Par un arrêt du 20 janvier 2022, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel par la Cour suprême du Danemark, s’est prononcée sur l’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) des frais de contrôle perçus par une société exploitant des parcs de stationnement privés.
En l’espèce, une société de droit privé spécialisée dans l’exploitation de parcs de stationnement situés sur des terrains privés percevait, outre les redevances de stationnement ordinaires, des frais de contrôle d’un montant forfaitaire en cas de non-respect par les automobilistes des conditions générales d’utilisation. Ces conditions, ainsi que le montant des frais de contrôle, étaient affichés sur des panneaux à l’entrée de chaque parc. Estimant que ces frais ne constituaient pas la contrepartie d’une prestation de services, la société exploitante a sollicité auprès de l’administration fiscale nationale le remboursement de la TVA acquittée sur les sommes perçues à ce titre.
La demande de remboursement fut rejetée par l’administration fiscale, puis cette décision fut confirmée par les juridictions de première instance et d’appel. Le tribunal de Kolding, par un jugement du 23 janvier 2017, puis la cour d’appel de la région Ouest, par un arrêt du 10 septembre 2018, ont considéré que ces frais constituaient la contrepartie d’un service de stationnement et étaient, à ce titre, imposables. La société exploitante a alors formé un pourvoi devant la Cour suprême, soutenant que les frais de contrôle, ayant le caractère d’une pénalité prédéterminée et sans lien économique avec la valeur du service, ne relevaient pas du champ d’application de la directive TVA. L’administration fiscale rétorquait qu’un lien direct existait, l’automobiliste obtenant un accès effectif au stationnement en contrepartie de ces frais.
La juridiction de renvoi a donc interrogé la Cour de justice sur la question de savoir si l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112/CE devait être interprété en ce sens que des frais de contrôle perçus pour des infractions aux règles de stationnement sur un terrain privé constituent la contrepartie d’un service fourni à titre onéreux, et sont par conséquent soumis à la TVA.
La Cour répond par l’affirmative, jugeant que ces frais de contrôle « doivent être considérés comme étant la contrepartie d’une prestation de services effectuée à titre onéreux ». Elle estime que le paiement de ces frais, même s’il découle d’un non-respect des conditions d’utilisation, trouve sa source dans la mise à disposition d’un emplacement de stationnement par la société exploitante. L’acceptation par l’automobiliste des conditions générales à l’entrée du parc de stationnement établit un rapport juridique dans lequel la totalité des sommes dues, y compris les frais de contrôle, constitue la contre-valeur du service de stationnement dont il a bénéficié.
La solution adoptée par la Cour s’inscrit dans une conception extensive de la prestation de services, en se fondant sur la réalité économique de l’opération (I), et clarifie la distinction entre les sommes perçues en contrepartie d’un service effectivement rendu et les indemnités versées en l’absence de service (II).
***
**I. La qualification d’opération imposable fondée sur l’analyse de la réalité économique**
La Cour justifie l’assujettissement à la TVA des frais de contrôle en retenant une approche pragmatique de la relation contractuelle. Elle caractérise d’abord l’existence d’un lien direct entre la mise à disposition de l’emplacement et la somme versée par l’automobiliste (A), avant de neutraliser la qualification juridique que le droit national pourrait attribuer à cette somme (B).
A. La consécration d’un lien direct entre le service de stationnement et les frais de contrôle
La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une prestation de services n’est effectuée « à titre onéreux » que s’il existe un rapport juridique entre le prestataire et le bénéficiaire au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective d’un service individualisable. En l’espèce, le service fourni par la société exploitante consiste en la mise à disposition d’un emplacement de stationnement. La contrepartie de ce service est le prix que l’automobiliste s’engage à payer en stationnant son véhicule, lequel inclut non seulement la redevance de base mais aussi les éventuels frais de contrôle en cas d’usage non conforme.
La Cour considère que le fait générateur du paiement de ces frais est bien la fourniture du service de stationnement. L’automobiliste qui s’acquitte de ces frais « a bénéficié d’un emplacement ou d’une zone de stationnement ». Le montant forfaitaire de contrôle n’est donc pas une sanction autonome, mais une composante du prix global du service, dont le montant varie selon les modalités d’utilisation de celui-ci. Le lien direct est ainsi établi, car le paiement des frais de contrôle est indissociable de la prestation de stationnement, même si celle-ci a été utilisée de manière irrégulière. Cette analyse confirme que la réalité économique de l’opération prime sur la séquence temporelle ou la cause immédiate du paiement.
B. L’indifférence de la qualification nationale de pénalité
La société exploitante faisait valoir que les frais de contrôle constituaient en droit danois une pénalité, ce qui devait les exclure du champ de la TVA. La Cour écarte cet argument en réaffirmant un principe fondamental du système commun de TVA : la qualification d’une opération au regard du droit de l’Union est indépendante de l’appréciation portée en droit national. Le fait que ces sommes soient qualifiées de pénalités ou que leur montant soit prédéterminé et sans lien avec le coût marginal du service est sans pertinence pour l’application de la directive.
Cette position, déjà affirmée dans l’arrêt du 22 novembre 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia (C-295/17), est ici appliquée avec rigueur. La Cour s’attache à la substance économique de la transaction. Les frais de contrôle, qui représentaient une part significative du chiffre d’affaires de la société, ne sont pas une indemnité visant à réparer un préjudice, mais une rémunération contractuelle qui couvre les coûts d’exploitation générés par une utilisation non conforme du service et assure la rentabilité de l’activité. Ainsi, en se concentrant sur la réalité économique et commerciale, la Cour assure une application uniforme de la TVA et empêche que des qualifications nationales ne créent des distorsions.
Après avoir ainsi solidement ancré les frais de contrôle dans la catégorie des prestations de services à titre onéreux, la Cour en précise la portée en distinguant cette situation d’autres hypothèses jurisprudentielles.
**II. La portée de la solution : une clarification de la notion de contrepartie**
L’arrêt apporte un éclairage essentiel en délimitant le champ de la contrepartie imposable. Il insiste sur la nécessité que le service ait été effectivement fourni (A), ce qui renforce par contrecoup le principe de neutralité fiscale (B).
A. La condition déterminante de la fourniture effective du service
La société exploitante et la Commission européenne invoquaient la jurisprudence issue de l’arrêt du 18 juillet 2007, Société thermale d’Eugénie-les-Bains (C-277/05), pour soutenir que les frais ne pouvaient être une contrepartie, car ils ne conditionnaient pas la fourniture du service. Dans cette affaire, les arrhes conservées par un hôtelier après l’annulation d’une réservation par un client avaient été jugées non imposables, car elles indemnisaient le préjudice subi du fait de la défaillance du client, sans être la contrepartie d’un service effectivement rendu.
La Cour opère ici une distinction décisive : « dans le cadre de l’affaire au principal, la prestation de mise à disposition d’un emplacement de stationnement a bien été effectuée ». Contrairement à la situation des arrhes où le service hôtelier n’est jamais fourni, l’automobiliste en infraction a bien bénéficié du service de stationnement. Les frais de contrôle ne sont donc pas une indemnité pour un service non consommé, mais une rémunération complémentaire pour un service qui a été rendu, fût-ce dans des conditions non conformes au contrat initial. La Cour souligne ainsi que la condition essentielle pour qu’il y ait prestation de services imposable est que le bénéficiaire ait effectivement reçu quelque chose en échange de son paiement.
B. Le renforcement de la neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée
En soumettant les frais de contrôle à la TVA, la Cour assure le respect du principe de neutralité fiscale. Ce principe, qui est au cœur du système commun de TVA, vise à ce que les entreprises ne supportent pas le poids de la taxe et à éviter les distorsions de concurrence. Si les frais de contrôle étaient exonérés, une part substantielle des revenus de l’opérateur échapperait à l’impôt, créant une rupture d’égalité entre les opérateurs économiques. Un exploitant pourrait être tenté de fixer une redevance de stationnement très faible, voire nulle, et de tirer l’essentiel de ses revenus de frais de contrôle non taxés, ce qui fausserait la concurrence.
La décision garantit que l’ensemble de la rémunération perçue en lien avec l’activité économique de stationnement est soumise à la TVA. Elle confirme que toute somme perçue d’un client dans le cadre d’une relation contractuelle, et qui est directement liée à la prestation principale, doit être traitée comme une partie du prix total et donc être taxée. La solution retenue est donc non seulement conforme à la logique économique de l’opération, mais elle est également impérative pour préserver la cohérence et la neutralité du système commun de TVA.