Cour de justice de l’Union européenne, le 2 octobre 2019, n°C-93/18

Dans un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de Justice de l’Union européenne a précisé les contours de la condition de ressources suffisantes exigée pour le séjour d’un citoyen de l’Union dans un État membre d’accueil. En l’espèce, une ressortissante albanaise, mère de deux enfants ayant acquis la nationalité irlandaise et donc la citoyenneté de l’Union, a sollicité un droit de séjour au Royaume-Uni en sa qualité d’ascendante directe assurant leur garde effective. Ses enfants, nés en Irlande du Nord, n’avaient jamais exercé leur droit à la libre circulation. La famille subsistait uniquement grâce aux revenus de son époux, également ressortissant albanais, qui travaillait au Royaume-Uni sans titre de séjour ni permis de travail valides après l’expiration de son autorisation initiale.

La demande de droit de séjour fut rejetée par les autorités britanniques au motif que les enfants ne disposaient pas de ressources suffisantes, celles-ci provenant d’une activité professionnelle illégale. Saisie d’un recours contre cette décision, la Court of Appeal in Northern Ireland, après des décisions défavorables en première instance et en appel, a interrogé la Cour de justice sur la question de savoir si des revenus issus d’un emploi illégal au regard du droit national pouvaient constituer des « ressources suffisantes » au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38/CE. Face à ce problème de droit inédit, la Cour a estimé que la condition de ressources suffisantes pouvait être remplie même si celles-ci provenaient de l’emploi exercé illégalement par le parent ressortissant d’un État tiers.

Cette solution, qui privilégie l’effectivité des droits du citoyen de l’Union, repose sur une interprétation extensive de la notion de ressources (I), tout en réaffirmant la primauté du droit de séjour sur les prérogatives des États membres en matière de contrôle de l’immigration (II).

I. L’indifférence consacrée quant à l’origine des ressources

La Cour de justice adopte une lecture littérale et téléologique de la directive pour refuser de prendre en compte le caractère illicite de la source des revenus. Elle s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence antérieure en réaffirmant une conception large de la notion de ressources (A), ce qui la conduit logiquement à rejeter l’introduction d’une nouvelle condition tenant à la légalité de leur provenance (B).

A. La réaffirmation d’une interprétation large de la notion de ressources

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’exigence de ressources suffisantes vise uniquement à éviter qu’un citoyen de l’Union ne devienne une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil. Dans des arrêts antérieurs, elle avait déjà jugé que « le droit de l’Union ne comporte toutefois pas la moindre exigence quant à la provenance de celles-ci, ces dernières pouvant être fournies, notamment, par un ressortissant d’un État tiers, parent des citoyens de l’Union mineurs concernés ». Cette approche pragmatique se concentre sur la disponibilité effective des fonds plutôt que sur leur source.

En l’espèce, la Cour étend ce raisonnement à une situation où la source des revenus est non seulement externe au citoyen de l’Union, mais également illégale au regard du droit national. Elle considère que l’élément déterminant reste la capacité du citoyen mineur à subvenir à ses besoins sans recourir à l’aide sociale. Le fait que les ressources proviennent du travail de son père, même en situation irrégulière, est jugé sans pertinence dès lors que ces revenus existent et sont suffisants pour assurer l’autonomie financière de la famille, ce qui était le cas depuis plusieurs années.

B. Le refus d’intégrer une condition de légalité de l’emploi

La Cour procède à une analyse textuelle de la directive pour étayer sa position. Elle souligne que « rien dans le libellé de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 ne permet de considérer que seules les ressources tirées d’un emploi exercé par un ressortissant d’un État tiers, parent d’un citoyen de l’Union mineur, sous couvert d’un titre de séjour et d’un permis de travail, peuvent être prises en considération aux fins de cette disposition ». Ajouter une telle exigence reviendrait à créer une condition non prévue par le législateur de l’Union.

Une telle adjonction serait contraire à l’objectif de la directive, qui est de faciliter et de renforcer le droit fondamental de circuler et de séjourner librement. En se limitant aux termes de la disposition, la Cour refuse d’opérer une confusion entre le droit au séjour du citoyen de l’Union, qui découle du Traité, et la situation administrative du parent ressortissant d’un pays tiers au regard du droit national de l’immigration. Le droit de l’un ne saurait être automatiquement paralysé par l’illégalité de la situation de l’autre.

Cette dissociation des statuts juridiques permet de préserver l’effet utile de la citoyenneté de l’Union. La Cour privilégie ainsi une solution qui garantit l’exercice concret des droits conférés par le Traité, même dans des circonstances factuelles complexes.

II. La primauté de l’effectivité des droits du citoyen sur les prérogatives étatiques

La Cour examine ensuite les justifications avancées par le Royaume-Uni pour restreindre le droit de séjour, à savoir la protection des finances publiques et le maintien de l’ordre public. Elle les écarte en appliquant le principe de proportionnalité (A) et en retenant une interprétation stricte de la notion d’ordre public (B).

A. Le principe de proportionnalité comme rempart à une ingérence excessive

La Cour reconnaît que la précarité liée à un emploi illégal augmente le risque que le citoyen devienne à terme une charge pour l’État d’accueil. Toutefois, elle estime qu’une mesure nationale excluant par principe les revenus d’origine illégale est disproportionnée. Une telle exclusion préventive et absolue n’est pas nécessaire pour atteindre l’objectif de protection des finances publiques.

En effet, la directive offre déjà des mécanismes pour gérer ce risque. L’article 14 permet à l’État membre de contrôler a posteriori si les conditions du droit de séjour, y compris la suffisance des ressources, sont toujours remplies. Refuser le droit de séjour ab initio serait une « ingérence disproportionnée dans l’exercice du droit fondamental de libre circulation et de séjour du citoyen de l’Union mineur concerné ». La Cour met en balance l’intérêt légitime de l’État et le droit fondamental du citoyen, et conclut que la protection du second doit l’emporter lorsqu’il n’existe aucune charge avérée pour les finances publiques.

B. L’interprétation restrictive de l’exception d’ordre public

Le gouvernement du Royaume-Uni invoquait également des raisons d’ordre public pour justifier sa position. La Cour rappelle fermement que cette notion doit être entendue strictement et ne peut être déterminée unilatéralement par les États membres. Elle réitère sa jurisprudence constante selon laquelle « la notion d’“ordre public” suppose, en tout état de cause, l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ».

En l’occurrence, la Cour considère que le simple fait pour un parent de travailler illégalement pour subvenir aux besoins de son enfant, citoyen de l’Union, ne constitue pas une telle menace. L’infraction à la législation sur le séjour des étrangers ne suffit pas, à elle seule, à justifier une mesure aussi radicale que le refus d’un droit de séjour à un citoyen européen, qui aurait pour conséquence de le contraindre à quitter le territoire de l’Union. L’intérêt supérieur de l’enfant et l’effectivité de sa citoyenneté prévalent sur la simple sanction de la situation administrative de son parent.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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