Cour de justice de l’Union européenne, le 20 juin 2013, n°C-7/12

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 24 octobre 2013 s’inscrit dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation du droit de l’Union en matière d’égalité de traitement et de congé parental. Une fonctionnaire d’une administration publique lettone a bénéficié d’un congé parental d’un an et demi. Durant son absence, son employeur a procédé à une réorganisation structurelle motivée par des difficultés économiques nationales, entraînant la suppression d’un poste au sein de son département. Pour déterminer quel agent serait concerné, une évaluation des qualifications et du travail a été menée. Les agents en activité ont été évalués sur leur performance récente, tandis que la travailleuse en congé parental a été évaluée sur la base de sa dernière évaluation annuelle, antérieure à son congé, mais en appliquant de nouveaux critères. Classée en dernière position, son poste a été supprimé. À son retour, un autre poste lui a été proposé, qu’elle a accepté. Toutefois, quelques semaines plus tard, ce nouveau poste a également été supprimé dans le cadre d’une nouvelle restructuration, menant à son licenciement définitif de la fonction publique. La travailleuse a contesté cette décision devant les juridictions administratives nationales. Saisi en cassation, l’Augstākās tiesas Senāts a sursis à statuer afin d’interroger la Cour de justice.

La question de droit posée à la Cour consistait essentiellement à déterminer si la directive 76/207/CEE relative à l’égalité de traitement et l’accord-cadre sur le congé parental s’opposent à ce qu’une travailleuse soit licenciée après son retour de congé, à la suite d’une procédure d’évaluation menée en son absence selon des modalités potentiellement défavorables, et après avoir été transférée sur un poste lui-même supprimé peu de temps après. La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant qu’un tel processus est contraire au droit de l’Union s’il place la travailleuse dans une situation désavantageuse ou si le droit au retour à un poste équivalent est vidé de sa substance. La Cour précise que l’évaluation doit reposer sur des critères identiques pour tous et ne requérant pas la présence physique de l’agent. De plus, elle souligne que l’employeur ne peut proposer un poste de remplacement s’il était informé de sa suppression imminente, vidant ainsi la protection de son contenu.

La solution retenue par la Cour de justice permet de clarifier les garanties offertes aux travailleurs en congé parental face aux restructurations économiques, en articulant le principe de non-discrimination et le droit au retour à l’emploi. Ainsi, il convient d’analyser la consolidation de la protection contre les discriminations indirectes liées au congé parental (I), avant d’examiner la consécration d’un droit effectif au retour à un emploi stable (II).

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I. La consolidation de la protection contre les discriminations indirectes

L’arrêt renforce la protection des travailleurs absents pour motif de congé parental en appliquant rigoureusement le concept de discrimination indirecte à la procédure d’évaluation (A) et en définissant des critères stricts pour garantir une égalité de traitement effective (B).

A. L’identification d’une discrimination indirecte dans le processus d’évaluation

La Cour rappelle que le principe d’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, qu’elle soit directe ou indirecte. Elle souligne qu’une pratique apparemment neutre constitue une discrimination indirecte si elle désavantage particulièrement les personnes d’un sexe par rapport à l’autre. En l’espèce, la juridiction de renvoi doit vérifier si, dans l’État membre concerné, le recours au congé parental est un phénomène majoritairement féminin. Si tel est le cas, une mesure défavorable aux travailleurs en congé parental est susceptible de constituer une discrimination indirecte fondée sur le sexe. La Cour constate en effet que, selon une jurisprudence établie, « les femmes ont bien plus souvent recours au congé parental que les hommes ».

Cette approche permet de rattacher la protection du congé parental au principe fondamental de non-discrimination entre les sexes. L’évaluation d’une travailleuse absente sur la base de données anciennes et de critères nouveaux, alors que ses collègues sont jugés sur des performances récentes, risque de la pénaliser. Le simple fait de son absence l’empêche de démontrer une progression ou une adaptation que ses collègues en poste ont pu accomplir. La Cour estime donc que ce mode d’évaluation, en apparence objectif, peut intrinsèquement créer une situation défavorable pour la personne en congé, ce qui caractérise la discrimination indirecte.

