Cour de justice de l’Union européenne, le 20 juillet 2017, n°C-287/16

Un accident mortel de la circulation survient, impliquant une automobile et un motocycle. La caisse d’assurance de la victime conduisant le motocycle, après avoir indemnisé ses ayants droit, se retourne contre le propriétaire du véhicule automobile et le fonds de garantie national. Ces derniers opposent l’existence d’un contrat d’assurance valide couvrant la responsabilité civile du véhicule impliqué. L’assureur, appelé en cause, conteste la validité de ce contrat, arguant de fausses déclarations initiales du preneur d’assurance, qui aurait menti sur son identité en tant que propriétaire et conducteur habituel du véhicule.

La juridiction de première instance a jugé le contrat d’assurance non valide et a considéré ce défaut de validité comme opposable aux victimes. En appel, le Tribunal da Relação do Porto, le 21 janvier 2016, a confirmé l’invalidité du contrat mais a jugé cette dernière inopposable aux victimes. Saisie d’un pourvoi par l’assureur, la Cour suprême du Portugal, confrontée à des divergences au sein de sa propre jurisprudence sur l’opposabilité de la nullité du contrat d’assurance aux tiers victimes, a décidé de surseoir à statuer. Elle a ainsi posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.

Il était demandé à la Cour si le droit de l’Union, et plus précisément les directives relatives à l’assurance de la responsabilité civile automobile, s’oppose à une législation nationale permettant d’opposer à un tiers victime la nullité d’un contrat d’assurance, lorsque cette nullité découle de fausses déclarations intentionnelles du preneur d’assurance concernant l’identité du propriétaire et du conducteur habituel du véhicule.

À cette question, la Cour répond par l’affirmative. Elle juge que l’article 3, paragraphe 1, de la première directive et l’article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive « doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soit opposable aux tiers victimes […] la nullité d’un contrat d’assurance de responsabilité civile automobile résultant de fausses déclarations initiales du preneur d’assurance ». La Cour réaffirme ainsi avec force le principe de protection des victimes d’accidents de la circulation, en neutralisant les exceptions tirées du droit national des contrats qui porteraient atteinte à cet objectif.

Cette solution conduit à examiner la primauté de l’indemnisation des victimes sur les vices affectant le contrat d’assurance (I), avant d’analyser la portée de cette décision, qui consolide l’effet utile du droit de l’Union en la matière (II).

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I. La primauté de l’indemnisation des victimes sur les vices du contrat d’assurance

La Cour de justice fonde sa décision sur le but protecteur des directives européennes (A), ce qui la conduit à rendre inopérantes les fausses déclarations initiales du preneur d’assurance à l’égard des tiers lésés (B).

A. Le rappel d’un objectif constant : la protection des tiers victimes

La Cour rappelle d’emblée la finalité des directives sur l’assurance automobile. Celles-ci visent à garantir, d’une part, la libre circulation des véhicules et des personnes et, d’autre part, « que les victimes des accidents causés par ces véhicules bénéficieront d’un traitement comparable, quel que soit le point du territoire de l’Union où l’accident s’est produit ». Cet objectif impose aux États membres une obligation claire : s’assurer que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules soit couverte par une assurance.

S’appuyant sur une jurisprudence constante, la Cour souligne que l’article 3, paragraphe 1, de la première directive interdit à un assureur de se prévaloir de dispositions légales ou de clauses contractuelles pour refuser l’indemnisation due à un tiers victime. Le régime d’assurance obligatoire est conçu pour fonctionner comme un filet de sécurité pour les victimes, indépendamment des relations contractuelles entre l’assureur et l’assuré. Toute autre interprétation viderait de sa substance le système mis en place par le législateur de l’Union.

L’article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive ne fait que renforcer cette règle, en précisant que certaines exclusions de garantie liées au conducteur (défaut de permis, non-respect des obligations techniques) sont inopposables aux victimes. La Cour note qu’une seule dérogation existe, très strictement encadrée, concernant le passager qui monte volontairement dans un véhicule qu’il sait volé. En dehors de cette hypothèse spécifique, aucune exception ne peut être admise, ce qui démontre la volonté de créer un régime d’indemnisation quasi automatique pour le tiers victime.

B. L’indifférence des fausses déclarations initiales du preneur d’assurance

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour en déduit logiquement que les manœuvres du preneur d’assurance lors de la souscription du contrat ne sauraient rejaillir sur le droit à indemnisation de la victime. La circonstance que le contrat ait été conclu « sur la base d’omissions ou de fausses déclarations de la part du preneur d’assurance n’est pas de nature à lui permettre de se prévaloir de dispositions légales sur la nullité du contrat et de l’opposer au tiers victime ». Le dol ou la fraude affectant la formation du contrat reste une question interne à la relation entre l’assureur et son cocontractant.

De même, le fait que le conducteur habituel ne soit pas celui désigné dans la police est jugé sans pertinence. La Cour réitère sa position selon laquelle un véhicule reste assuré au sens des directives même s’il est conduit par une personne non mentionnée au contrat. L’obligation d’assurance porte sur le véhicule lui-même, en tant qu’instrument potentiel de dommage, et non sur une liste limitative de conducteurs. L’objectif de protection des victimes l’emporte sur les considérations liées à l’évaluation du risque par l’assureur.

Enfin, la Cour écarte l’argument tiré du défaut d’intérêt économique du souscripteur. Une telle condition, prévue par le droit national portugais, relève des conditions de validité du contrat. Or, si les États membres sont libres de régir ces aspects, ils doivent le faire dans le respect du droit de l’Union et sans priver les directives de leur effet utile. Une règle nationale qui, en sanctionnant l’absence d’intérêt, aboutit à priver la victime de son indemnisation, est contraire à cet objectif.

La décision renforce ainsi la dissociation entre la validité du contrat d’assurance et le droit à indemnisation de la victime, ce qui consolide l’architecture du droit de l’Union en la matière.

II. La portée de la solution : une consolidation de l’effet utile du droit de l’Union

En faisant prévaloir l’objectif d’indemnisation, la Cour subordonne clairement les règles de validité des contrats du droit national aux finalités des directives (A) et, par conséquent, limite strictement le champ d’intervention du fonds de garantie (B).

A. La subordination des conditions de validité du droit national à l’objectif des directives

La Cour reconnaît que les conditions de validité d’un contrat d’assurance, telles que l’absence de fausse déclaration ou l’existence d’un intérêt à agir, sont en principe régies par le droit des États membres. L’harmonisation européenne en matière d’assurance automobile n’a pas pour objet de créer un code européen des contrats d’assurance. Cependant, cette compétence nationale n’est pas absolue et doit s’exercer dans le respect des objectifs fixés par le droit de l’Union.

La Cour constate que des dispositions nationales prévoyant la nullité du contrat pour fausse déclaration ou défaut d’intérêt sont « susceptibles d’entraîner l’absence d’indemnisation des tiers victimes et, par conséquent, de porter atteinte à l’effet utile desdites directives ». L’effet utile, principe cardinal d’interprétation du droit de l’Union, commande que les normes nationales ne puissent faire obstacle à la pleine efficacité des règles européennes. En l’espèce, autoriser un assureur à opposer la nullité du contrat à la victime reviendrait à anéantir le droit à indemnisation que les directives ont précisément pour but de garantir.

Cette solution illustre une hiérarchie matérielle des normes. Bien que les États conservent leur compétence formelle en droit des contrats, l’exercice de cette compétence est limité par les exigences du droit de l’Union. La protection des victimes d’accidents de la route est érigée en impératif supérieur qui paralyse l’application de certaines sanctions du droit commun des contrats, du moins dans les rapports entre l’assureur et le tiers lésé. L’assureur conserve ses recours contre le preneur d’assurance fautif, mais il ne peut se décharger de son obligation principale d’indemnisation.

B. Le cantonnement du rôle du fonds de garantie à une intervention subsidiaire

L’un des arguments soulevés devant les juridictions nationales était que la victime restait protégée par l’intervention du fonds de garantie automobile. La Cour rejette fermement cette analyse en précisant la nature de cet organisme. L’intervention du fonds de garantie est conçue « comme une mesure de dernier recours ». Elle n’est prévue que dans l’hypothèse où le véhicule responsable n’est pas couvert par l’obligation d’assurance, c’est-à-dire principalement en l’absence totale de contrat ou lorsque le responsable n’est pas identifié.

Or, dans le cas d’espèce, un contrat d’assurance a bien été conclu. Bien que vicié dans sa formation, ce contrat existe matériellement. La Cour souligne qu’un véhicule conduit par une personne non désignée au contrat ne peut être considéré comme non assuré. Il en va de même pour un véhicule couvert par un contrat entaché de nullité. La situation ne relève donc pas du champ de compétence du fonds de garantie, mais bien de l’assureur qui a perçu une prime en contrepartie de la couverture d’un risque.

En cantonnant ainsi le fonds de garantie à un rôle strictement subsidiaire, la Cour renforce la responsabilité première des compagnies d’assurances. Elle évite que le fonds ne devienne un mécanisme de substitution permettant aux assureurs de se défausser de leurs obligations en invoquant des irrégularités contractuelles. Cette interprétation est cohérente avec la logique économique du système, qui repose sur la mutualisation du risque par les assureurs, et non sur une solidarité nationale intervenant en première ligne. La charge de l’indemnisation pèse sur celui qui a contractuellement accepté de la couvrir.

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Hassan KOHEN
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