Cour de justice de l’Union européenne, le 20 décembre 2017, n°C-434/16

Par un arrêt du 20 décembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le champ d’application de la notion de « données à caractère personnel ». En l’espèce, un candidat à un examen professionnel organisé par un ordre d’experts-comptables a échoué à plusieurs reprises. Après un dernier échec, il a sollicité la communication de l’ensemble des données le concernant détenues par l’ordre, en se fondant sur le droit d’accès prévu par la législation relative à la protection des données. L’organisme d’examen lui a transmis plusieurs documents mais a refusé de lui communiquer sa copie d’examen, au motif que celle-ci ne contenait pas de données à caractère personnel. Saisi d’une réclamation, le commissaire à la protection des données a confirmé cette analyse et a refusé d’instruire la plainte. Le litige a été porté devant les juridictions irlandaises, jusqu’à la Cour suprême, laquelle a décidé de surseoir à statuer afin de poser une question préjudicielle. Il a ainsi été demandé à la Cour de justice si les réponses écrites fournies par un candidat lors d’un examen professionnel, ainsi que les éventuelles annotations de l’examinateur, constituent des données à caractère personnel au sens de la directive 95/46/CE. La Cour de justice répond par l’affirmative, jugeant que ces informations sont bien des données à caractère personnel. Elle considère que les réponses écrites d’un candidat, tout comme les commentaires de l’examinateur, sont des informations concernant une personne physique identifiable et entrent donc dans le champ d’application de la directive. Cette décision étend de manière significative la qualification de donnée personnelle (I), tout en apportant des précisions importantes sur l’étendue des droits qui en découlent pour la personne concernée (II).

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I. L’extension de la notion de donnée personnelle à l’évaluation des compétences

La Cour adopte une lecture large de la directive pour y inclure les informations relatives à une évaluation professionnelle. Elle applique pour ce faire une définition finaliste de la donnée personnelle (A), qui englobe indifféremment des informations de nature subjective ou objective (B).

A. La qualification par le lien entre l’information et la personne

La Cour de justice rappelle que la notion de « données à caractère personnel » vise « toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable ». Le caractère déterminant de la qualification réside dans le lien entre une information et une personne. Or, en l’espèce, un candidat à un examen est bien une personne identifiable, que ce soit par son nom ou par un numéro d’identification. La Cour précise ensuite qu’une information « concerne » une personne lorsqu’elle est liée à celle-ci « en raison de son contenu, sa finalité ou son effet ». Les réponses écrites d’un candidat satisfont pleinement à ces trois critères. D’une part, leur contenu reflète « le niveau de connaissance et de compétence du candidat dans un domaine donné ainsi que, le cas échéant, ses processus de réflexion, son jugement et son esprit critique ». D’autre part, la finalité de la collecte de ces réponses est précisément « d’évaluer les capacités professionnelles du candidat ». Enfin, leur effet est déterminant pour les droits et intérêts de celui-ci, conditionnant son accès à une profession ou un emploi. Le raisonnement s’applique donc à toute information qui, par ce qu’elle révèle, son objectif ou ses conséquences, se rattache à un individu.

B. L’inclusion des appréciations et des commentaires de l’examinateur

L’analyse de la Cour ne se limite pas aux seules réponses du candidat ; elle englobe également les annotations portées par l’examinateur sur la copie. Ces commentaires, bien qu’émanant d’un tiers, sont considérés comme des informations concernant le candidat. En effet, ils « reflètent l’avis ou l’appréciation de l’examinateur sur les performances individuelles du candidat ». Ces annotations participent ainsi de la même finalité d’évaluation et produisent les mêmes effets sur la situation de la personne concernée. La Cour écarte l’argument selon lequel ces commentaires concerneraient également l’examinateur. Elle affirme que « la même information peut concerner plusieurs personnes physiques », ce qui n’exclut pas la qualification de donnée personnelle pour chacune d’elles. Cette solution confirme une approche extensive qui refuse de limiter la protection aux seules informations directement produites par la personne concernée. Par conséquent, les appréciations, les jugements de valeur ou les opinions portés sur un individu par un tiers dans un contexte professionnel constituent des données personnelles, dès lors qu’ils sont utilisés pour l’évaluer.

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En qualifiant de données à caractère personnel les copies d’examen et les annotations de l’examinateur, la Cour ouvre pour le candidat l’ensemble des droits prévus par la directive. Elle prend soin toutefois d’en préciser les limites pour répondre aux craintes d’une instrumentalisation de ces prérogatives.

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II. La portée encadrée des droits d’accès et de rectification

La reconnaissance de cette qualification emporte des conséquences pratiques importantes, notamment quant à l’exercice des droits du candidat. La Cour précise que le droit de rectification est limité par la finalité du traitement (A) et que le droit d’accès demeure soumis aux limitations générales prévues par le droit de l’Union (B).

A. Un droit de rectification circonscrit à l’exactitude factuelle des données

La principale objection à une telle qualification était le risque qu’un candidat utilise le droit de rectification pour corriger a posteriori des réponses jugées incorrectes. La Cour désamorce cette critique en s’appuyant sur l’article 6 de la directive, qui dispose que l’exactitude des données doit s’apprécier « au regard de la finalité pour laquelle elles sont collectées ». Or, la finalité d’un examen est d’évaluer le niveau de connaissances d’un candidat à un instant précis. Dans ce contexte, des réponses erronées ne constituent pas une « inexactitude » au sens de la directive, mais le reflet fidèle de l’état des connaissances du candidat à ce moment. Le droit à la rectification ne permet donc pas de modifier le fond des réponses. En revanche, ce droit trouve à s’appliquer pour corriger des erreurs matérielles, « par exemple en raison du fait que, par erreur, les copies d’examen ont été échangées de telle sorte que les réponses d’un autre candidat ont été attribuées au candidat concerné ». Il permet également de s’assurer que les annotations de l’examinateur retranscrivent correctement son évaluation. Le droit de rectification est ainsi préservé dans sa fonction de garantie de l’intégrité de la donnée, sans pour autant permettre de contester l’évaluation elle-même.

B. Un droit d’accès subordonné aux intérêts légitimes des tiers

En ouvrant un droit d’accès à la copie d’examen sur le fondement de la directive, la Cour renforce la transparence des processus d’évaluation. Ce droit permet à la personne concernée de vérifier la licéité du traitement et l’exactitude des données la concernant, ce qui est une condition nécessaire à l’exercice de ses autres droits. Toutefois, la Cour prend soin de rappeler que ce droit d’accès n’est pas absolu. Elle souligne que la directive elle-même, en son article 13, autorise les États membres à en limiter la portée, notamment pour sauvegarder « les droits et libertés d’autrui ». Cette limitation peut viser à protéger le secret des délibérations ou la propriété intellectuelle sur les questions d’examen. La Cour note par ailleurs que le Règlement général sur la protection des données, successeur de la directive, confirme et étend ces possibilités de limitation pour garantir « d’autres objectifs importants d’intérêt public général ». Le droit d’accès du candidat doit donc être mis en balance avec d’autres impératifs, comme le bon déroulement des examens ou les droits de l’examinateur. La solution offre ainsi une protection accrue au candidat, tout en ménageant les garanties nécessaires à la préservation du système d’évaluation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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