Cour de justice de l’Union européenne, le 2 septembre 2021, n°C-66/20

Par une décision du 15 janvier 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie d’une question préjudicielle par une autorité italienne, le parquet de la République de Trente. Cette saisine s’inscrivait dans le cadre de l’exécution d’une décision d’enquête européenne émise par le service des affaires fiscales pénales de Münster, en Allemagne. L’autorité allemande, agissant dans le cadre d’une enquête pour évasion fiscale, avait demandé la perquisition de locaux commerciaux situés en Italie. Le parquet italien, constatant que la décision d’enquête n’avait pas été validée par une autorité judiciaire au sens strict, mais émanait d’une autorité administrative allemande qui s’auto-qualifiait d’autorité judiciaire en vertu du droit national, a émis des doutes sur sa validité au regard du droit de l’Union. Avant de procéder à l’exécution de la mesure d’enquête, le parquet italien a donc interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle situation avec la directive 2014/41/UE relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale. Se posait ainsi la question de savoir si une autorité administrative, bien qu’investie par le droit national de prérogatives similaires à celles d’un ministère public, pouvait émettre une décision d’enquête européenne sans la faire valider par un juge ou un procureur, comme l’exige en principe la directive. Cependant, la Cour de justice a déclaré la demande irrecevable. Elle a estimé que le parquet italien, lorsqu’il agit en tant qu’autorité d’exécution d’une décision d’enquête européenne, n’exerce pas une fonction juridictionnelle au sens de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et n’est donc pas qualifié pour lui poser une question préjudicielle.

La solution de la Cour repose sur une distinction fonctionnelle rigoureuse entre l’acte de juger et les mesures de coopération judiciaire, conduisant à une application stricte des critères de qualification de « juridiction » (I). Cette approche, si elle préserve la cohérence du mécanisme de renvoi préjudiciel, soulève néanmoins des interrogations quant à ses conséquences sur le contrôle de la légalité des actes d’enquête et la protection des droits des personnes concernées (II).

I. L’application stricte des critères de qualification de juridiction au sens du droit de l’Union

La Cour de justice fonde son irrecevabilité sur une interprétation fonctionnelle de la notion de « juridiction », en rappelant d’abord que l’exercice d’une activité juridictionnelle est une condition essentielle (A), pour ensuite considérer que le rôle de l’autorité d’exécution d’une décision d’enquête européenne ne relève pas d’une telle activité (B).

A. La réaffirmation du critère fonctionnel de l’activité juridictionnelle

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la qualité de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE ne dépend pas seulement de critères organiques, tels que l’origine légale de l’organisme, sa permanence ou son indépendance. Elle insiste sur la nature de la fonction exercée. Ainsi, « les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel ». L’élément déterminant est donc la mission de l’organe de renvoi, qui doit être de trancher un litige, et non de participer à une procédure de nature administrative ou exécutive. Cette approche fonctionnelle permet à la Cour de conserver le monopole du renvoi préjudiciel aux organes qui exercent une véritable fonction de jugement, garantissant ainsi que les questions posées émergent d’un contentieux réel où des règles de droit de l’Union doivent être appliquées pour résoudre une contestation.

B. L’exclusion du rôle de l’autorité d’exécution de la sphère juridictionnelle

Appliquant ce critère fonctionnel au cas d’espèce, la Cour juge que le parquet de Trente, agissant en tant qu’autorité d’exécution d’une décision d’enquête européenne, n’exerce pas une fonction juridictionnelle. Son rôle, défini par la directive 2014/41, est d’assurer la reconnaissance et l’exécution d’une mesure d’enquête ordonnée dans un autre État membre. La Cour souligne le caractère provisoire de ces mesures, qui ont pour « seule finalité d’obtenir des preuves ». La décision du parquet italien ne vise pas à se prononcer sur le fond de l’affaire pénale ni à trancher un litige, cette compétence appartenant exclusivement aux autorités judiciaires de l’État d’émission. En se limitant à faciliter la collecte de preuves sur la base du principe de reconnaissance mutuelle, l’autorité d’exécution agit comme un rouage du mécanisme de coopération judiciaire, une fonction qui, pour la Cour, ne s’apparente pas à un jugement. Par conséquent, elle n’est pas habilitée à saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

II. La portée de l’irrecevabilité sur la protection des droits et la coopération judiciaire

La décision d’irrecevabilité, bien que procéduralement fondée, n’est pas sans conséquences. Elle réaffirme la primauté du principe de reconnaissance mutuelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice (A), mais elle laisse ouverte la question d’un éventuel vide dans la protection juridictionnelle des individus dans l’État d’exécution (B).

A. La prééminence du principe de reconnaissance mutuelle

La décision de la Cour renforce l’efficacité du système de la décision d’enquête européenne, qui repose sur la confiance mutuelle entre les États membres et vise une exécution rapide des mesures. En refusant à l’autorité d’exécution la possibilité de saisir la Cour de justice pour contester la qualité de l’autorité d’émission, la Cour semble indiquer que le contrôle de la validité de la décision d’enquête relève principalement de l’État d’émission. L’autorité d’exécution dispose certes de motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution prévus par la directive, mais son rôle n’est pas de procéder à un examen approfondi de la légalité de l’acte au regard du droit de l’Union. Cette approche privilégie la célérité et la fluidité de la coopération judiciaire, considérant que les garanties fondamentales sont assurées en amont, par les autorités de l’État où la procédure pénale est menée.

B. L’interrogation sur un possible déficit de protection juridictionnelle

En fermant la porte du renvoi préjudiciel à l’autorité d’exécution, la Cour laisse sans réponse la question de fond soulevée par le parquet de Trente, à savoir la validité d’une décision d’enquête émise par une autorité administrative non validée par un juge. La décision met en lumière une tension : si l’autorité d’exécution ne peut pas elle-même interroger la Cour, et si le droit national ne prévoit pas de voie de recours spécifique pour contester sa décision de reconnaître l’acte d’enquête, la personne visée par la mesure pourrait se trouver privée d’un contrôle juridictionnel effectif dans l’État d’exécution. La Cour écarte cet argument en relevant que l’absence de contrôle juridictionnel interne est « sans pertinence » pour qualifier l’organe de juridiction. Cette position soulève une question délicate sur l’articulation entre l’efficacité de la coopération pénale européenne et le droit à un recours effectif, garanti tant par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que par la Convention européenne des droits de l’homme.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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