Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88/CE relative à l’aménagement du temps de travail. Cette décision aborde la question cruciale de l’articulation entre le droit au congé annuel payé et les périodes d’incapacité de travail pour cause de maladie. Les affaires jointes soumises à la Cour émanaient de juridictions britannique et allemande, confrontées à des situations où des travailleurs en congé de maladie de longue durée se voyaient privés de la jouissance effective de leurs congés annuels. Dans le premier cas, un travailleur souhaitait prendre ses congés payés pendant son arrêt maladie, tandis que d’autres, licenciés après une longue absence, réclamaient une indemnité compensatrice. Dans le second cas, un travailleur allemand, en incapacité de travail jusqu’à la fin de sa relation de travail, s’était vu opposer l’extinction de son droit à congé, conformément à la jurisprudence nationale qui prévoyait la perte du droit non exercé à l’issue d’une période de référence et d’une période de report.
Les juridictions de renvoi, la House of Lords et le Landesarbeitsgericht Düsseldorf, ont saisi la Cour de plusieurs questions préjudicielles. Elles cherchaient à savoir si la directive 2003/88 s’opposait à des pratiques nationales prévoyant qu’un travailleur ne peut prendre son congé annuel durant un congé de maladie, et surtout, si le droit au congé annuel payé pouvait s’éteindre lorsque le travailleur, en raison de son état de santé, n’avait pas pu l’exercer durant la période de référence. La question portait également sur l’obligation de verser une indemnité financière pour les congés non pris en cas de cessation de la relation de travail pour un travailleur en incapacité. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le droit fondamental au congé annuel payé, garanti par le droit de l’Union, pouvait être subordonné à l’aptitude physique du travailleur et s’éteindre faute d’exercice en raison d’une maladie.
À ces questions, la Cour de justice apporte une réponse nuancée mais ferme. Elle juge que l’article 7 de la directive n’interdit pas aux États membres de prévoir qu’un congé annuel ne peut être pris pendant un congé de maladie, reconnaissant ainsi les finalités distinctes de ces deux types de congés. En revanche, et c’est là l’apport essentiel de sa décision, la Cour affirme que la directive s’oppose à ce que le droit au congé annuel payé s’éteigne à l’expiration de la période de référence ou de report si le travailleur a été en congé de maladie. Par conséquent, en cas de fin de la relation de travail, une indemnité financière doit être versée au travailleur qui n’a pu exercer son droit. La Cour établit ainsi une distinction entre les modalités d’exercice du droit au congé, qui relèvent de la compétence des États, et l’existence même de ce droit, qui ne saurait être remise en cause par l’incapacité de travail.
La solution de la Cour repose sur une distinction claire des finalités respectives du congé maladie et du congé annuel (I), pour ensuite affirmer avec force le caractère intangible du droit au congé payé, qui ne saurait être anéanti par la maladie (II).
I. La dissociation des finalités du congé annuel et du congé de maladie
La Cour de justice fonde une partie de son raisonnement sur la différence de nature entre le droit au repos annuel et le droit à un congé pour maladie. Cette distinction justifie que les modalités d’exercice de ces droits puissent être aménagées par les États membres pour éviter leur cumul (A), tout en laissant à ces derniers la faculté de permettre une telle superposition (B).
A. La reconnaissance de finalités distinctes comme fondement de la non-superposition
La Cour rappelle avec constance que « la finalité du droit au congé annuel payé est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs ». Elle souligne que cet objectif est fondamentalement différent de celui du congé de maladie, qui est « accordé au travailleur afin qu’il puisse se rétablir d’une maladie ». Cette divergence de buts constitue la pierre angulaire de l’interprétation retenue par les juges. En effet, la période de congé annuel vise à protéger la santé et la sécurité du travailleur par le repos et la déconnexion du milieu professionnel, tandis que le congé maladie a une vocation curative, visant la restauration de l’état de santé.
En s’appuyant sur cette analyse téléologique, la Cour conclut logiquement qu’un travailleur en congé de maladie ne se trouve pas dans la même situation qu’un travailleur en activité. La période de convalescence ne saurait être assimilée à une période de repos et de loisirs. Par conséquent, imposer la prise d’un congé annuel durant une incapacité de travail priverait ce congé de son effet utile. La Cour refuse ainsi de considérer que les deux droits doivent pouvoir être exercés simultanément, validant les réglementations nationales qui organisent leur exercice successif.
