Cour de justice de l’Union européenne, le 20 avril 2021, n°C-896/19

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, dans une formation dont la composition n’est pas précisée, soulève une question fondamentale relative à l’équilibre entre la souveraineté organisationnelle des États membres et les exigences de l’État de droit au sein de l’Union. Les faits sous-jacents, tels qu’ils peuvent être déduits de la décision, concernent une procédure nationale de nomination de juges dans laquelle le pouvoir exécutif, en la personne du Premier ministre, détient un rôle prépondérant. Une juridiction de cet État membre, saisie d’un litige contestant la conformité de cette procédure avec le droit de l’Union, a interrogé la Cour par le biais d’un renvoi préjudiciel. La question posée visait essentiellement à déterminer si le droit de l’Union, et plus spécifiquement le principe d’une protection juridictionnelle effective, avait vocation à s’appliquer à une telle procédure de nomination et, dans l’affirmative, si ce principe s’opposait à ce qu’un pouvoir décisif soit conféré au chef du gouvernement. La Cour de justice répond par une double affirmation : elle se déclare d’une part compétente pour connaître des garanties d’indépendance dans le processus de désignation des juges nationaux et, d’autre part, elle valide sous conditions un système national accordant un pouvoir déterminant à l’exécutif. La solution retenue confirme ainsi l’emprise du droit de l’Union sur les conditions d’exercice de la justice dans les États membres, tout en reconnaissant une marge d’appréciation nationale encadrée.

Il convient d’analyser la portée de l’affirmation par la Cour de sa compétence en matière d’organisation judiciaire nationale (I), avant d’examiner les critères de compatibilité qu’elle établit pour l’intervention du pouvoir exécutif dans la nomination des juges (II).

I. L’extension du contrôle de l’Union à l’organisation judiciaire nationale

La Cour établit d’abord la recevabilité de son intervention en se fondant sur l’article 19 du Traité sur l’Union européenne, dont elle consacre une lecture extensive (A), ce qui renforce le contrôle du respect de l’État de droit au sein de l’ordre juridique de l’Union (B).

A. L’applicabilité directe de l’article 19 TUE aux procédures de nomination

La Cour énonce de manière claire que « L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il est susceptible d’être appliqué dans une affaire dans laquelle une juridiction nationale est saisie d’un recours prévu par le droit national et tendant à ce que cette juridiction se prononce sur la conformité au droit de l’Union de dispositions nationales régissant la procédure de nomination des juges ». Ce faisant, elle lie directement l’obligation pour les États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union à la qualité même des juridictions chargées de dispenser cette protection. L’indépendance des juges, garantie par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux, devient ainsi une condition préalable au bon fonctionnement du système juridictionnel de l’Union dans son ensemble. La procédure de nomination n’est plus considérée comme une prérogative interne intangible, mais comme un élément essentiel de l’architecture judiciaire européenne, soumis à ce titre aux principes fondamentaux du droit de l’Union.

B. La consolidation de l’État de droit comme valeur fondamentale

En rattachant la procédure de nomination des juges aux exigences de l’article 19 TUE, la Cour de justice confirme que l’indépendance de la justice n’est pas une simple norme technique mais une composante de l’État de droit, valeur fondatrice de l’Union. Toute juridiction nationale étant susceptible d’appliquer et d’interpréter le droit de l’Union, elle agit en tant que juge de droit commun de ce dernier. Il est par conséquent impératif que sa composition et sa formation échappent à toute suspicion de partialité ou de dépendance, notamment à l’égard du pouvoir politique. Cette jurisprudence s’inscrit dans un courant plus large visant à doter l’Union d’outils efficaces pour prévenir et sanctionner les dérives systémiques qui menaceraient l’indépendance judiciaire dans un État membre. La décision étend ainsi le champ du contrôle juridictionnel à des aspects de l’organisation constitutionnelle des États qui étaient traditionnellement perçus comme relevant de leur seule souveraineté.

II. L’encadrement matériel de l’intervention de l’exécutif

Après avoir affirmé sa compétence, la Cour se prononce sur le fond en validant le principe d’une intervention de l’exécutif (A), tout en la subordonnant à l’existence de garanties procédurales suffisantes (B).

A. L’absence d’opposition de principe à un pouvoir décisionnel du Premier ministre

De manière pragmatique, la Cour juge que l’article 19 TUE « ne s’oppose pas à des dispositions nationales qui confèrent au Premier ministre de l’État membre concerné un pouvoir décisif dans le processus de nomination des juges ». Cette position témoigne d’une forme de déférence envers la diversité des traditions constitutionnelles et des systèmes politiques des États membres. La Cour reconnaît que la séparation des pouvoirs peut s’accommoder de différentes modalités d’interaction entre l’exécutif et le judiciaire. Elle refuse de proscrire par principe toute implication du gouvernement dans la nomination des juges, ce qui aurait constitué une ingérence significative dans l’organisation interne des États. L’essentiel pour la Cour ne réside pas dans l’identité de l’organe qui nomme, mais dans les conditions dans lesquelles cette nomination s’effectue et les garanties qui l’entourent.

B. La nécessité d’un contrepoids par un organe indépendant

La validation du pouvoir de l’exécutif est immédiatement tempérée par une condition décisive. Le système est jugé compatible avec le droit de l’Union car il prévoit dans le même temps « l’intervention, dans ce processus, d’un organe indépendant chargé, notamment, d’évaluer les candidats à un poste de juge et de fournir un avis à ce Premier ministre ». C’est là que réside le cœur de l’équilibre recherché par la Cour. Le pouvoir discrétionnaire du Premier ministre n’est pas absolu ; il est encadré par l’avis préalable d’une instance dont l’indépendance et l’expertise sont supposées garantir l’objectivité de l’évaluation des candidats. Bien que l’avis de cet organe ne soit pas formellement contraignant, son existence constitue une garantie contre l’arbitraire. Il assure que la décision finale du Premier ministre est éclairée par une analyse technique et fondée sur le mérite, limitant ainsi les risques d’une nomination guidée par des considérations purement politiques. La portée de cette décision est donc de fixer un standard européen : l’intervention de l’exécutif dans la nomination des juges n’est admissible que si elle est contrebalancée par des mécanismes institutionnels assurant une évaluation objective et indépendante des candidats.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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