Cour de justice de l’Union européenne, le 20 juin 2013, n°C-259/12

En l’espèce, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, rendu par la huitième chambre, vient préciser les conditions dans lesquelles un État membre peut sanctionner un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée pour des manquements déclaratifs. En l’occurrence, une société avait bénéficié d’une déduction de taxe sur une facture qui fut par la suite annulée. La société n’a cependant pas immédiatement répercuté cette annulation dans sa comptabilité pour la période fiscale correspondante, mais seulement deux mois plus tard. Bien qu’elle se soit acquittée de l’intégralité de la taxe indûment déduite, majorée des intérêts de retard, l’administration fiscale nationale lui a infligé une amende équivalente au montant total de cette taxe.

Saisi d’un recours contre cette sanction, le juge de première instance a annulé la décision pour une irrégularité procédurale. L’administration fiscale a alors formé un pourvoi devant une juridiction administrative supérieure. Cette dernière, confrontée à l’argument selon lequel une telle sanction serait contraire aux principes de neutralité fiscale et de proportionnalité du droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer. Elle a ainsi posé à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. Il s’agissait essentiellement de déterminer si le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale prévoyant une sanction pécuniaire d’un montant égal à celui de la taxe, pour une simple déclaration tardive, alors même que l’assujetti a de lui-même régularisé sa situation et que le Trésor public n’a subi aucun préjudice financier final. La Cour de justice répond que si le principe de neutralité fiscale ne fait pas obstacle à une telle sanction, il appartient au juge national de s’assurer que son montant respecte le principe de proportionnalité. La décision de la Cour conforte ainsi le pouvoir de sanction des États membres pour assurer le respect des obligations fiscales (I), tout en le subordonnant à un contrôle strict de proportionnalité exercé par les juridictions nationales (II).

I. La confirmation du pouvoir de sanction des États membres au service de l’effectivité de la TVA

La Cour de justice reconnaît la légitimité pour un État membre de mettre en place un arsenal répressif pour garantir la bonne application du système de la taxe sur la valeur ajoutée. Elle estime que cette prérogative est nécessaire à l’exacte perception de l’impôt (A) et qu’elle ne se heurte pas, en l’espèce, au principe de neutralité fiscale (B).

A. Une sanction jugée nécessaire à l’exacte perception de l’impôt

La Cour rappelle d’abord que les États membres disposent d’une compétence pour déterminer les sanctions applicables en cas de non-respect des obligations prévues par la directive TVA. En vertu de l’article 273 de cette dernière, ils peuvent prévoir les obligations « qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude ». L’instauration d’une amende pour déclaration tardive participe de cette logique. Elle vise à inciter les assujettis à une grande diligence dans leurs obligations comptables et déclaratives, lesquelles sont le corollaire indispensable au bon fonctionnement du mécanisme de déduction.

Le système de régularisation des déductions, prévu aux articles 184 et suivants de la directive, constitue en effet un pilier du régime de la TVA, garantissant l’exactitude de l’impôt collecté. Une sanction pour non-respect des délais de régularisation tend donc à assurer l’efficacité de ce mécanisme et, par conséquent, la correcte perception de la taxe. La Cour considère ainsi qu’une telle mesure poursuit un objectif légitime, conforme aux exigences de la directive. En l’espèce, le fait que la législation nationale prévoie une sanction graduée, augmentant avec la durée du retard, est perçu comme un instrument apte à « inciter les assujettis à régulariser aussi rapidement que possible les déductions qui ont été opérées mais n’ont plus de fondement ».

B. Une mesure non contraire au principe de neutralité fiscale

Face à l’argument selon lequel une amende égale au montant de l’impôt violerait le principe de neutralité, la Cour opère une distinction fondamentale. Elle juge que ce principe s’oppose à ce que des opérateurs réalisant les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la TVA, mais qu’il ne saurait faire obstacle à une sanction réprimant un comportement fautif. L’amende litigieuse n’est pas une taxe supplémentaire sur l’opération économique elle-même, mais la conséquence d’une infraction aux règles déclaratives.

La Cour souligne ainsi que « l’amende pécuniaire en cause dans le litige au principal n’est pas infligée en raison d’une opération quelconque, mais du fait d’une rectification tardive par l’assujetti d’une déduction qu’il avait opérée et qui a perdu son fondement ». Dès lors, un assujetti qui respecte ses obligations déclaratives ne se trouve pas dans la même situation qu’un assujetti qui y manque, même si ce dernier régularise sa situation ultérieurement. La différence de traitement, matérialisée par la sanction, est donc justifiée au regard de l’objectif de bonne administration du système fiscal. Le principe de neutralité ne peut être invoqué pour se soustraire aux conséquences d’un manquement formel.

Ayant ainsi validé le principe même de la sanction au regard du droit de l’Union, la Cour en examine ensuite les modalités d’application, en confiant au juge national le soin d’en vérifier le caractère mesuré.

II. Le contrôle de proportionnalité de la sanction, office du juge national

Si le pouvoir de sanctionner est reconnu aux États, il n’est pas discrétionnaire. La Cour rappelle qu’il doit s’exercer dans le respect des principes généraux du droit de l’Union, au premier rang desquels figure le principe de proportionnalité. Elle fixe ainsi les critères de cette appréciation (A) avant de souligner l’importance de la distinction à opérer entre l’erreur et la fraude (B).

A. Les critères de l’appréciation de la proportionnalité

La Cour énonce clairement que les sanctions ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés, à savoir l’exacte perception de la taxe et la prévention de la fraude. Pour déterminer si une sanction est proportionnée, il appartient au juge national de prendre en considération « la nature et de la gravité de l’infraction que cette sanction vise à pénaliser, ainsi que des modalités de détermination du montant de celle-ci ». Cette analyse doit être menée concrètement, au regard des faits de l’espèce.

Dans son dispositif, la Cour affine cette grille d’analyse et invite la juridiction de renvoi à évaluer spécifiquement « le délai dans lequel l’irrégularité a été rectifiée, la gravité de cette irrégularité et l’éventuelle existence d’une fraude ou d’un contournement de la législation applicable imputable à l’assujetti ». Le fait que l’assujetti ait spontanément corrigé son erreur et acquitté l’impôt dû avec les intérêts de retard constitue une circonstance essentielle. L’absence de préjudice financier pour le budget de l’État doit peser de manière significative dans l’appréciation du juge. Une sanction d’un montant de 100 % de la taxe pourrait ainsi être jugée disproportionnée pour un simple retard de deux mois, en l’absence de toute intention frauduleuse.

B. La distinction impérative entre l’erreur et la fraude

La Cour de justice prend soin de tracer une ligne directrice fondamentale pour l’appréciation du juge national en rappelant qu’un simple manquement formel ne peut être assimilé d’office à une manœuvre frauduleuse. Elle souligne à cet égard qu’« un acquittement tardif de la TVA ne saurait être, per se, assimilé à une fraude ». Cette précision est déterminante, car elle oblige le juge à rechercher si le comportement de l’assujetti relevait d’une simple négligence ou d’une volonté délibérée de se soustraire à l’impôt.

En l’absence de fraude avérée, une sanction aussi lourde que celle prévue par la loi nationale apparaît difficilement justifiable au regard de la seule gravité de l’infraction commise. La régularisation spontanée par l’assujetti, qui a de lui-même annulé les effets de son erreur, devrait conduire le juge national à considérer la sanction comme excessive. L’arrêt confère ainsi au juge un pouvoir modérateur essentiel, lui permettant d’écarter une sanction légale qui, appliquée automatiquement, produirait des effets contraires au principe de proportionnalité, en particulier lorsque l’erreur a été commise de bonne foi et intégralement réparée.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture