La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 6 octobre 2021, précise l’étendue du contrôle juridictionnel des décisions vétérinaires en matière de sécurité alimentaire. Un exploitant d’abattoir a acquis un animal dont la carcasse fut déclarée impropre à la consommation humaine par un vétérinaire officiel après l’abattage. Le propriétaire a contesté cette évaluation technique et a refusé de remettre volontairement la viande en vue de sa destruction par les autorités compétentes.
L’autorité nationale responsable de la sécurité des aliments a alors enjoint l’élimination de la carcasse comme sous-produit animal sans saisir préalablement un juge. L’exploitant a formé un recours devant la Haute Cour de justice de Londres, puis devant la Cour d’appel de Londres, lesquels furent tous deux rejetés. Saisie en dernier ressort, la Cour suprême a décidé de surseoir à statuer afin d’interroger la juridiction de Luxembourg sur la conformité de la réglementation.
La question posée porte sur la compatibilité d’une procédure nationale permettant à un juge de trancher le fond technique d’une décision vétérinaire. Les juges doivent déterminer si un contrôle juridictionnel restreint suffit à garantir le droit à un recours effectif et la protection de la propriété. La Cour répond que le droit de l’Union s’oppose à la substitution du juge au vétérinaire, tout en validant un contrôle limité à la légalité.
I. L’exclusivité décisionnelle du vétérinaire officiel fondée sur l’expertise technique
L’organisation des contrôles officiels repose sur la compétence exclusive du vétérinaire pour garantir la salubrité des viandes destinées à la consommation humaine sur le marché.
A. La légitimité de l’autorité vétérinaire dans le contrôle sanitaire
Le législateur européen confère au vétérinaire officiel la mission de veiller à ce que la viande mise sur le marché soit saine pour la santé. Ce professionnel dispose d’un pouvoir d’appréciation important car « le domaine de la sécurité des denrées alimentaires se caractérise par une complexité présentant un niveau élevé de spécialisation ». La Cour souligne que le vétérinaire officiel peut être considéré comme « la personne la mieux qualifiée pour effectuer des contrôles » au sein des abattoirs. Cette compétence technique spécifique justifie que l’appréciation de la salubrité d’une carcasse demeure entre les mains d’un expert dûment formé selon les règlements.
B. L’incompatibilité du réexamen judiciaire au fond des appréciations spécialisées
Une réglementation nationale ne saurait permettre à un magistrat de se substituer au vétérinaire pour apprécier les faits techniques relatifs à la sécurité des aliments. Une telle procédure conduirait au « remplacement du vétérinaire officiel, en tant que responsable final en matière de sécurité des denrées alimentaires, par un juge statuant sur le fond ». Le droit européen s’oppose à ce qu’un juge décide souverainement de la conformité d’une carcasse sur la base d’expertises divergentes produites par les parties. Le maintien de l’autorité du vétérinaire garantit l’efficacité du système de contrôle sanitaire indispensable à la protection élevée de la santé publique.
II. La validité d’un contrôle juridictionnel restreint au regard des droits fondamentaux
Le droit à un recours effectif impose l’existence d’une voie de contestation sans exiger un réexamen complet des appréciations techniques de l’administration spécialisée.
A. La garantie d’une protection juridictionnelle par le contrôle de légalité
Le règlement européen impose aux États membres de prévoir une possibilité de recours permettant aux exploitants de contester les décisions sanitaires affectant leurs activités. L’autorité compétente doit notifier sa décision par écrit et fournir des « informations sur ses droits de recours contre de telles décisions, ainsi que sur la procédure ». Cette obligation de motivation est essentielle pour que les destinataires puissent « défendre leurs droits et de décider en pleine connaissance de cause » de l’action judiciaire. Le respect de la Charte des droits fondamentaux assure ainsi une protection suffisante contre l’arbitraire administratif tout en préservant l’intérêt général.
B. La conciliation proportionnée entre droit de propriété et impératifs de santé publique
Un contrôle juridictionnel limité à la vérification de la légalité et à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation suffit à satisfaire aux exigences du droit au recours. La juridiction nationale peut annuler la décision si le vétérinaire a agi dans un but illégitime ou si sa position est « sans fondement ou non étayée ». Cette étendue restreinte ne compromet pas « l’essence même des garanties protégeant les droits de l’exploitant » car elle est justifiée par l’objectif de protection sanitaire. La primauté du droit à la santé peut ainsi engendrer des conséquences économiques négatives considérables pour les opérateurs sans violer leur droit de propriété.