Cour de justice de l’Union européenne, le 20 mai 2008, n°C-194/06

Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur la compatibilité d’une législation fiscale nationale avec le principe de la libre circulation des capitaux. En l’espèce, un organisme de placement collectif de droit néerlandais percevait des dividendes de sources étrangères, notamment d’autres États membres de l’Union européenne. La législation des Pays-Bas prévoyait un mécanisme de compensation fiscale visant à neutraliser les effets d’une double imposition pour les investisseurs, mais modulait cet avantage selon deux critères distincts. Le premier critère était lié à l’existence d’une convention fiscale bilatérale entre les Pays-Bas et l’État d’origine des dividendes. Le second critère réduisait la compensation proportionnellement à la part du capital de l’organisme détenue by des actionnaires non-résidents. Saisie d’une question préjudicielle par une juridiction néerlandaise, la Cour était ainsi invitée à déterminer si les articles 56 CE et 58 CE s’opposent à une telle législation. Le problème de droit portait donc sur le point de savoir si la limitation d’un avantage fiscal en fonction de l’existence de conventions préventives de la double imposition et la réduction de ce même avantage en fonction du lieu de résidence des actionnaires constituaient des restrictions contraires à la libre circulation des capitaux. À cette question, la Cour de justice opère une distinction nette : elle valide la première modalité en la fondant sur une différence de situation objective, mais censure la seconde comme constituant une restriction injustifiée à la circulation des capitaux. La Cour admet ainsi la conformité de la première restriction (I), tout en censurant fermement la seconde (II).

I. L’admission d’une différence de traitement fondée sur l’existence de conventions fiscales bilatérales

La Cour de justice examine la compatibilité de la législation au regard de la libre circulation des capitaux en distinguant les traitements inégaux autorisés des discriminations interdites. Elle conclut que la différence de traitement liée à la présence d’une convention fiscale est justifiée car elle répond à des situations qui ne sont pas objectivement comparables (A), validant ainsi une restriction qui découle de la logique interne du système fiscal national (B).

A. La justification par l’absence de situation objectivement comparable

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une réglementation fiscale nationale peut opérer une distinction entre contribuables sans violer le droit de l’Union, à la condition que « la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ». L’objectif de la législation néerlandaise était de rapprocher le traitement fiscal des investissements directs de celui des investissements réalisés via un organisme de placement collectif. Or, le désavantage fiscal que cette loi visait à corriger pour l’investisseur n’existait que dans le cadre d’investissements réalisés dans des États membres avec lesquels les Pays-Bas avaient conclu une convention fiscale permettant l’imputation de l’impôt étranger. En l’absence d’une telle convention, l’investisseur direct ne bénéficiait d’aucun avantage à faire valoir, et l’investisseur passant par un organisme de placement ne subissait donc aucun préjudice comparatif. Par conséquent, la Cour juge que la situation des investissements vers des pays liés par une telle convention est différente de celle des investissements vers des pays non liés. Cette absence de comparabilité objective suffit à écarter l’accusation de discrimination.

B. La validation d’une restriction découlant de la logique du système fiscal national

En jugeant que les situations ne sont pas objectivement comparables, la Cour reconnaît une marge d’appréciation à l’État membre dans la conception de son système fiscal. La compensation n’est pas un avantage accordé arbitrairement, mais un correctif destiné à assurer la neutralité entre deux modes d’investissement. Dès lors que ce correctif n’est pertinent que dans l’hypothèse où une convention fiscale existe, le limiter à cette seule hypothèse n’est pas une restriction déguisée mais bien l’application cohérente de la logique du système. L’arrêt confirme que l’article 58, paragraphe 1, sous a), CE permet aux États membres de maintenir des distinctions dans leur législation fiscale entre « les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne […] le lieu où leurs capitaux sont investis ». La Cour conclut donc que les articles 56 CE et 58 CE ne s’opposent pas à ce qu’un État membre restreigne une compensation fiscale aux seuls dividendes provenant d’États avec lesquels il a signé une convention prévoyant un mécanisme d’imputation.

II. Le rejet d’une modulation de l’avantage fiscal selon la résidence des actionnaires

Si la première restriction est validée, la Cour se montre beaucoup plus sévère à l’égard de la seconde, qui module la compensation accordée à l’organisme de placement en fonction de la part de son capital détenue par des non-résidents. Elle y voit une restriction caractérisée à la libre circulation des capitaux (A) et rejette l’ensemble des justifications présentées par l’État membre concerné (B).

A. La caractérisation d’une restriction indistinctement applicable à la libre circulation des capitaux

La Cour constate que la réduction de la compensation au prorata de la participation des actionnaires non-résidents a pour conséquence directe de diminuer le bénéfice total distribuable de l’organisme de placement. Ce mécanisme « désavantage indistinctement tous les actionnaires de celui-ci », qu’ils soient résidents ou non. Une telle mesure a un double effet restrictif prohibé par l’article 56 CE. D’une part, elle dissuade les organismes de placement de rechercher des capitaux auprès d’investisseurs établis dans d’autres États membres, car cela diminuerait leur rendement global. D’autre part, elle dissuade les investisseurs non-résidents d’acquérir des parts dans de tels organismes, qui deviennent de fait moins attractifs que ceux dont l’actionnariat est purement national. La Cour souligne que cette analyse s’applique que les actionnaires soient résidents d’un État membre ou d’un pays tiers, rappelant ainsi la portée large du principe de libre circulation des capitaux.

B. L’inefficacité des justifications avancées par l’État membre

L’État membre tentait de justifier cette différence de traitement en arguant que la situation des actionnaires résidents et non-résidents n’est pas comparable, les seconds étant soumis à une fiscalité néerlandaise plus faible sur les dividendes. La Cour balaye cet argument : dès lors que l’État a choisi d’exercer sa compétence fiscale sur les dividendes distribués à tous ses actionnaires, résidents comme non-résidents, il ne peut ensuite invoquer une différence de situation pour justifier un traitement inégal en amont. La Cour ajoute que la mesure est en tout état de cause inadaptée, puisqu’elle pénalise tous les actionnaires et non uniquement les non-résidents. Elle écarte également la justification tirée de la nécessité de préserver les recettes fiscales, rappelant sa jurisprudence constante selon laquelle « la réduction de recettes fiscales ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général ». Enfin, s’agissant des actionnaires de pays tiers, l’argument de l’efficacité des contrôles fiscaux est jugé non pertinent. La Cour en conclut que la restriction est incompatible avec les articles 56 CE et 58 CE, car elle désavantage sans justification valable tous les actionnaires de l’organisme.

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Hassan KOHEN
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