de solidarité financière. En refusant de qualifier de prime abord les clauses de sortie de restrictions par objet, la Cour reconnaît la légitimité des mécanismes qui visent à protéger l’intégrité de ces groupements. Elle admet que la coopération entre des entités, même concurrentes par ailleurs, peut nécessiter des aménagements contractuels qui limitent leur autonomie.

La solution est d’une importance particulière pour les banques mutualistes ou coopératives, dont le modèle repose sur une mutualisation des risques et des résultats. Une interdiction de principe des clauses organisant la sortie des membres aurait pu fragiliser ces structures, en permettant à une entité de quitter le navire après avoir bénéficié de la solidarité du groupe, sans compenser les charges futures que son départ ferait peser sur les autres. La Cour valide donc l’idée qu’un engagement dans un réseau peut impliquer des contraintes, pourvu qu’elles restent justifiées et mesurées.

**B. La responsabilité du juge national dans l’appréciation des effets**

Si la Cour de justice fixe le cadre d’analyse, elle laisse une part prépondérante à l’appréciation du juge de renvoi. C’est en effet à ce dernier qu’il revient de mener l’examen concret des effets de la clause sur le jeu de la concurrence. Cette démarche implique une analyse économique complexe. Le juge national doit évaluer si le montant de l’indemnité de sortie était calculé sur la base de critères objectifs et s’il correspondait réellement au préjudice subi par le réseau.

Cette répartition des rôles est classique dans le cadre d’une question préjudicielle. Elle a toutefois pour conséquence de laisser planer une incertitude sur l’issue finale du litige. Le juge national pourrait conclure, après expertise, que la formule de calcul était si pénalisante qu’elle équivalait, en pratique, à interdire toute sortie, et constituait donc une restriction par effet. La portée de l’arrêt réside donc moins dans la solution donnée à l’espèce que dans la méthode d’analyse qu’il impose, conciliant les exigences du droit de la concurrence et les particularités des modèles économiques fondés sur la coopération.

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Hassan KOHEN
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