B. L’établissement de critères stricts pour une évaluation non discriminatoire

Au-delà de l’identification du risque de discrimination, la Cour fournit un cadre méthodologique précis pour que l’employeur puisse mener une évaluation dans le respect du droit de l’Union. Elle ne pose pas une interdiction de principe à toute évaluation durant un congé parental, notamment dans un contexte de réorganisation économique. Toutefois, pour être licite, cette évaluation doit se conformer à des conditions strictes. La Cour énonce que la juridiction nationale doit s’assurer « que l’évaluation porte sur l’ensemble des travailleurs susceptibles d’être concernés par la suppression du poste de travail, qu’elle est fondée sur des critères strictement identiques à ceux s’appliquant aux travailleurs en activité et que la mise en œuvre de ces critères n’implique pas la présence physique des travailleurs en congé parental ».

Ces conditions visent à neutraliser le désavantage lié à l’absence physique du travailleur. L’exigence de critères identiques garantit une base de comparaison équitable, tandis que la condition relative à l’absence de présence physique est essentielle pour ne pas exclure de fait le travailleur en congé. En exigeant une application objective des critères et l’utilisation d’informations pertinentes sans pénaliser l’absence, la Cour transforme une obligation de non-discrimination en un guide pratique pour l’employeur. Cette clarification pragmatique constitue une avancée significative pour la sécurité juridique des travailleurs et des entreprises en période de restructuration.

Après avoir encadré les modalités de l’évaluation, la Cour se penche sur la substance même du droit du travailleur à retrouver son emploi, en s’assurant que cette garantie ne soit pas purement formelle.

II. La consécration d’un droit effectif au retour à un emploi stable

L’arrêt ne se limite pas à la procédure d’évaluation ; il examine également la finalité de la protection accordée par l’accord-cadre, à savoir le droit de retrouver son poste ou un emploi équivalent. La Cour affirme que ce droit implique une obligation substantielle pour l’employeur (A), dont le non-respect est sanctionné lorsqu’il conduit à une situation précaire (B).

A. Le droit à un poste équivalent comme obligation de résultat nuancée

Conformément à la clause 2, point 5, de l’accord-cadre sur le congé parental, le travailleur a le droit, à l’issue de son congé, de « retrouver son poste de travail ou, en cas d’impossibilité, un travail équivalent ou similaire ». La Cour reconnaît que ce droit n’est pas absolu et ne fait pas obstacle à un licenciement pour un motif non lié à la prise du congé, tel qu’une réorganisation économique. L’employeur peut donc supprimer le poste initial si cela s’avère nécessaire. Cependant, l’obligation de proposer un travail « équivalent ou similaire » demeure.

L’apport de la décision réside dans l’interprétation de cette équivalence. Un poste n’est pas seulement équivalent en termes de qualification, de rémunération ou de classification. Son équivalence doit aussi s’apprécier au regard de sa pérennité. Proposer un poste dont la suppression est déjà programmée ne répond pas à l’exigence de l’accord-cadre. La Cour confère ainsi une dimension qualitative à cette obligation, qui ne peut être satisfaite par une offre purement formelle et temporaire. L’employeur est donc tenu par une obligation de résultat qui, bien que nuancée par les contraintes économiques, doit garantir une réintégration réelle et non factice.

B. La sanction du contournement de la protection par l’offre d’un poste précaire

La Cour examine avec une attention particulière la chronologie des faits, notamment la très courte période entre la réintégration de la travailleuse sur un nouveau poste et la suppression de celui-ci. Elle en déduit que si l’employeur était informé de la suppression future du poste proposé, son offre ne constituait pas une exécution de bonne foi de ses obligations. En de telles circonstances, la protection accordée au travailleur est vidée de sa substance. La Cour juge qu’un employeur « ne saurait vider de sa substance le droit dont bénéficie un travailleur ayant pris un congé parental d’être transféré dans un autre poste de travail […] en proposant à ce travailleur un poste destiné à être supprimé ».

Cette position constitue une barrière contre les manœuvres de l’employeur visant à contourner la législation protectrice. Elle établit que l’effectivité des droits garantis par le droit de l’Union prime sur une application littérale mais frauduleuse des textes. En confiant à la juridiction nationale le soin de vérifier si l’employeur avait connaissance de la suppression future du poste, la Cour arme le juge national pour sanctionner un éventuel abus de droit. La portée de cet arrêt est donc considérable : il assure que le retour de congé parental ne peut servir de prétexte à une marginalisation du travailleur, suivie d’un licenciement différé sous couvert d’une réorganisation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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