Par un arrêt rendu par sa quatrième chambre, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les conditions de persistance de l’intérêt à agir d’un plaignant dont la plainte pour infraction aux règles de concurrence a été rejetée par la Commission européenne.
En l’espèce, un joueur de tennis professionnel a fait l’objet d’un contrôle antidopage positif en 2005, entraînant une suspension de sa carrière. Contestant le bien-fondé de cette sanction, il a saisi le Tribunal arbitral du sport, lequel a réduit la durée de la suspension. En 2007, le sportif a déposé une plainte auprès de la Commission européenne, alléguant que les règles antidopage appliquées par diverses instances sportives internationales constituaient des pratiques anticoncurrentielles contraires aux articles 81 et 82 du traité CE. Par une décision du 12 octobre 2009, la Commission a rejeté cette plainte pour défaut d’intérêt communautaire suffisant, estimant que la probabilité d’établir une infraction était faible au regard des ressources à engager.
Le joueur a alors introduit un recours en annulation contre cette décision de rejet devant le Tribunal de l’Union européenne. Au cours de cette instance, il a mis un terme à sa carrière professionnelle. Faisant droit à une exception soulevée par la Commission, le Tribunal, par une ordonnance du 26 mars 2012, a prononcé un non-lieu à statuer, considérant que le requérant avait perdu son intérêt à obtenir l’annulation de la décision litigieuse du fait de sa retraite sportive. Un pourvoi a été formé par le sportif contre cette ordonnance devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Il était ainsi demandé à la Cour de justice de déterminer si un sportif professionnel qui a cessé son activité conserve un intérêt né et actuel à poursuivre l’annulation d’une décision de la Commission rejetant sa plainte en matière de concurrence, notamment lorsque la perspective d’une future action en réparation est considérée comme incertaine.
La Cour de justice rejette le pourvoi. Elle confirme l’analyse du Tribunal selon laquelle l’intérêt à agir, s’il doit exister au moment de l’introduction du recours, doit également perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle. Or, le bénéfice que le requérant pourrait tirer d’une annulation de la décision de rejet a disparu avec sa retraite sportive. La Cour valide également le raisonnement du Tribunal qui a qualifié d’hypothétique l’intérêt du requérant lié à une éventuelle action en responsabilité, ne pouvant suffire à maintenir son intérêt à agir.
La solution repose sur une appréciation stricte de la condition de l’intérêt à agir, dont la persistance est une exigence fondamentale (I), conduisant la Cour à en circonscrire la portée aux seules circonstances de l’espèce sans créer de principe général (II).
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I. La confirmation d’une conception rigoureuse de l’intérêt à agir
La Cour de justice rappelle que l’intérêt à la poursuite d’un recours doit être direct et certain, ce qui fait défaut lorsque le requérant a quitté le marché concerné (A) et que tout bénéfice indirect demeure purement hypothétique (B).
A. La disparition de l’intérêt direct du requérant suite à sa retraite sportive
La Cour valide l’approche du Tribunal qui a lié l’intérêt à agir du requérant à sa qualité de participant actif sur le marché du tennis professionnel. En effet, la plainte déposée auprès de la Commission et le recours subséquent visaient à contester des règles qui affectaient directement sa capacité à exercer sa profession. Le Tribunal avait relevé à bon droit que les griefs « avaient clairement été formulés du fait de la qualité spécifique de joueur de tennis professionnel du requérant ».
Dès lors que celui-ci a mis fin à sa carrière, l’annulation de la décision de la Commission et un éventuel réexamen de sa plainte ne lui procureraient plus aucun « bénéfice direct ». La situation concurrentielle sur le marché en cause est devenue sans pertinence pour sa situation personnelle et professionnelle. La Cour confirme ainsi que l’intérêt à agir doit être apprécié au regard de la situation concrète du requérant au moment où le juge statue. Toute perspective de reprise de la compétition a été jugée comme une « situation future et incertaine », inapte à fonder un intérêt actuel. Cette position réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle le recours doit, par son résultat, être susceptible de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté.
