Cour de justice de l’Union européenne, le 20 juin 2019, n°C-458/15

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions de validité des mesures restrictives adoptées à l’encontre d’une organisation dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. En l’espèce, une organisation avait été inscrite sur une liste arrêtée par le Conseil, entraînant le gel de ses fonds et de ses ressources économiques sur le territoire de l’Union. Cette inscription avait été renouvelée à plusieurs reprises par des décisions puis par un règlement du Conseil.

Saisi d’un recours par cette organisation, une juridiction nationale a émis des doutes sur la légalité de ces actes de l’Union. Elle a donc posé à la Cour de justice une question préjudicielle portant sur la validité de quatre décisions successives, s’étalant de 2007 à janvier 2009, ainsi que sur la validité d’un règlement de juin 2009, qui tous maintenaient l’organisation concernée sur la liste des entités terroristes. Le débat juridique portait essentiellement sur le respect par le Conseil des conditions de fond et de procédure requises pour l’adoption de telles mesures.

La question de droit qui se posait à la Cour était de savoir si le Conseil peut légalement maintenir une organisation sur la liste des entités faisant l’objet de mesures restrictives sans s’assurer que les motifs justifiant cette inscription initiale demeurent actuels et pertinents. Plus précisément, le Conseil est-il tenu de fonder chaque décision de maintien sur une nouvelle évaluation circonstanciée de la situation ou peut-il se contenter de proroger les mesures antérieures ?

La Cour de justice y répond de manière nuancée. D’une part, elle juge que « l’examen de la question préjudicielle n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité » des décisions adoptées entre 2007 et janvier 2009. D’autre part, elle déclare que « le règlement (ce) n o 501/2009 du Conseil, du 15 juin 2009, […] est invalide, en tant que, par celui-ci, les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ont été maintenus sur la liste ». Cette solution duale amène à considérer la confirmation des prérogatives du Conseil en matière de lutte antiterroriste (I), avant d’analyser la censure d’un maintien insuffisamment motivé (II).

I. La reconnaissance d’un pouvoir d’inscription encadré

La Cour de justice valide les premières décisions de maintien de l’organisation sur la liste, rappelant ainsi les conditions d’exercice du pouvoir du Conseil (A), tout en confirmant que ces actes sont soumis à un contrôle juridictionnel effectif (B).

A. Les conditions de l’inscription sur la liste de lutte antiterroriste

Le dispositif de lutte contre le financement du terrorisme au sein de l’Union européenne repose notamment sur le règlement (CE) n° 2580/2001. Ce texte permet au Conseil, agissant à l’unanimité, de geler les fonds d’une personne ou d’une entité impliquée dans des actes de terrorisme. Pour qu’une telle mesure soit prise, elle doit se fonder sur une « décision d’une autorité compétente », qu’elle soit judiciaire ou administrative, nationale ou internationale. Cette exigence vise à garantir que l’inscription sur la liste ne soit pas arbitraire, mais repose sur des éléments concrets et vérifiés.

Le rôle du Conseil n’est donc pas de mener sa propre enquête pour qualifier une organisation de terroriste, mais de transposer au niveau de l’Union les conséquences d’une décision déjà prise par une autorité jugée compétente. Le maintien sur la liste, lors des réexamens périodiques prévus par la réglementation, suppose que les motifs ayant présidé à l’inscription initiale conservent leur pertinence. La validité des actes du Conseil est ainsi conditionnée au respect de ce cadre procédural strict, destiné à concilier les impératifs de sécurité avec la protection des droits fondamentaux.

B. La validation des décisions antérieures au regard du contrôle juridictionnel

En déclarant que rien n’est venu affecter la validité des décisions de 2007 et 2008, la Cour confirme que, pour cette période, le Conseil a agi conformément à ses obligations. On doit en déduire que ces décisions de maintien reposaient sur une base factuelle et juridique jugée suffisante au moment de leur adoption. Le Conseil s’était vraisemblablement appuyé sur des décisions d’autorités nationales qui n’avaient pas été remises en cause et qui justifiaient la persistance d’une menace terroriste.

Cette partie de la réponse de la Cour souligne que son contrôle n’est pas purement formel. Elle examine si, au moment où le Conseil a agi, il disposait d’éléments concrets lui permettant de conclure raisonnablement à la nécessité de maintenir les mesures restrictives. En validant ces actes, la Cour légitime l’action passée du Conseil et reconnaît la difficulté de l’exercice, tout en se réservant le droit de censurer les prorogations qui ne répondraient plus aux mêmes exigences de rigueur.

II. La sanction d’un maintien non substantiellement justifié

Si la Cour admet la légalité des premières mesures, elle invalide cependant le règlement de 2009. Cette censure met en lumière l’obligation pour le Conseil de procéder à un réexamen effectif de la situation (A), renforçant par là même les garanties procédurales offertes aux entités visées (B).

A. L’exigence d’un réexamen au fond lors du maintien sur la liste

La Cour de justice, en invalidant le règlement de 2009, établit une distinction fondamentale entre les décisions initiales et les décisions de maintien. Par cette invalidation, elle sanctionne une pratique qui consisterait pour le Conseil à renouveler les mesures de gel des avoirs de manière quasi automatique, sans procéder à une nouvelle évaluation complète de la situation. Le simple fait qu’une organisation ait été qualifiée de terroriste dans le passé ne suffit pas à justifier indéfiniment le maintien de mesures aussi contraignantes.

Le Conseil est donc tenu, à l’occasion de chaque réexamen, de vérifier activement que les motifs de l’inscription initiale sont toujours d’actualité. Il doit s’assurer que la décision de l’autorité nationale sur laquelle il s’est fondé est toujours en vigueur ou que de nouveaux éléments justifient la persistance de la menace. En l’absence d’une telle vérification, le maintien sur la liste devient irrégulier, car il ne repose plus sur une base factuelle suffisamment solide et actuelle, ce qui constitue un vice de motivation. C’est ce manquement que la Cour sanctionne en déclarant le règlement de 2009 « invalide ».

B. Le renforcement des droits de la défense et du contrôle de légalité

La portée de cette décision est significative. Elle constitue un rappel à l’ordre important pour le Conseil et renforce considérablement les droits des personnes et entités inscrites sur les listes antiterroristes. En exigeant un réexamen substantiel et non une simple reconduction formelle, la Cour garantit le droit à une protection juridictionnelle effective et le respect des droits de la défense. L’entité visée doit pouvoir contester les raisons de son maintien sur la liste en se fondant sur l’évolution de la situation.

Cette jurisprudence contraint le Conseil à une plus grande diligence et à une meilleure motivation de ses actes en matière de sanctions. Elle illustre parfaitement le rôle de la Cour de justice en tant que gardienne de l’État de droit au sein de l’Union, y compris dans le domaine sensible de la sécurité. Les mesures restrictives, bien que nécessaires à la lutte contre le terrorisme, ne sauraient échapper à un contrôle juridictionnel rigoureux visant à prévenir tout risque d’arbitraire et à assurer le respect des droits fondamentaux.

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Hassan KOHEN
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