Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié l’articulation des règles de compétence en matière de responsabilité parentale prévues par le règlement (CE) n° 2201/2003, dit Bruxelles II bis, en cas de déplacement illicite d’un enfant. En l’espèce, un enfant, qui résidait habituellement en Allemagne, a été déplacé par sa mère en Pologne. Le père, résidant en Suisse, a engagé une procédure de retour de l’enfant sur le fondement de la Convention de La Haye de 1980, par l’intermédiaire de l’autorité centrale helvétique, État tiers à l’Union européenne. Cette demande, qui visait le retour de l’enfant en Suisse et non en Allemagne, a été rejetée par les juridictions polonaises. Saisie ultérieurement d’une action relative à la garde de l’enfant, une juridiction allemande a sursis à statuer afin de poser à la Cour de justice trois questions préjudicielles. Elle cherchait à savoir si, d’une part, la règle de maintien de compétence de l’article 10 du règlement, au profit des juridictions de l’ancienne résidence habituelle, s’appliquait même lorsque la procédure de retour impliquait un État tiers. D’autre part, elle interrogeait la Cour sur la définition de la « demande de retour » au sens de l’article 10, sous b), i), du règlement. Enfin, elle demandait si les règles procédurales spécifiques de l’article 11, paragraphes 6 à 8, du règlement étaient applicables dans un tel contexte. La Cour de justice a répondu que la compétence des juridictions de l’État membre de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant est maintenue, indépendamment de l’échec d’une procédure de retour engagée via un État tiers. Elle a également précisé que la notion de « demande de retour » ne vise qu’une demande de rétablissement de la situation antérieure au déplacement et ne saurait inclure une demande de garde.
La décision de la Cour réaffirme avec force le principe de la compétence prorogée des juridictions de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant en cas de déplacement illicite, garantissant la primauté de l’intérêt de l’enfant (I). Parallèlement, elle fournit une interprétation stricte des conditions permettant de déroger à ce principe, limitant ainsi les possibilités de transfert de compétence vers l’État du déplacement (II).
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I. La pérennité de la compétence des juridictions de l’État d’origine
La Cour de justice consacre la robustesse de la règle de compétence spéciale édictée à l’article 10 du règlement, en la détachant des contingences procédurales liées à la Convention de La Haye (A). Cette solution repose sur une interprétation téléologique visant à décourager les enlèvements parentaux et à préserver la compétence du juge le mieux placé pour statuer (B).
A. L’autonomie de la règle de compétence de l’article 10
La juridiction de renvoi exprimait un doute quant à l’applicabilité de l’article 10 du règlement au motif que la procédure de retour de l’enfant avait impliqué un État tiers, la Suisse, et non deux États membres. Ce raisonnement suggérait une dépendance fonctionnelle entre l’article 10, qui maintient la compétence de l’État d’origine, et l’article 11, qui organise la procédure de retour entre États membres. La Cour écarte fermement cette analyse en affirmant que « rien dans le libellé ni dans l’économie de l’article 10 de ce règlement ou dans les objectifs poursuivis par celui-ci ne permet de soutenir que la règle de compétence spéciale prévue audit article 10 […] devient inapplicable au motif qu’une procédure de retour a été engagée, sans succès, en vertu de la convention de la Haye de 1980 entre les autorités centrales ou juridictionnelles d’un pays tiers et d’un État membre ». La Cour souligne ainsi que la condition d’application de l’article 10 est le « déplacement ou le non-retour illicites d’un enfant » lui-même, défini à l’article 2, point 11, du règlement, et non la nature des démarches entreprises subséquemment par le parent lésé. Cette dissociation est fondamentale, car elle confirme que le maintien de la compétence n’est pas subordonné à l’engagement d’une procédure de retour spécifique entre États membres.
B. La finalité préventive de la prorogation de compétence
En interprétant l’article 10 de manière autonome, la Cour renforce l’objectif principal du règlement, qui est de lutter contre les déplacements illicites d’enfants. Elle rappelle que le but de cette disposition est « d’éviter de procurer un avantage procédural à l’auteur de l’enlèvement illicite de l’enfant ». En effet, si la compétence était automatiquement transférée à l’État où l’enfant a été déplacé, cela reviendrait à valider une situation de fait créée par des moyens illicites, incitant ainsi au forum shopping. En maintenant la compétence des juridictions de l’ancienne résidence habituelle, le règlement assure que le litige sera tranché par les juges qui, « du fait de leur proximité géographique, sont généralement les mieux placés pour apprécier les mesures à adopter dans l’intérêt de l’enfant ». La solution retenue est donc une manifestation du principe de proximité et de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui commande que sa situation soit examinée par la juridiction la plus familière avec son environnement antérieur au déplacement. L’implication d’un État tiers dans une procédure de retour infructueuse est jugée sans pertinence, car elle ne modifie en rien la logique qui sous-tend cette règle de compétence.
II. L’interprétation restrictive des conditions du transfert de compétence
Après avoir affirmé la solidité du principe de maintien de la compétence, la Cour se penche sur les exceptions qui permettraient un transfert de cette compétence. Elle adopte une lecture stricte de la notion de « demande de retour » (A), qu’elle distingue clairement d’une action au fond relative à la garde de l’enfant (B), limitant ainsi les cas de figure où la juridiction de l’État d’origine serait dessaisie.
A. Une définition finaliste de la « demande de retour »
La deuxième question préjudicielle portait sur le point de savoir si une demande visant au retour de l’enfant dans un État tiers, ou une simple demande de garde, pouvait constituer une « demande de retour » au sens de l’article 10, sous b), i), du règlement. La Cour répond par la négative en se fondant sur une analyse littérale, contextuelle et téléologique. Elle juge que l’objectif du retour est le « rétablissement du statu quo ante, c’est-à-dire de la situation qui existait antérieurement au déplacement ou au non-retour illicites de l’enfant ». Par conséquent, une demande qui ne tend pas à ce rétablissement ne saurait relever de cette catégorie. La Cour énonce clairement que « la notion de “demande de retour”, au sens de cette disposition, désigne une demande par laquelle une personne sollicite qu’un enfant revienne dans l’État membre sur le territoire duquel il avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites ». Une demande visant le déplacement de l’enfant vers un État, fût-ce celui de résidence du parent demandeur, où l’enfant n’a jamais résidé habituellement, est donc inopérante pour l’application de l’article 10.
B. La distinction entre la procédure de retour et l’action en garde
La Cour prend également soin de distinguer la demande de retour de l’enfant de l’action en attribution du droit de garde. Elle relève que ces deux actions « ne sont pas interchangeables, ces deux demandes ayant des fonctions différentes ». La première est une procédure d’urgence, de nature expéditive, qui ne tranche pas le fond de la responsabilité parentale. La seconde, au contraire, implique un examen approfondi de la situation de l’enfant pour déterminer la solution la plus conforme à son intérêt. Confondre les deux reviendrait à paralyser le mécanisme de retour rapide voulu par le législateur de l’Union. En jugeant qu’une « décision sur le retour ou le non-retour de l’enfant ne règle pas la question de la garde de celui-ci », la Cour réaffirme une jurisprudence constante et maintient une distinction procédurale claire. Cette clarification est essentielle car elle empêche un parent d’utiliser une action au fond pour contourner les conditions strictes de la procédure de retour et pour tenter de faire obstacle au maintien de la compétence des juridictions de l’État d’origine.