Cour de justice de l’Union européenne, le 20 juin 2013, n°C-635/11

Par un arrêt rendu en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’étendue des obligations incombant à un État membre lors de la transposition d’une directive relative aux fusions transfrontalières des sociétés de capitaux.

En l’espèce, une société résultant d’une fusion transfrontalière avait établi son siège statutaire sur le territoire d’un État membre, tout en conservant des établissements, et donc des travailleurs, dans d’autres États membres de l’Union. Il est apparu que les droits de participation des travailleurs employés dans les établissements situés hors de l’État du siège social n’étaient pas identiques à ceux dont bénéficiaient les travailleurs employés sur le territoire de cet État. Une action en manquement a été initiée à l’encontre de l’État membre du siège social, au motif qu’il n’avait pas correctement transposé les dispositions de la directive 2005/56/CE relatives à la protection des droits des travailleurs.

La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si un État membre, sur le territoire duquel une société issue d’une fusion transfrontalière a son siège, est tenu d’assurer que les travailleurs de cette société situés dans d’autres États membres jouissent des mêmes droits de participation que ceux employés sur son propre territoire.

La Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant qu’« en n’ayant pas pris toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour que les travailleurs des établissements d’une société, issue d’une fusion transfrontalière et ayant son siège statutaire aux Pays-Bas, situés dans d’autres États membres bénéficient de droits de participation identiques à ceux des travailleurs employés aux Pays-Bas, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2005/56/ce ». La Cour a ainsi considéré que l’obligation de transposition pesant sur l’État membre du siège s’étend à l’ensemble des travailleurs de la société concernée, indépendamment de leur lieu de travail au sein de l’Union.

Cette décision conduit à examiner la portée de l’obligation de transposition de la directive en matière de droits des travailleurs (I), avant d’analyser les conséquences de cette interprétation exigeante sur la protection de ces droits dans un contexte de mobilité des sociétés (II).

I. L’interprétation extensive de l’obligation de transposition

La solution retenue par la Cour repose sur une lecture finaliste de la directive, qui assigne à l’État membre du siège de la société issue de la fusion une responsabilité centrale dans la protection des droits de participation (A), en consacrant ainsi une application extraterritoriale de sa législation de transposition (B).

A. La responsabilité de l’État du siège dans la protection des droits de participation

La directive 2005/56/CE vise à faciliter les fusions transfrontalières tout en prévenant le risque que de telles opérations ne servent à éluder ou à réduire les droits de participation des travailleurs. L’article 16 de ce texte organise un système de protection, en principe fondé sur le principe de non-régression par rapport au niveau de participation existant avant la fusion. Pour garantir l’effectivité de ce système, la directive fait peser sur l’État membre où la société issue de la fusion établit son siège une obligation de résultat.

Le juge de l’Union considère que la législation de cet État doit servir de matrice pour l’ensemble des relations sociales au sein de la nouvelle entité. En l’espèce, l’État membre mis en cause ne pouvait se contenter de garantir les droits des seuls travailleurs présents sur son sol. Il devait s’assurer que le cadre juridique applicable à la société issue de la fusion, qu’il résulte de la loi ou des statuts de l’entreprise, étendait le bénéfice du régime de participation national à l’ensemble des salariés européens de cette dernière.

B. La portée extraterritoriale de la législation de transposition

La Cour affirme que l’obligation découlant de l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive ne saurait être limitée par des considérations territoriales. L’État membre du siège est débiteur d’une obligation dont les effets doivent se faire sentir au-delà de ses propres frontières, dans tous les États membres où la société issue de la fusion déploie ses activités et emploie du personnel. Cette approche maximaliste est justifiée par la nécessité d’assurer une protection uniforme et cohérente des travailleurs.

Une interprétation contraire aurait permis à une société de moduler le niveau de participation de ses salariés en fonction de leur lieu d’affectation, créant ainsi une discrimination inacceptable et vidant de sa substance l’objectif de la directive. La Cour souligne donc que le manquement est constitué par l’absence de dispositions garantissant une protection homogène pour tous les travailleurs, où qu’ils se trouvent, confirmant ainsi le rôle pivot de la législation de l’État du siège social.

En établissant l’étendue de cette obligation, la Cour ne se livre pas à une simple exégèse technique ; elle renforce la cohérence du droit social européen face aux stratégies d’optimisation des entreprises.

II. Le renforcement du principe de non-régression sociale

Cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel visant à faire prévaloir les acquis sociaux face aux libertés économiques (A), en clarifiant les devoirs des législateurs nationaux dans un marché unique de plus en plus intégré (B).

A. La primauté de la protection des droits acquis des travailleurs

La valeur de cet arrêt réside dans sa réaffirmation du principe selon lequel la mobilité des sociétés ne doit pas se traduire par une régression des droits des travailleurs. En sanctionnant l’État membre pour son inaction, la Cour rappelle que les libertés économiques, telles que la liberté d’établissement, ne sont pas absolues et doivent être conciliées avec les objectifs de la politique sociale de l’Union. La participation des travailleurs est un élément essentiel du modèle social européen.

L’arrêt garantit que la fusion transfrontalière ne peut devenir un instrument de contournement des législations sociales les plus protectrices. Il envoie un signal clair : le niveau de protection offert par l’État membre d’accueil de la société fusionnée constitue un socle minimal qui doit bénéficier à tous les salariés européens de l’entité, empêchant de fait toute forme de dumping social interne à l’entreprise.

B. Les implications pour les législateurs nationaux et les entreprises

La portée de cette décision est considérable. Elle oblige les États membres à adopter une perspective résolument européenne lorsqu’ils transposent les directives en matière de droit des sociétés. Le législateur national doit anticiper les situations transfrontalières et s’assurer que ses normes internes produisent des effets juridiques pour des travailleurs situés hors de son territoire, lorsque la société qui les emploie relève de son ordre juridique.

Pour les entreprises, la solution apporte une clarification bienvenue. Lors de la planification d’une fusion transfrontalière, elles savent désormais que le régime de participation applicable sera celui, unifié, de la législation de l’État du futur siège social. Cette prévisibilité juridique, bien que contraignante, est un facteur de sécurité pour les opérations de restructuration, en définissant un cadre social clair et non discriminatoire pour l’ensemble de leurs effectifs européens.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture