Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a clarifié l’interprétation des règles de compétence en matière de responsabilité parentale dans le contexte d’un déplacement d’enfant. La décision commentée offre des précisions essentielles sur l’articulation entre le règlement (CE) n° 2201/2003, dit Bruxelles II bis, et la Convention de La Haye de 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. En l’espèce, un enfant, qui résidait habituellement dans un État membre, a été déplacé vers un autre État membre. Le parent resté dans l’État de résidence d’origine, mais lui-même domicilié dans un État tiers, a initié une procédure de retour de l’enfant en s’adressant à l’autorité centrale de cet État tiers. Cette demande, transmise à l’État membre où l’enfant avait été emmené, a été rejetée par les juridictions de ce dernier. Saisi ultérieurement d’une action en responsabilité parentale par le même parent, le juge de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant s’est interrogé sur sa propre compétence. Il a donc posé à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. Celles-ci portaient principalement sur le maintien de la compétence de la juridiction de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant en vertu de l’article 10 du règlement, lorsque la procédure de retour a impliqué un État tiers. Il était également demandé de définir ce qui constitue une « demande de retour » au sens de cet article et si les règles procédurales de l’article 11 du même règlement s’appliquent dans un tel contexte. La Cour a jugé que la compétence de l’État membre de l’ancienne résidence habituelle est maintenue en dépit de l’échec d’une procédure de retour impliquant un État tiers. Elle a toutefois défini strictement la notion de demande de retour comme visant exclusivement le rétablissement de la situation antérieure, et a limité l’application de l’article 11 aux seules relations entre États membres.
Il convient d’analyser la portée de cette décision, en examinant d’une part la confirmation de la primauté de la compétence de l’État d’origine de l’enfant (I), et d’autre part l’interprétation restrictive des mécanismes dérogatoires (II).
I. La pérennité de la compétence du for d’origine malgré l’implication d’un État tiers
La Cour de justice affirme avec force la règle de compétence spéciale prévue à l’article 10 du règlement, la rendant autonome par rapport aux procédures de retour qui peuvent être engagées (A). Cette solution vise à garantir une protection efficace contre les déplacements illicites et à préserver l’intérêt supérieur de l’enfant (B).
A. L’autonomie de la règle de compétence de l’article 10
La juridiction de renvoi supposait que l’application de l’article 10 du règlement était conditionnée par une procédure de retour menée entre deux États membres, régie par l’article 11. La Cour écarte cette analyse en dissociant clairement le fondement de la compétence de sa mise en œuvre procédurale. Elle rappelle que le fait générateur de la compétence prorogée de l’article 10 est le « déplacement ou le non-retour illicites d’un enfant ». Ce caractère illicite s’apprécie au regard du droit de garde existant dans l’État de la résidence habituelle de l’enfant avant le déplacement. La Cour précise que la qualification de déplacement illicite « ne dépend donc pas de l’engagement, nécessairement subséquent et éventuel, par le titulaire du droit de garde d’une procédure de retour de l’enfant, fondée sur la convention de la Haye de 1980 ». L’échec d’une telle procédure, qu’elle ait été initiée via un État membre ou un État tiers, est donc sans incidence sur l’application de l’article 10. La compétence des juridictions de l’ancienne résidence habituelle est maintenue par principe, car elle est fondée sur l’acte illicite initial.
B. Une solution protectrice contre la fraude au for
En affirmant la robustesse de ce mécanisme, la Cour poursuit un objectif fondamental du règlement. Elle vise à « éviter de procurer un avantage procédural à l’auteur de l’enlèvement illicite de l’enfant ». En effet, permettre un transfert automatique de compétence vers le for de la nouvelle résidence de l’enfant reviendrait à valider une situation de fait créée par des moyens illégaux. La solution retenue garantit que le litige sur la responsabilité parentale soit tranché par les juridictions les mieux placées pour apprécier l’intérêt de l’enfant, à savoir celles de sa résidence habituelle avant le déplacement. Ces dernières disposent d’une meilleure connaissance du contexte de vie de l’enfant. La Cour renforce ainsi la sécurité juridique et la lutte contre le « forum shopping », où une partie cherche à saisir la juridiction qui lui sera la plus favorable en déplaçant unilatéralement un enfant. Cette interprétation assure la cohérence du système mis en place par le législateur de l’Union.
La consolidation de la compétence du for d’origine s’accompagne d’une interprétation rigoureuse des conditions qui permettraient d’y déroger, ce qui restreint les possibilités de transfert de compétence.
II. L’interprétation stricte des conditions de transfert de la compétence
La Cour de justice adopte une approche restrictive pour définir les actes susceptibles de faire échec à la compétence prorogée de l’article 10 (A). Elle confirme également le champ d’application strictement intra-européen des règles procédurales spécifiques du règlement (B).
A. La définition restrictive de la notion de « demande de retour »
Pour qu’un transfert de compétence puisse s’opérer au profit de l’État de la nouvelle résidence de l’enfant, l’article 10, sous b), i), du règlement exige notamment qu’aucune « demande de retour » n’ait été faite dans un certain délai. La Cour se livre à une interprétation téléologique de cette notion. Elle juge qu’une telle demande doit viser le « rétablissement du statu quo ante », c’est-à-dire le retour de l’enfant dans l’État membre de son ancienne résidence habituelle. Par conséquent, une demande tendant à ce que l’enfant soit déplacé vers un État tiers, même s’il s’agit de celui où réside le parent demandeur, ne constitue pas une « demande de retour » au sens de cette disposition. De même, une simple action en justice visant à obtenir la garde de l’enfant ne peut y être assimilée. La Cour souligne que ces deux types de demandes ont des fonctions différentes et ne répondent pas à l’objectif de retour immédiat qui sous-tend le mécanisme. Comme l’indique la Cour, « une décision sur le retour ou le non-retour de l’enfant ne règle pas la question de la garde de celui-ci ».
B. Le cantonnement des règles procédurales de l’article 11 aux relations intra-européennes
Enfin, la Cour répond à la troisième question en confirmant que les dispositions de l’article 11, paragraphes 6 à 8, du règlement ne sont pas applicables dans le cadre d’une procédure de retour impliquant un pays tiers. Cet article organise un régime de coopération renforcée entre les autorités des États membres, notamment en cas de décision de non-retour fondée sur l’article 13 de la Convention de La Haye. La Cour se fonde sur le libellé de la disposition, qui précise qu’elle s’applique « en combinaison avec les stipulations de la convention de la Haye de 1980 dans les relations entre les États membres ». Cette interprétation établit une frontière claire entre le régime interne à l’Union européenne, qui offre des garanties procédurales supplémentaires, et les relations avec les États tiers qui restent exclusivement régies par la Convention de La Haye. Cette clarification prévient toute extension non justifiée des règles du règlement à des situations pour lesquelles elles n’ont pas été conçues, préservant ainsi la souveraineté des systèmes juridiques tiers et la cohérence du droit de l’Union.