B. Le caractère hypothétique d’un intérêt indirect lié à une action en responsabilité
Le requérant soutenait conserver un intérêt à agir dans la mesure où l’annulation de la décision de rejet de sa plainte était un préalable indispensable à l’engagement d’une action en responsabilité contre les instances sportives. Cet argument est toutefois écarté par la Cour, qui confirme l’analyse du Tribunal sur ce point. L’intérêt à agir peut certes être maintenu si l’annulation de l’acte attaqué est susceptible de constituer la base d’un recours en indemnité.
Cependant, en l’espèce, le Tribunal avait estimé que cette éventualité était trop incertaine pour justifier la poursuite de la procédure. La Cour entérine cette appréciation en jugeant que la possibilité qu’une nouvelle décision de la Commission, faisant suite à l’annulation, puisse servir de fondement à une action en réparation relevait d’une « situation future et incertaine ». Cette qualification suffit à priver l’intérêt allégué de son caractère né et actuel. La Cour se montre ainsi particulièrement exigeante, refusant de reconnaître un intérêt à agir fondé sur une chaîne d’événements successifs dont la réalisation n’est pas garantie.
II. La portée limitée de la solution en raison des particularités de l’espèce
La Cour prend soin de ne pas faire de sa décision un arrêt de principe qui fermerait la voie du recours à tout acteur ayant quitté un marché. Elle fonde son rejet sur des motifs procéduraux stricts (A) et sur une lecture factuelle qui exclut toute interprétation générale (B).
A. Le rejet procédural des arguments relatifs à l’action indemnitaire
La Cour de justice déclare irrecevable le deuxième moyen du pourvoi, qui portait spécifiquement sur la nécessité d’obtenir l’annulation pour pouvoir agir en réparation. Elle motive cette décision par une règle procédurale fondamentale de la procédure de pourvoi. Un tel pourvoi, rappelle la Cour, « se limite à reproduire les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal ». Il ne répond pas à l’exigence d’identifier une erreur de droit précise commise par le juge de première instance.
Le requérant n’a pas démontré en quoi le Tribunal aurait commis une telle erreur en qualifiant d’hypothétique son intérêt lié à une action en réparation. En se contentant de réitérer son argumentation, il demandait en réalité un simple réexamen de sa requête, ce qui excède la compétence de la Cour de justice en matière de pourvoi. Ce faisant, la Cour évite de se prononcer sur le fond de l’articulation entre une procédure devant la Commission et une action civile, et ancre sa décision dans une application technique du droit du pourvoi. La solution est donc avant tout une sanction du manque de rigueur de l’argumentation du requérant au stade de l’appel.
B. L’exclusion d’une interprétation générale sur l’accès au recours des acteurs économiques
Le requérant reprochait également au Tribunal d’avoir implicitement jugé que seule une personne active sur un marché pouvait contester un refus d’accès à ce dernier. La Cour de justice réfute fermement cette lecture. Elle souligne qu’il « ne figure dans l’ordonnance attaquée aucun constat » de cette nature. Le raisonnement du Tribunal ne visait pas à établir une règle générale, mais à tirer les conséquences de la situation factuelle propre au requérant.
La Cour insiste sur le fait que la perte de l’intérêt à agir a été constatée « en raison de son retrait du circuit professionnel du tennis et des autres circonstances exceptionnelles de l’espèce ». Cette précision est essentielle car elle limite la portée de la décision. Elle signifie que la solution ne s’applique pas automatiquement à toute entreprise ou personne physique qui cesserait son activité sur un marché. L’analyse demeure casuistique et dépendra toujours des faits spécifiques, de la nature de la plainte et du bénéfice concret que le requérant peut espérer du recours. La Cour ferme ainsi la porte à une généralisation de sa solution, préservant la possibilité pour d’autres justiciables, dans des circonstances différentes, de conserver leur intérêt à agir.