Cour de justice de l’Union européenne, le 20 avril 2023, n°C-413/21

Par un arrêt récent, la Cour de justice de l’Union européenne a tranché une question relative au maintien de mesures restrictives individuelles, en l’espèce un gel des fonds, à l’encontre d’une personne physique. Ces mesures avaient été initialement adoptées par le Conseil de l’Union européenne dans le contexte d’une crise politique majeure dans un État tiers, en raison des liens familiaux de l’intéressée avec les dirigeants de l’ancien régime. Après plusieurs années, la personne concernée avait obtenu du Tribunal de l’Union européenne l’annulation de la décision prolongeant l’application de ces mesures à son encontre, au motif que le Conseil n’avait pas suffisamment démontré la persistance d’une menace justifiant leur maintien.

Le Conseil, soutenu par un État membre intervenant à l’instance, a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice. Il reprochait essentiellement au Tribunal d’avoir outrepassé son office en procédant à une appréciation des faits trop rigoureuse et d’avoir ainsi imposé au Conseil une charge de la preuve excessivement lourde. Se trouvait ainsi posée à la Cour la question de l’étendue du contrôle juridictionnel exercé sur les décisions du Conseil en matière de sanctions internationales et, plus précisément, de la nature des obligations probatoires pesant sur cette institution lorsqu’elle décide de maintenir un individu sur une liste de gel des avoirs.

En rejetant le pourvoi, la Cour de justice de l’Union européenne confirme intégralement la position du Tribunal. Elle valide ainsi une approche exigeante du contrôle de légalité des mesures restrictives, obligeant le Conseil à fonder ses décisions sur une base factuelle suffisamment solide, actuelle et circonstanciée.

Cette solution conforte une jurisprudence protectrice des droits fondamentaux face à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par les institutions de l’Union (I), tout en précisant les contours de l’obligation de motivation qui pèse sur le Conseil, dont la portée pratique mérite d’être évaluée (II).

***

I. La confirmation d’un contrôle juridictionnel rigoureux des mesures restrictives

L’arrêt s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence constante visant à garantir un contrôle effectif des actes du Conseil en matière de politique étrangère et de sécurité commune. La Cour y réaffirme tant la nécessité d’une menace persistante et étayée (A) que la plénitude de la compétence du juge de l’Union pour en apprécier la réalité (B).

A. L’exigence d’une menace persistante et étayée

La Cour rappelle que le maintien de mesures restrictives individuelles ne saurait reposer sur les seules circonstances ayant justifié leur adoption initiale. Le simple lien de parenté avec des membres d’un ancien régime, suffisant au commencement de la crise pour fonder une présomption de risque, s’émousse avec le temps. Il appartient donc au Conseil, lors de chaque réexamen périodique, de vérifier si les motifs d’inscription demeurent pertinents et de s’assurer que le maintien des sanctions répond toujours à un objectif légitime de prévention des menaces contre la paix et la sécurité internationales.

En l’espèce, le Conseil se contentait de réitérer les motifs originels sans apporter d’éléments nouveaux démontrant que l’intéressée représentait, au jour de la décision de prorogation, un danger actuel pour l’État tiers concerné. La Cour confirme que « le Conseil ne saurait se fonder sur une simple présomption qui ne serait plus étayée par des éléments concrets et actuels ». Cette exigence probatoire contraint l’institution à un travail d’actualisation de ses dossiers, l’empêchant de prolonger quasi automatiquement des situations qui portent une atteinte grave au droit de propriété des personnes visées.

B. La plénitude du contrôle du juge de l’Union

Face aux arguments du Conseil qui invoquait son large pouvoir d’appréciation en matière de politique extérieure, la Cour oppose le principe d’un contrôle juridictionnel entier. Le juge de l’Union n’a pas à substituer sa propre évaluation à celle du Conseil, mais il doit vérifier que cette dernière repose sur des faits matériellement exacts et que les conclusions qui en sont tirées ne sont pas manifestement erronées. Ce contrôle porte non seulement sur la légalité formelle de l’acte, mais également sur la pertinence et la suffisance des preuves qui le sous-tendent.

En validant l’analyse approfondie menée par le Tribunal, qui avait examiné en détail les pièces fournies par le Conseil pour conclure à leur insuffisance, la Cour de justice refuse de limiter le contrôle juridictionnel à une simple vérification de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation. Elle consacre ainsi un droit à un recours effectif, lequel implique que le juge puisse examiner de manière concrète et approfondie les justifications avancées par l’institution, garantissant que la décision administrative n’est pas le fruit de l’arbitraire.

La rigueur de ce contrôle juridictionnel renforce logiquement le standard de protection des droits des personnes sanctionnées.

II. Une protection renforcée des droits fondamentaux face au pouvoir de sanction

La décision commentée présente une valeur significative pour la protection des droits individuels (A), même si sa portée pratique sur la politique de sanctions de l’Union doit être nuancée (B).

A. La primauté du droit de propriété et du droit à un procès équitable

Le gel des avoirs constitue une ingérence particulièrement sévère dans l’exercice du droit de propriété, garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Une telle mesure ne peut être justifiée que si elle est nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi. L’arrêt, en exigeant du Conseil une motivation circonstanciée et actuelle, assure que cette atteinte ne se prolonge pas au-delà de ce qui est strictement requis par les circonstances. Il protège ainsi l’individu contre une sanction qui, avec le temps, pourrait devenir disproportionnée.

Par ailleurs, cette décision renforce les garanties procédurales. L’obligation pour le Conseil de disposer d’un dossier solide et de communiquer à la personne concernée les éléments à charge lui permettant de se défendre utilement est au cœur du droit à une bonne administration et du respect des droits de la défense. En sanctionnant une motivation devenue lacunaire, la Cour rappelle que le pouvoir discrétionnaire du Conseil n’est pas un pouvoir absolu et qu’il doit s’exercer dans le respect des formes et des droits qui constituent le patrimoine juridique de l’Union.

B. Une portée pratique à nuancer

Si cet arrêt constitue un rappel à l’ordre méthodologique pour le Conseil, il ne remet pas en cause le principe même des mesures restrictives. La Cour ne conteste pas la légitimité de la politique de sanctions de l’Union, mais en encadre plus strictement les modalités d’application dans la durée. La portée de la décision est donc avant tout préventive : elle incite le Conseil et ses services à une plus grande rigueur dans la constitution et la mise à jour des éléments factuels justifiant le maintien des sanctions.

Il est probable que, pour l’avenir, le Conseil s’efforcera de produire des motivations plus détaillées, fondées sur des informations, y compris confidentielles, plus récentes. La décision ne signifie donc pas la fin des difficultés pour les personnes souhaitant contester leur inscription, mais elle rééquilibre le rapport de force en leur faveur. Il s’agit moins d’un arrêt de principe révolutionnant le droit des sanctions que d’une décision d’espèce dont le raisonnement, fondé sur des principes bien établis, a vocation à être appliqué avec constance, affinant ainsi progressivement l’équilibre entre les impératifs de la sécurité internationale et la sauvegarde des libertés individuelles.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture