Cour de justice de l’Union européenne, le 20 juin 2013, n°C-269/12

Par un arrêt rendu par sa quatrième chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions de persistance de l’intérêt à agir d’un plaignant dans le cadre d’un litige en droit de la concurrence. En l’espèce, un joueur de tennis professionnel avait fait l’objet d’une sanction pour une infraction aux règles antidopage, sanction qu’il a contestée. Il a ensuite déposé une plainte auprès de la Commission, alléguant que les règles antidopage en question, édictées par plusieurs organismes sportifs, constituaient des pratiques anticoncurrentielles en violation des articles 81 CE et 82 CE. La Commission a rejeté cette plainte pour défaut d’intérêt communautaire suffisant, estimant que la probabilité d’établir une infraction était faible et que des investigations approfondies représenteraient un investissement disproportionné.

Le joueur a alors formé un recours en annulation de cette décision de rejet devant le Tribunal de l’Union européenne. Or, au cours de cette instance, l’intéressé a mis un terme à sa carrière de joueur de tennis professionnel. Le Tribunal a, par conséquent, prononcé un non-lieu à statuer, jugeant que le requérant avait perdu son intérêt né et actuel à la poursuite de la procédure du fait de sa retraite sportive. Le requérant a formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant notamment que son intérêt à agir persistait, dans la mesure où l’annulation de la décision de la Commission était un préalable indispensable à une action en réparation du préjudice subi.

Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si un opérateur économique, ayant cessé son activité sur le marché concerné, conserve un intérêt né et actuel à contester la décision de la Commission rejetant sa plainte pour pratiques anticoncurrentielles, notamment au regard de la possibilité d’une future action en réparation. La Cour de justice répond par la négative, considérant que l’éventualité d’une telle action présentait un caractère trop hypothétique pour fonder le maintien de l’intérêt à agir. La solution retenue par la Cour repose sur une application rigoureuse de la condition de l’intérêt à agir (I), dont l’appréciation restrictive soulève des interrogations quant à sa portée pratique (II).

***

I. La confirmation de l’exigence d’un intérêt à agir né et actuel

La Cour de justice confirme la position du Tribunal en rappelant que l’intérêt à agir doit non seulement exister au moment de l’introduction du recours, mais également perdurer jusqu’au prononcé de la décision. Elle valide l’analyse selon laquelle cet intérêt doit être apprécié au regard de la qualité spécifique du requérant (A) et considère que la cessation de son activité professionnelle a eu un effet dirimant sur le maintien de cet intérêt (B).

A. L’appréciation de l’intérêt à agir au regard de la qualité du requérant

La Cour rappelle d’abord la jurisprudence constante selon laquelle l’intérêt à agir suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté. En l’espèce, les griefs du requérant étaient intrinsèquement liés à sa situation de sportif professionnel. La Cour souligne ainsi que c’est à bon droit que le Tribunal a constaté que les allégations « avaient clairement été formulées du fait de la qualité spécifique de joueur de tennis professionnel du requérant ». Cette qualité constituait le fondement même de sa démarche, puisque la plainte visait des règles qui restreignaient, selon lui, la concurrence entre les joueurs de tennis professionnels.

Dès lors que le requérant avait quitté le circuit professionnel, l’annulation de la décision de la Commission et un éventuel réexamen de sa plainte ne pouvaient plus lui procurer de bénéfice direct et certain en lien avec son activité. La Cour approuve donc le Tribunal d’avoir estimé qu’un possible retour à la compétition relevait d’une « situation future et incertaine » et ne suffisait pas à caractériser un intérêt actuel à la poursuite de l’instance. La perte de la qualité sur laquelle reposait le recours initial apparaît donc comme l’élément central de l’analyse.

B. Le caractère dirimant de la cessation de l’activité professionnelle

La cessation de l’activité professionnelle n’a pas été considérée comme un simple changement de circonstances, mais comme l’événement qui a privé le recours de son objet principal. Le bénéfice escompté par le requérant était de pouvoir exercer sa profession sans être soumis à des règles qu’il jugeait anticoncurrentielles. Or, en se retirant du marché pertinent, il ne subissait plus directement les effets des pratiques dénoncées. La Cour valide ainsi le raisonnement qui fait de la participation active au marché une condition implicite du maintien de l’intérêt à agir dans une telle configuration.

Cette approche se justifie par le souci de ne pas statuer sur des questions devenues théoriques pour le requérant. Le contentieux de l’annulation vise à faire disparaître un acte de l’ordonnancement juridique, mais cette annulation doit présenter un intérêt concret pour celui qui la demande. En l’absence de participation au marché, cet intérêt concret s’est évaporé, et la Cour refuse de se prononcer sur la légalité d’une décision dont les effets directs sur le requérant ont disparu. La décision illustre ainsi une conception pragmatique de l’intérêt à agir, étroitement liée à la situation personnelle et actuelle du plaignant.

II. La portée de la solution au regard du contentieux de la concurrence

En écartant l’argument tiré de l’action en réparation, la Cour adopte une vision restrictive de l’intérêt à agir (A), ce qui pourrait avoir des conséquences significatives pour les plaignants qui ont été évincés du marché par les pratiques qu’ils dénoncent (B).

A. L’intérêt à agir et la perspective d’une action en responsabilité

Le requérant soutenait que son intérêt à agir persistait car l’annulation de la décision de rejet de la Commission était un préalable à une action en réparation contre les organismes sportifs. En principe, la jurisprudence admet qu’un intérêt à agir peut être conservé si l’annulation de l’acte attaqué est susceptible de fonder un recours en responsabilité. Toutefois, la Cour se montre ici particulièrement exigeante quant à la réalité de cette perspective.

Elle confirme l’appréciation du Tribunal selon laquelle la possibilité qu’une nouvelle décision de la Commission, après annulation, puisse servir de base à un recours en indemnité était, en l’espèce, purement hypothétique. La Cour relève que le requérant n’a pas réussi à identifier une erreur de droit dans le raisonnement du Tribunal qui avait qualifié cette éventualité de « situation future et incertaine ». En jugeant que le lien entre l’annulation demandée et le succès d’une future action en réparation était trop ténu, la Cour établit une distinction nette entre un intérêt potentiel et un intérêt né et actuel. Un simple espoir d’obtenir réparation ne suffit pas si les conditions pour engager une telle action ne sont pas établies avec une probabilité suffisante.

B. Une conception restrictive de l’intérêt à agir du plaignant évincé du marché

La solution retenue, bien que logiquement fondée sur les faits de l’espèce, pourrait créer une situation délicate pour les victimes de pratiques anticoncurrentielles. En effet, il est fréquent qu’une entreprise ou un professionnel soit contraint de cesser son activité précisément à cause des pratiques qu’il dénonce. Dans une telle hypothèse, l’application stricte de la condition de présence sur le marché pourrait le priver de son droit de contester une décision de la Commission rejetant sa plainte.

En exigeant que l’intérêt à agir perdure jusqu’au jugement, et en appréciant de manière très restrictive l’intérêt lié à une action en réparation, la Cour risque de fermer une voie de recours à ceux qui ont le plus souffert des entraves à la concurrence. Le temps procédural, souvent long, peut jouer contre le plaignant qui, entre-temps, a été économiquement contraint de se retirer. La décision illustre ainsi la tension entre la nécessité d’un intérêt né et actuel, qui vise à éviter les recours abstraits, et le droit à un recours effectif pour celui qui s’estime lésé par une infraction au droit de la concurrence, même s’il n’est plus un acteur direct du marché.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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