Cour de justice de l’Union européenne, le 20 juin 2013, n°C-20/12

Par une décision rendue le 20 juin 2013, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la compatibilité d’une condition de résidence avec la libre circulation des travailleurs. Des étudiants résidant hors du territoire luxembourgeois, mais dont un parent y exerçait une activité salariée, sollicitèrent une aide financière pour leurs études supérieures. Le ministre compétent rejeta ces demandes en invoquant le non-respect de la condition de résidence imposée par la loi nationale modifiée du 22 juin 2000. Saisi de plusieurs recours en annulation, le tribunal administratif de Luxembourg décida de surseoir à statuer le 11 janvier 2012 pour interroger la juridiction européenne à titre préjudiciel. Les requérants soutenaient que cette aide constituait un avantage social dont le bénéfice devait leur être ouvert sans distinction fondée sur leur domicile effectif. L’État défendeur arguait que cette restriction servait l’objectif de porter à quarante pour cent la proportion de diplômés au sein de la population résidente active. La juridiction de renvoi demanda alors si l’article 7 paragraphe 2 du règlement numéro 1612/68 s’opposait à une législation nationale subordonnant l’octroi de l’aide à la résidence. La Cour de justice répond qu’une telle mesure constitue une discrimination indirecte disproportionnée par rapport à l’objectif de développement économique poursuivi par l’État membre. Le commentaire s’articulera autour de la reconnaissance d’une discrimination indirecte, avant d’analyser le caractère excessif de la condition de résidence imposée par le législateur.

I. La caractérisation d’une discrimination indirecte à l’égard des travailleurs frontaliers

A. L’inclusion du financement des études dans la notion d’avantage social

La Cour rappelle d’emblée que l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prohibe toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs. Le règlement numéro 1612/68 précise cette règle en garantissant aux travailleurs migrants le bénéfice des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. La jurisprudence considère traditionnellement qu’une aide financière pour la poursuite d’études universitaires entre dans le champ d’application de cette disposition protectrice. Selon les termes de la décision, « une aide accordée pour l’entretien et pour la formation, en vue de la poursuite d’études universitaires […] constitue un avantage social ». Ce droit s’étend aux membres de la famille du travailleur dès lors que ce dernier continue de pourvoir effectivement à leur entretien courant. L’étudiant peut ainsi se prévaloir directement de l’égalité de traitement pour obtenir le financement prévu par la législation de l’État d’emploi de son parent.

B. L’existence d’une différence de traitement fondée sur le critère de la résidence

La loi nationale impose une condition de domicile identique aux nationaux et aux ressortissants des autres États membres pour l’accès aux bourses d’études supérieures. Si cette règle ne semble pas discriminatoire de prime abord, elle désavantage en réalité les non-nationaux qui constituent la majorité des travailleurs frontaliers non-résidents. La Cour relève qu’une mesure prévoyant une distinction fondée sur la résidence « risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d’autres États membres ». L’inégalité de traitement constatée à l’égard des enfants de travailleurs frontaliers constitue alors une discrimination indirecte en principe prohibée par le droit de l’Union. Une telle entrave ne saurait être admise que si elle se fonde sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées. L’analyse se déplace vers la justification de cette mesure au regard des buts de politique sociale et budgétaire affichés par l’autorité publique.

II. L’invalidité de l’exigence de résidence au regard du principe de proportionnalité

A. La reconnaissance de la légitimité de l’objectif de politique éducative

L’État luxembourgeois justifie la restriction de l’aide par la volonté d’augmenter significativement la part des diplômés du supérieur au sein de sa population résidente active. La Cour admet que « la promotion de la poursuite d’études supérieures est un objectif d’intérêt général, reconnu au niveau de l’Union ». Cette action vise à assurer un niveau de formation élevé de la population locale pour favoriser la transition vers une économie de la connaissance. La juridiction européenne reconnaît que la condition de résidence est propre à garantir la réalisation de cet objectif social et économique légitime. Elle postule qu’un étudiant résidant déjà sur le territoire présente une probabilité plus forte de s’y installer durablement après l’obtention de son diplôme. Le critère choisi semble apte à renforcer le marché du travail national en conservant les compétences acquises grâce au financement public généreusement octroyé.

B. Le caractère disproportionné de l’exclusivité du critère de résidence

La mesure doit cependant respecter le principe de nécessité en ne dépassant pas ce qui est strictement requis pour atteindre le but recherché par l’État. La Cour juge que le régime national présente un caractère trop exclusif en érigeant la résidence préalable comme seule preuve possible du lien d’intégration. Selon le texte, « une condition de résidence peut être disproportionnée si elle présente un caractère trop exclusif en ce qu’elle privilégie indûment un élément » unique. Le législateur aurait pu envisager des solutions moins restrictives, comme la prise en compte de la durée d’activité professionnelle des parents dans l’État concerné. L’octroi d’un prêt dont le remboursement serait annulé en cas d’installation ultérieure dans l’État d’emploi aurait également permis d’assurer un rattachement suffisant. L’exigence de résidence préalable ignore d’autres éléments représentatifs du lien réel unissant le demandeur à la société nationale et au marché du travail local.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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