Cour de justice de l’Union européenne, le 20 juillet 2017, n°C-416/16

Dans un arrêt de principe, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser les contours de la notion de transfert d’entreprise au sens de la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001. En l’espèce, une municipalité avait procédé à la dissolution d’une de ses entreprises, avant d’en reprendre une partie des activités en régie directe et d’en transférer l’autre partie à une nouvelle structure municipale créée à cet effet. Un salarié, dont le contrat de travail était suspendu au moment de cette réorganisation, a saisi les juridictions nationales afin de voir ses droits maintenus en application du droit de l’Union relatif aux transferts d’entreprises. Le tribunal de première instance portugais, confronté à l’interprétation de la directive, a alors décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait pour la Cour de déterminer, d’une part, si une telle restructuration impliquant des entités de droit public pouvait constituer un transfert d’entreprise et, d’autre part, si un salarié dont le contrat est suspendu pouvait bénéficier de la protection accordée par la directive. La Cour de justice répond par l’affirmative à ces deux interrogations, considérant que l’opération relève bien du champ d’application de la directive dès lors que l’identité de l’entité économique est préservée, et que le salarié au contrat suspendu doit être considéré comme un travailleur au sens du texte, sous réserve des vérifications factuelles laissées à l’appréciation de la juridiction de renvoi.

La solution retenue par la Cour de justice consacre une interprétation extensive de la notion de transfert d’entreprise, indifférente aux montages juridiques et au statut public des entités concernées (I), tout en réaffirmant une conception large du statut de travailleur protégé par la directive (II).

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I. L’interprétation extensive du transfert d’entreprise aux restructurations publiques

La Cour de justice adopte une approche fonctionnelle du transfert, qui transcende à la fois la nature juridique de l’opération (A) et confie au juge national le soin d’en vérifier la matérialité (B).

A. La prévalence de la continuité de l’entité économique

La Cour affirme sans ambiguïté qu’une opération de restructuration administrative, même complexe, peut relever de la directive. Elle juge qu’« une situation dans laquelle une entreprise municipale, dont l’unique actionnaire est une municipalité, est dissoute par décision de l’organe exécutif de cette municipalité et dont les activités sont transférées en partie à ladite municipalité, pour être exercées directement par cette dernière, et en partie à une autre entreprise municipale reconstituée à cette fin, dont cette même municipalité est également l’unique actionnaire, relève du champ d’application de ladite directive ». Par cette position, la Cour neutralise la forme juridique de l’opération, telle qu’une dissolution suivie d’une reprise, pour se concentrer sur son résultat concret. Peu importe que les activités soient scindées entre deux entités réceptrices, dont l’une est l’entité mère et l’autre une création nouvelle. L’essentiel réside dans la poursuite de l’activité économique, conformément à l’objectif de la directive qui est d’assurer la continuité des relations de travail. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui privilégie la substance économique sur l’habillage juridique, afin d’éviter que la protection des travailleurs ne soit éludée par des montages formels.

B. L’appréciation souveraine de la conservation de l’identité par le juge national

La Cour module toutefois sa solution en posant une condition essentielle : le transfert n’est avéré « qu’à condition que l’identité de l’entreprise en cause soit maintenue après le transfert, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer ». La Cour de justice fournit ainsi le cadre d’interprétation, mais renvoie l’application concrète au juge national. C’est à ce dernier qu’il revient d’examiner, au regard des faits de l’espèce, si l’entité économique a conservé son identité. Cet examen s’appuie sur un faisceau d’indices classiques, tels que la nature des activités exercées, le transfert ou non d’éléments d’actifs corporels ou incorporels, la reprise ou non de l’essentiel des effectifs, ou encore la poursuite des relations avec la clientèle. Ce renvoi illustre le dialogue des juges et la répartition des compétences entre la Cour de justice et les juridictions nationales. Il garantit une application de la directive adaptée aux spécificités de chaque cas, tout en maintenant une interprétation uniforme du droit de l’Union.

II. L’inclusion du salarié au contrat suspendu dans le champ de protection

Après avoir défini le cadre du transfert, la Cour se penche sur la situation personnelle du demandeur et confirme une vision inclusive du travailleur (A), tout en la conditionnant à la protection conférée par le droit interne (B).

A. La définition du travailleur indépendante de l’exécution effective du travail

La Cour de justice estime qu’« une personne, telle que le requérant au principal, qui, en raison de la suspension de son contrat de travail, n’exerce pas ses fonctions de manière effective relève de la notion de “travailleur” ». Cette interprétation est fondamentale, car elle déconnecte la qualité de travailleur de la prestation de travail active. Ce qui importe n’est pas la présence physique ou l’accomplissement de tâches au moment du transfert, mais bien l’existence d’un lien contractuel de travail. La suspension du contrat, quelle qu’en soit la cause, ne rompt pas ce lien et ne saurait donc priver le salarié du bénéfice de la directive. Une solution contraire créerait une discrimination injustifiée envers les salariés en congé maladie, en congé maternité ou en congé parental, vidant de sa substance une partie de la protection sociale organisée par le droit du travail. La Cour assure ainsi que les droits découlant du contrat de travail sont transférés au cessionnaire, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive.

B. La protection conditionnée par le statut reconnu en droit national

Cependant, la Cour précise que cette qualification de « travailleur » s’applique « dans la mesure où elle apparaît être protégée en tant que travailleur par la législation nationale concernée, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier ». La portée de la protection issue du droit de l’Union est ainsi expressément articulée avec le droit national. La directive ne crée pas une définition autonome et universelle du travailleur, mais s’appuie sur les qualifications existantes dans les ordres juridiques des États membres. Si le droit national ne reconnaît plus la qualité de travailleur à un salarié dont le contrat est suspendu, ce dernier ne pourrait se prévaloir de la directive. Cette approche, si elle respecte les compétences nationales en matière de droit du travail, pourrait potentiellement introduire des disparités de traitement entre les travailleurs européens selon l’État membre concerné. Néanmoins, en pratique, la plupart des législations nationales maintiennent le statut de travailleur durant les périodes de suspension du contrat, ce qui rend la solution de la Cour protectrice dans la grande majorité des cas.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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