Par une décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la notion de « producteur d’électricité » dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.
En l’espèce, une installation industrielle exerçant une activité de combustion de combustibles avec une puissance calorifique supérieure à 20 mégawatts produisait de l’électricité. Cette électricité était principalement destinée à ses propres besoins pour une activité de fabrication distincte, non couverte par l’annexe I de la directive 2003/87/CE. Cependant, une fraction de cette électricité était injectée de manière continue et contre rémunération sur le réseau public, auquel l’installation était raccordée en permanence. Un litige est né devant une juridiction nationale quant à savoir si cette installation pouvait bénéficier de quotas d’émission à titre gratuit pour la chaleur qu’elle produisait mais n’utilisait pas pour la production électrique. Face à cette difficulté d’interprétation du droit de l’Union, la juridiction nationale a saisi la Cour de justice de deux questions préjudicielles.
Il était ainsi demandé si une telle installation devait être qualifiée de « producteur d’électricité » au sens de l’article 3, sous u), de la directive 2003/87/CE. La juridiction de renvoi s’interrogeait également sur le droit de cette installation, si elle recevait cette qualification, à se voir allouer des quotas gratuits au titre de la chaleur produite pour d’autres usages, conformément à l’article 3, sous c), de la décision 2011/278/UE.
La Cour de justice de l’Union européenne répond que la qualification de « producteur d’électricité » s’applique dès lors qu’une installation « injecte de façon continue, contre rémunération, une partie, fût-elle faible, de l’électricité produite dans le réseau électrique public ». Elle en déduit que, soumise à ce régime, l’installation ne peut prétendre à l’allocation de quotas gratuits pour sa production de chaleur si elle ne remplit pas les conditions dérogatoires spécifiques prévues par la directive.
La solution retenue par la Cour consacre une interprétation extensive de la notion de producteur d’électricité (I), entraînant une application rigoureuse du régime d’allocation des quotas d’émission (II).
I. L’extension de la qualification de producteur d’électricité
La Cour adopte une approche fonctionnelle qui fait de l’injection d’électricité sur le réseau le critère déterminant de la qualification (A), une interprétation téléologique justifiée par les finalités du système d’échange de quotas (B).
A. Le critère fonctionnel de l’injection sur le réseau
La Cour de justice établit clairement que le statut de « producteur d’électricité » ne dépend pas de la finalité principale de l’installation ni du volume d’électricité vendu. Le facteur décisif réside dans la participation, même marginale, au marché de l’électricité. La Cour précise que cette qualification est acquise pour toute installation qui « injecte de façon continue, contre rémunération, une partie, fût-elle faible, de l’électricité produite dans le réseau électrique public ».
Ce faisant, le juge de l’Union écarte une approche quantitative ou fondée sur l’objet social principal de l’exploitant. Une installation dont l’activité première est, par exemple, la fabrication de papier ou de produits chimiques, mais qui vend structurellement son surplus d’électricité, relève du même régime qu’une centrale électrique traditionnelle. La continuité de l’injection et la rémunération perçue suffisent à caractériser l’activité économique de production électrique au sens de la directive, indépendamment du fait que cette activité soit accessoire.
B. La justification téléologique de l’interprétation
Cette conception large de la notion de producteur d’électricité s’inscrit dans la logique du système d’échange de quotas. L’objectif de la directive 2003/87/CE est d’internaliser le coût des émissions de gaz à effet de serre, en particulier dans le secteur de l’énergie, jugé apte à répercuter ce coût sur les prix de vente. Exclure les producteurs « autoproducteurs » qui participent néanmoins au marché aurait créé une distorsion de concurrence et une brèche dans le système.
En soumettant toute entité vendant de l’électricité aux mêmes règles, la Cour assure une application uniforme du droit de l’Union et prévient les stratégies de contournement. Une interprétation plus restrictive aurait pu inciter des installations à se présenter comme de simples unités industrielles pour bénéficier d’un régime d’allocation plus favorable, tout en agissant comme des acteurs du marché de l’énergie. L’approche de la Cour renforce ainsi l’intégrité et l’efficacité environnementale du mécanisme « pollueur-payeur » appliqué au secteur électrique.
II. L’application rigoureuse du régime d’allocation des quotas
La qualification de producteur d’électricité emporte une conséquence directe et sévère : la soumission au principe de l’allocation payante des quotas (A), ce qui confirme une distinction nette entre les secteurs dans le dispositif européen (B).
A. Le principe de l’allocation payante pour les producteurs d’électricité
La seconde partie du raisonnement de la Cour est une application stricte des textes régissant l’allocation des quotas. Une fois qu’une installation est qualifiée de « producteur d’électricité », elle sort du régime général d’allocation gratuite visant à préserver la compétitivité des industries exposées à la fuite de carbone. Le principe, pour ce secteur, est l’acquisition payante des quotas, conformément à l’article 10 bis de la directive.
La Cour souligne que des dérogations existent, notamment pour la chaleur issue de la cogénération à haut rendement. Elle précise toutefois que l’installation « n’est pas en droit de se voir allouer des quotas d’émission à titre gratuit » si elle « ne remplit pas les conditions prévues à l’article 10 bis, paragraphes 4 et 8, de ladite directive ». Le droit aux quotas gratuits est donc une exception d’interprétation stricte. La seule production de chaleur utilisée à d’autres fins que la production électrique ne suffit pas à ouvrir droit à la gratuité dès lors que l’exploitant est par ailleurs classé comme producteur d’électricité.
B. La confirmation d’une hiérarchie entre les secteurs
La décision de la Cour met en évidence un effet de seuil important. Une installation qui consommerait 100 % de son électricité pourrait potentiellement prétendre à des quotas gratuits pour sa production de chaleur destinée à un autre procédé. En revanche, l’injection, même minime, de surplus sur le réseau fait basculer l’ensemble de l’installation dans une autre catégorie juridique, beaucoup plus stricte. Il n’y a pas de proportionnalité ou de régime hybride.
Cette rigueur confirme la volonté du législateur de l’Union de traiter le secteur de la production électrique de manière distincte et plus sévère, considérant qu’il constitue l’un des principaux leviers de la décarbonation. La portée de cet arrêt est donc de clarifier que toute participation au marché de l’électricité, quelle que soit son ampleur, soumet l’opérateur aux contraintes afférentes à ce secteur. Il en résulte un signal économique fort incitant les industriels à arbitrer clairement entre une autoconsommation stricte et une participation pleine et entière au marché de l’énergie.