Cour de justice de l’Union européenne, le 20 avril 2023, n°C-580/21

Dans un contexte de transition énergétique, la promotion des sources d’énergie renouvelables constitue un objectif majeur pour l’Union européenne, impliquant des mécanismes de soutien tels que la priorité d’accès au réseau électrique. Un exploitant d’une installation de traitement thermique des déchets, produisant de l’électricité à la fois par l’incinération de déchets biodégradables et de déchets conventionnels, s’est vu réclamer par le gestionnaire de réseau de réduire sa production en raison de congestions. L’exploitant a alors sollicité une indemnisation en vertu du droit national, qui lui fut refusée par une juridiction d’appel au motif que son installation ne produisait pas de l’électricité exclusivement à partir de sources renouvelables. Saisie du litige, la Cour fédérale de justice allemande a sursis à statuer pour interroger la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation de la directive 2009/28/CE. La question centrale posée était de savoir si une installation de production hybride, utilisant un mélange de sources d’énergie renouvelables et conventionnelles, peut bénéficier de la priorité d’accès au réseau et, le cas échéant, selon quelles modalités. Par sa décision, la Cour de justice a jugé que la priorité d’accès au réseau doit être accordée aux installations de production hybrides, mais uniquement pour la part d’électricité issue de sources renouvelables, laissant aux États membres le soin d’en définir les critères d’application.

La solution apportée par la Cour clarifie le champ d’application du régime de priorité en l’étendant aux installations hybrides (I), tout en en précisant les modalités d’application proportionnelle laissées à la discrétion des États membres (II).

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I. L’extension du bénéfice de la priorité d’accès aux installations de production hybrides

La Cour de justice adopte une interprétation extensive de la notion d’installation éligible à la priorité d’accès, en écartant une condition d’exclusivité (A) et en consacrant une approche fondée sur la nature de la source énergétique (B).

A. Le rejet d’une interprétation restrictive fondée sur l’exclusivité de la source renouvelable

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la portée de l’expression « installations de production d’électricité qui utilisent des sources d’énergie renouvelables » figurant à l’article 16, paragraphe 2, sous c), de la directive 2009/28. La Cour de justice écarte l’idée que seules les installations produisant exclusivement à partir de sources renouvelables seraient concernées. Pour ce faire, elle procède à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de la disposition. D’un point de vue textuel, elle note que le verbe « utilisent » n’implique pas en soi une exclusivité. Plus encore, la Cour relève que la même disposition prévoit que les États membres doivent prendre des mesures pour « minimiser le non-recours à de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables », ce qui suggère que l’accès prioritaire peut être accordé à des installations n’utilisant que partiellement de telles sources, sans quoi une part significative d’électricité verte serait exclue.

Sur le plan contextuel, la Cour souligne une évolution notable par rapport à la législation antérieure. La directive 2001/77/CE, abrogée par la directive 2009/28, définissait l’électricité verte comme celle « produite par des installations utilisant exclusivement des sources d’énergie renouvelables, ainsi que la part d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables dans des installations hybrides ». L’abandon de cette distinction explicite dans la nouvelle directive conforte l’idée que la qualification ne dépend plus du caractère exclusif de l’installation. La Cour en déduit que l’objectif de la directive, qui est de « favoriser au maximum l’utilisation d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables », serait compromis si une installation hybride était entièrement exclue du mécanisme de priorité d’accès.

B. La consécration d’une approche fondée sur la nature de la source énergétique

En rejetant le critère de l’installation exclusive, la Cour de justice confirme que la qualification d’« électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables » ne dépend plus du type d’installation, mais uniquement de l’origine de l’énergie utilisée. Comme elle le souligne, « la qualification d’“électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables” ne dépend plus du type d’installation dans laquelle l’électricité a été produite, mais uniquement des sources d’énergie utilisées par ces installations pour produire de l’électricité ». Cette approche fonctionnelle permet d’inclure dans le champ du soutien toute électricité générée à partir de sources non fossiles renouvelables, quelle que soit la technologie ou la configuration de l’unité de production.

Dans le cas d’espèce, l’électricité est produite par le traitement thermique de déchets, dont seule la « fraction biodégradable des déchets industriels et municipaux » est qualifiée de « biomasse », et donc de source d’énergie renouvelable au sens de la directive. Par conséquent, seule l’électricité issue de cette fraction peut être considérée comme « verte ». Cette distinction fondamentale justifie l’inclusion des installations hybrides dans le dispositif de priorité, mais elle en conditionne également les modalités d’application.

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Cette extension du principe de priorité aux installations hybrides conduit logiquement la Cour à en préciser les limites et les modalités d’application, en instaurant un principe de proportionnalité dont la mise en œuvre est confiée aux États membres.

II. Les modalités d’application proportionnelle de la priorité d’accès

La Cour établit que la priorité d’accès est limitée à la seule part d’électricité renouvelable (A) et encadre la marge d’appréciation laissée aux États membres pour la mise en œuvre de ce principe (B).

A. La limitation de la priorité à la seule part d’électricité d’origine renouvelable

Ayant admis l’éligibilité des installations hybrides, la Cour précise que le bénéfice de la priorité d’accès n’est pas intégral. Elle juge qu’une telle installation « bénéficie d’une priorité d’accès au réseau uniquement pour la part d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables ». Cette solution, qui relève d’une logique de proportionnalité, évite qu’un producteur ne bénéficie d’un avantage concurrentiel pour sa production d’origine conventionnelle au seul motif qu’il produit également une part d’énergie renouvelable. La Cour s’appuie sur une interprétation par analogie avec une jurisprudence antérieure relative à l’accès garanti au réseau, en affirmant que les mécanismes de soutien prévus par la directive ne peuvent viser que l’électricité « verte ».

Cette approche pragmatique permet de concilier l’objectif de promotion des énergies renouvelables avec le bon fonctionnement du marché de l’électricité, en s’assurant que le soutien est précisément ciblé sur la production qu’il vise à encourager. Ainsi, le principe est clair : la priorité est attachée à la nature de l’électricité et non à l’installation qui la produit. Il s’ensuit qu’il n’existe pas de seuil minimal de production renouvelable pour bénéficier du dispositif ; toute quantité, même faible, ouvre droit à une priorité pour cette même quantité.

B. La marge d’appréciation encadrée des États membres dans la mise en œuvre

La directive ne fixant pas les modalités de calcul de la part d’électricité renouvelable pour les installations hybrides, la Cour reconnaît que « les États membres disposent d’une large marge d’appréciation lorsqu’ils établissent les modalités de mise en œuvre de l’accès prioritaire ». Cette flexibilité est toutefois conditionnée par le respect de plusieurs exigences. Les critères adoptés doivent être « transparents et non discriminatoires », ce qui implique qu’ils soient clairs, communiqués à l’avance et prévisibles pour tous les opérateurs. De plus, ils doivent tenir compte des impératifs de sécurité et de fiabilité du réseau électrique.

La Cour fournit des orientations pratiques pour guider les États membres. Elle suggère que les critères retenus doivent permettre d’établir un ordre de priorité qui « reflète l’importance de la part de sources d’énergie renouvelables » utilisée par chaque installation, favorisant ainsi celles qui contribuent le plus à l’objectif de la directive sans pour autant exclure les autres. Consciente des difficultés techniques liées à la mesure en temps réel de la composition du mix énergétique, la Cour admet qu’il est suffisant que la priorité soit accordée proportionnellement « sur une période suffisamment longue et représentative ». Elle évoque également la possibilité de s’appuyer sur des instruments comme les garanties d’origine ou des méthodes de calcul basées sur le contenu énergétique de chaque source, laissant ainsi aux autorités nationales le soin de choisir les outils les plus adaptés à leur contexte technique et réglementaire.

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Hassan KOHEN
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