Cour de justice de l’Union européenne, le 20 janvier 2005, n°C-225/02

Par un arrêt en date du 9 décembre 2004, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de recevabilité d’une demande de décision préjudicielle, en particulier lorsque l’objet du litige au principal disparaît en cours d’instance. En l’espèce, une travailleuse ayant accompli des périodes d’assurance en Allemagne puis en Espagne s’est vu refuser sa demande de pension de retraite par l’organisme de sécurité sociale espagnol. Celui-ci estimait que les périodes de cotisation versées en Espagne durant ses périodes de chômage n’étaient pas suffisantes pour ouvrir un droit à pension selon la législation nationale.

Saisi du litige, le juge national a adressé une demande de décision préjudicielle à la Cour de justice afin de déterminer la compatibilité de la réglementation espagnole avec les principes communautaires de libre circulation des travailleurs et de coordination des systèmes de sécurité sociale. Postérieurement à cette saisine, l’organisme national a finalement accordé la pension de retraite à la requérante, qui est décédée entre-temps. Son ayant cause a cependant renoncé à cette pension au profit d’une autre allocation plus favorable. Le juge national a néanmoins maintenu sa demande, arguant de l’utilité de la réponse pour d’autres affaires similaires. Il revenait donc à la Cour de déterminer si elle pouvait statuer sur une demande préjudicielle alors que les prétentions de la partie demanderesse au principal avaient été intégralement satisfaites. La Cour de justice a conclu qu’il n’y avait pas lieu de répondre à la demande, le litige ayant perdu son objet.

Cette décision rappelle avec fermeté que la procédure préjudicielle est subordonnée à l’existence d’un contentieux réel (I), consacrant ainsi une conception stricte de l’office du juge communautaire dont la fonction n’est pas consultative (II).

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I. Le rappel des conditions de recevabilité d’une question préjudicielle

La Cour de justice fonde son refus de statuer sur une analyse rigoureuse des conditions d’application de l’article 234 du traité CE. Elle réaffirme l’exigence d’un litige pendant au principal (A) avant de constater, en l’espèce, la disparition de son objet (B).

A. L’exigence d’un litige pendant au principal

La Cour souligne que la procédure préjudicielle constitue un instrument de coopération destiné à fournir aux juridictions nationales les éléments d’interprétation nécessaires à la solution des litiges dont elles sont saisies. Il en découle logiquement que cette procédure « présuppose qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel ». Cette condition fondamentale assure l’utilité même de l’intervention de la Cour.

En effet, la finalité du renvoi préjudiciel n’est pas de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques. Sa justification réside exclusivement dans « le besoin inhérent à la solution effective d’un contentieux ». La Cour se montre ainsi gardienne de la nature contentieuse de sa compétence préjudicielle, refusant de se prononcer lorsque sa réponse serait dépourvue d’effet concret sur l’issue du procès national. Cette jurisprudence constante vise à préserver le caractère judiciaire de sa mission et à éviter que le dialogue des juges ne se transforme en une consultation juridique abstraite.

B. L’appréciation de la disparition de l’objet du litige

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour examine la situation factuelle et procédurale née après la saisine du juge de renvoi. Elle relève que la pension de retraite initialement refusée a finalement été accordée à la requérante avec effet rétroactif. De plus, son ayant cause a formellement renoncé au bénéfice de cette prestation. La Cour en déduit sans ambiguïté que « les prétentions de la demanderesse au principal ont été intégralement satisfaites ».

Dès lors, le litige qui opposait la travailleuse à l’organisme de sécurité sociale espagnol a perdu toute substance. Une réponse de la Cour aux questions posées sur la compatibilité de la loi espagnole avec le droit communautaire n’aurait aucune incidence sur la solution de ce procès spécifique, celui-ci étant de fait éteint. La Cour en conclut qu’une telle réponse ne présenterait « aucune utilité » pour le juge national dans le cadre de l’affaire qui a motivé le renvoi. La disparition de l’objet du litige rend ainsi la demande préjudicielle sans objet et, par conséquent, irrecevable.

II. La portée de la solution : une stricte conception de l’office du juge communautaire

En déclarant qu’il n’y a pas lieu de répondre, la Cour ne se contente pas d’appliquer une solution procédurale. Elle réaffirme la nature de son office en refusant de répondre à une question devenue hypothétique (A), ce qui confirme le caractère purement contentieux et non consultatif de la procédure préjudicielle (B).

A. Le refus de répondre à une question devenue hypothétique

La position de la Cour est d’autant plus significative que la juridiction de renvoi avait insisté pour maintenir sa demande. Le juge national estimait en effet que la réponse de la Cour lui serait utile pour trancher d’autres litiges similaires pendants devant elle. La Cour écarte implicitement mais fermement cet argument. En se concentrant exclusivement sur l’affaire au principal, elle rappelle que le mécanisme de l’article 234 du traité CE n’est pas conçu pour fournir des orientations générales aux juges nationaux.

La fonction de la Cour est de contribuer à la résolution d’un cas concret, non d’établir une ligne de conduite pour des affaires futures ou potentielles. Accepter de répondre dans de telles circonstances reviendrait à transformer l’arrêt préjudiciel en une sorte de rescrit ou d’avis de portée générale. Cette solution témoigne d’une orthodoxie juridique rigoureuse et d’une volonté d’autolimitation, la Cour se refusant à excéder le cadre judiciaire qui lui est conféré par les traités.

B. La réaffirmation du caractère non consultatif de la procédure préjudicielle

Cette décision illustre la frontière nette que la Cour maintient entre sa fonction juridictionnelle et une éventuelle fonction consultative qu’elle n’a jamais eue. L’utilité de la réponse s’apprécie uniquement au regard du litige qui en est à l’origine, et non en considération d’un intérêt général pour l’interprétation du droit communautaire. La Cour de justice n’est pas une instance doctrinale chargée d’éclairer les juridictions nationales en dehors de tout cadre contentieux.

En conséquence, la portée de cet arrêt est claire : il réaffirme que la procédure préjudicielle est un outil au service de la solution d’un procès, et non un mécanisme de consultation juridique à la disposition des juges. Il appartient donc au juge national qui souhaiterait obtenir une interprétation sur les mêmes questions de droit de les poser à nouveau dans le cadre d’un autre litige, effectivement pendant devant lui et dont la solution dépendra de la réponse de la Cour. La coopération juridictionnelle ne peut s’exercer dans un vide contentieux.

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