Par un arrêt du 20 décembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en première chambre, a précisé le champ d’application matériel du règlement (UE) n° 1259/2010, dit « Rome III », relatif à la loi applicable au divorce et à la séparation de corps. En l’espèce, deux époux de double nationalité, syrienne et allemande, s’étaient mariés en Syrie. Des années plus tard, le mari a obtenu le divorce par une déclaration unilatérale de son représentant devant un tribunal religieux syrien, lequel a constaté la dissolution du mariage. L’épouse a par la suite signé une déclaration par laquelle elle reconnaissait avoir reçu les compensations financières dues et libérait son ancien conjoint de toute obligation. L’époux a alors demandé la reconnaissance de cette décision de divorce en Allemagne.
La demande de reconnaissance a été accueillie par le président de l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich). Saisie d’un recours de l’épouse, cette juridiction a estimé que la reconnaissance était régie par le règlement Rome III, au motif que le droit allemand, en abrogeant ses propres règles de conflit de lois en matière de divorce suite à l’entrée en vigueur du règlement, avait entendu rendre ce dernier applicable y compris aux divorces dits « privés ». Confronté à une difficulté d’interprétation, le tribunal a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle visant à déterminer si de tels divorces, non prononcés par une juridiction ou une autorité publique étatique, entraient dans le champ d’application du règlement.
À cette interrogation, la Cour de justice répond par la négative, jugeant que « l’article 1er du règlement (UE) n° 1259/2010 […] doit être interprété en ce sens qu’un divorce résultant d’une déclaration unilatérale d’un des époux devant un tribunal religieux […] ne relève pas du champ d’application matériel de ce règlement. »
La Cour fonde sa décision sur une interprétation stricte du terme « divorce » au sein du droit de l’Union (I), une clarification qui, bien que juridiquement fondée, soulève d’importantes questions quant à la coordination des systèmes juridiques et à la protection des époux (II).
I. Une interprétation stricte du divorce excluant les répudiations privées
Pour exclure les divorces privés du règlement Rome III, la Cour de justice a recours à une définition de la notion de divorce fondée sur l’intervention d’une autorité étatique (A) et s’appuie sur une analyse finaliste qui confirme le champ d’application limité du texte (B).
A. La définition du divorce subordonnée à l’intervention étatique
Le règlement n° 1259/2010 ne définit pas explicitement la notion de « divorce ». Face à ce silence, la Cour procède à une interprétation systémique en se référant au contexte normatif dans lequel le texte s’insère. Elle constate que plusieurs dispositions du règlement, telles que les articles 1er, 5, 8 et 13, font référence à une « juridiction » ou à une « procédure ». Ces termes suggèrent que le législateur de l’Union visait des processus de dissolution du mariage encadrés par une autorité publique ou menés sous son contrôle.
L’argument décisif de la Cour repose sur la nécessaire cohérence entre le règlement Rome III et le règlement (CE) n° 2201/2003, dit « Bruxelles II bis », relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale. Le considérant 10 de Rome III impose en effet une telle cohérence. Or, le règlement Bruxelles II bis, qui organise la circulation des décisions de divorce au sein de l’Union, définit une « décision » comme étant celle « rendue par une juridiction d’un État membre ». La Cour en déduit qu’il serait incohérent d’adopter une définition plus large du divorce dans le cadre de Rome III. Le divorce, au sens du droit de l’Union, est donc nécessairement celui qui est prononcé par une juridiction étatique ou, à tout le moins, par une autorité publique habilitée.
B. La lecture finaliste confirmant le champ d’application limité du règlement
La Cour de justice conforte son analyse textuelle par une interprétation téléologique, c’est-à-dire fondée sur les objectifs du règlement. Elle relève qu’au moment de l’adoption du règlement Rome III, dans les États membres participant à la coopération renforcée, seuls des organes à caractère public étaient compétents pour prononcer des divorces. Le législateur de l’Union n’a donc pas entendu inclure dans son champ d’action des formes de dissolution du mariage qui, à l’instar des répudiations privées, ne relevaient pas de ces cadres institutionnels.
La Cour souligne que le règlement n’a pas été conçu pour régir des situations telles qu’un divorce résultant d’une « déclaration de volonté privée unilatérale », même constatée par une autorité religieuse. Elle écarte ainsi l’idée que le champ du règlement pourrait évoluer de manière implicite pour s’adapter aux changements législatifs de certains États membres qui ont depuis lors introduit des formes de divorce non judiciaire. Une telle extension, selon la Cour, relèverait de la seule compétence du législateur de l’Union et ne saurait être le fruit d’une interprétation judiciaire. Cette position reflète une forme de retenue, la Cour refusant de remodeler le champ d’application d’un texte au-delà de l’intention initiale de ses auteurs.
II. La portée d’une solution rigoureuse, entre sécurité juridique et vide normatif
La solution retenue par la Cour de justice, si elle clarifie le périmètre du règlement Rome III, n’en crée pas moins une lacune apparente dans le droit international privé européen du divorce (A), ce qui a des conséquences pratiques notables pour la reconnaissance des divorces privés au sein de l’Union (B).
A. La consécration d’une lacune dans le droit international privé européen du divorce
En affirmant que le règlement Rome III ne s’applique pas aux divorces privés, la Cour de justice crée une sécurité juridique certaine : les juridictions des États membres savent désormais que ce type de divorce échappe à la loi uniforme de conflit. Cependant, cette clarification met en lumière un vide normatif au niveau de l’Union. Le règlement avait pour objectif de fournir un cadre prévisible et harmonisé pour déterminer la loi applicable au divorce, afin d’éviter le « forum shopping ». Or, en excluant une catégorie entière de divorces, la Cour renvoie leur traitement aux droits internationaux privés nationaux.
Cette situation est particulièrement paradoxale dans le cas d’espèce, où le législateur allemand avait précisément abrogé ses règles de conflit internes en pensant que le règlement Rome III couvrirait toutes les hypothèses. L’arrêt démontre que cette anticipation était erronée. En conséquence, il appartient désormais à chaque État membre de déterminer, selon ses propres règles, la loi applicable à la validité d’un divorce privé obtenu à l’étranger. Cette fragmentation du droit applicable est précisément ce que le législateur de l’Union cherchait à éviter.
B. Les conséquences pratiques pour la reconnaissance des divorces privés
La portée pratique de l’arrêt est considérable. La reconnaissance d’un divorce privé prononcé dans un État tiers dépendra désormais entièrement du droit international privé de l’État membre où la reconnaissance est demandée. La solution pourra donc varier d’un État à l’autre, créant une insécurité pour les couples internationaux. L’époux qui a obtenu un divorce privé dans son pays d’origine n’a aucune garantie que celui-ci sera reconnu dans son pays de résidence au sein de l’Union.
De plus, cette décision reporte l’analyse de questions de fond particulièrement sensibles au niveau national. Les deuxième et troisième questions préjudicielles, que la Cour n’a pas eu à traiter, portaient sur le caractère potentiellement discriminatoire de la loi étrangère, en l’occurrence la charia, qui accorde à l’époux un droit de répudiation unilatérale. L’examen de la compatibilité d’une telle loi avec l’ordre public, notamment le principe d’égalité entre les époux, devra être mené par les juridictions nationales au cas par cas. L’arrêt a donc pour effet de confier aux droits nationaux la tâche délicate d’articuler le respect des statuts personnels étrangers avec les valeurs fondamentales de l’ordre juridique de l’Union.