B. La marge d’appréciation des États membres quant à l’exercice simultané des congés
En conséquence de cette distinction, la Cour reconnaît aux États membres une latitude pour définir les conditions d’exercice du droit au congé annuel. Elle précise que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 « ne s’oppose pas, en principe, à des dispositions ou à des pratiques nationales selon lesquelles un travailleur en congé de maladie n’est pas en droit de prendre un congé annuel payé durant une période incluse dans un congé de maladie ». Cette solution pragmatique respecte les systèmes nationaux de sécurité sociale et d’organisation du travail, qui peuvent légitimement prévoir que les deux types d’absence ne sont pas cumulables.
Toutefois, la Cour assortit cette faculté d’une réserve essentielle : le travailleur doit conserver « la possibilité d’exercer le droit que cette directive lui confère pendant une autre période ». Ainsi, si un État peut interdire la prise de congés payés pendant un arrêt maladie, il ne peut le faire que si le droit au congé n’est pas définitivement perdu. De même, la Cour précise que la directive ne s’oppose pas non plus à une pratique nationale plus favorable qui permettrait à un travailleur de prendre ses congés annuels pendant son arrêt maladie. La décision laisse donc intacte la liberté des États de choisir entre la non-superposition et la superposition, sous la condition impérative que le droit au congé soit, in fine, préservé.
Si la Cour fait preuve de souplesse quant aux modalités d’exercice du droit, elle se montre en revanche intransigeante quant à sa substance, affirmant son maintien en dépit de l’incapacité de travail.
II. L’affirmation du caractère inconditionnel du droit au congé annuel payé
La portée principale de cet arrêt réside dans la consécration du droit au congé annuel comme un droit social fondamental qui ne peut être éteint par la maladie. La Cour rejette ainsi fermement toute pratique nationale qui conduirait à la perte de ce droit pour un travailleur en incapacité (A), et en tire la conséquence logique d’une compensation financière obligatoire en cas de rupture du contrat (B).
A. Le rejet de l’extinction du droit au congé en raison de l’incapacité de travail
La Cour juge que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 « s’oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé s’éteint à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report ». Cette position s’applique même lorsque le travailleur a été en congé de maladie durant toute la période et que son incapacité a perduré. Le raisonnement de la Cour est d’une grande clarté : le droit au congé annuel est un droit « directement conféré par la directive », dont la constitution même ne peut être subordonnée à aucune condition par les États membres.
En s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt BECTU, la Cour souligne que le droit est accordé à « tout travailleur » et qu’aucune distinction n’est opérée selon que le travailleur a été absent pour maladie ou a effectivement travaillé. Admettre la perte du droit pour un travailleur qui n’a pas eu la possibilité matérielle de l’exercer reviendrait à porter atteinte à la substance même de ce droit. La maladie étant une circonstance « imprévisible » et « indépendante de la volonté de la personne employée », elle ne peut avoir pour effet de priver le travailleur d’un principe du droit social de l’Union. Le droit au congé annuel, une fois acquis, ne peut donc être perdu du simple fait de son non-exercice pour cause de maladie.
B. La consécration d’une indemnisation financière obligatoire lors de la rupture du contrat
La Cour tire toutes les conséquences de cette survie du droit au congé. Lorsque la relation de travail prend fin, l’exercice effectif du congé devient impossible. Pour éviter que cette impossibilité matérielle n’entraîne une perte sèche pour le travailleur, l’article 7, paragraphe 2, de la directive prévoit une indemnité financière. La Cour juge que cette disposition s’oppose à toute pratique nationale refusant cette indemnité à un travailleur qui n’a pu prendre ses congés en raison d’une maladie. Le droit à l’indemnité devient ainsi le corollaire indispensable du droit au congé non exercé.
De plus, la Cour précise les modalités de calcul de cette indemnité. Se référant à sa jurisprudence Robinson-Steele, elle rappelle que le paiement du congé vise à placer le travailleur dans une situation salariale comparable à celle des périodes de travail. Par conséquent, l’indemnité financière doit être calculée sur la base de la « rémunération ordinaire du travailleur », garantissant que celui-ci ne subisse pas de préjudice financier du fait de l’impossibilité de prendre son repos. Cette exigence assure la pleine effectivité du droit au congé payé, en lui conférant une valeur pécuniaire intangible lorsque sa jouissance en nature n’est plus possible.