Cour de justice de l’Union européenne, le 20 mai 2010, n°C-56/09

Par un arrêt rendu le 20 mai 2010 sur renvoi préjudiciel de la Commissione tributaria provinciale di Roma, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions de compatibilité d’une législation fiscale nationale avec les libertés de circulation garanties par le droit de l’Union. En l’espèce, un contribuable résident d’un État membre avait suivi une formation universitaire dans un établissement privé situé dans un autre État membre et avait sollicité la déduction des frais de scolarité de son impôt sur le revenu. Les autorités fiscales nationales lui avaient opposé un refus partiel ou total, en application d’une réglementation qui limitait la déductibilité des frais de scolarité engagés à l’étranger. Saisie du litige, la juridiction nationale a interrogé la Cour sur la conformité de cette législation aux articles 18 CE et 49 CE, relatifs respectivement à la citoyenneté de l’Union et à la libre prestation des services. La question posée à la Cour portait essentiellement sur le point de savoir si une législation nationale peut, sans violer le droit de l’Union, refuser la déduction de frais universitaires engagés dans un autre État membre ou la plafonner en référence aux frais applicables dans les universités publiques nationales. La Cour de justice a jugé qu’une exclusion générale de la déductibilité était contraire aux libertés de circulation, mais qu’un plafonnement fondé sur un critère objectif et non discriminatoire, tel que les frais perçus par l’université publique la plus proche du domicile du contribuable, était admissible.

La Cour de justice consacre ainsi une solution en deux temps, qui réaffirme l’interdiction des entraves discriminatoires à la mobilité des citoyens tout en reconnaissant une marge d’appréciation aux États membres dans l’organisation de leurs systèmes fiscaux. L’analyse de la Cour établit une distinction claire entre le principe de l’accès à l’avantage fiscal, qui doit être garanti sans discrimination (I), et les modalités de calcul de cet avantage, pour lesquelles les États membres conservent une compétence encadrée (II).

I. La prohibition d’une restriction discriminatoire à la mobilité intracommunautaire

La Cour constate d’abord qu’une réglementation fiscale qui traite différemment les frais de scolarité selon qu’ils sont acquittés sur le territoire national ou dans un autre État membre constitue une entrave. Elle caractérise ainsi une restriction aux libertés fondamentales (A) avant de sanctionner logiquement une exclusion de principe de l’avantage fiscal pour les études suivies à l’étranger (B).

A. La caractérisation d’une entrave à la libre prestation des services et à la libre circulation des personnes

La Cour examine la situation au regard de la libre prestation de services et de la liberté de circulation des citoyens. Elle juge que des cours dispensés par un établissement d’enseignement privé financé essentiellement par des fonds privés constituent des « services » au sens du traité. Par conséquent, une mesure nationale qui rend la réception de ces services plus difficile pour un résident se déplaçant dans un autre État membre qu’elle ne le serait sur le territoire national constitue une restriction. La Cour énonce qu’une réglementation nationale défavorable « aurait pour effet de dissuader les contribuables résidant en Italie de fréquenter des cours d’enseignement universitaire dans des établissements établis dans un autre État membre ». Ce faisant, elle entrave non seulement la liberté des destinataires de services de se rendre dans un autre État membre, mais également l’offre de formation émanant des établissements d’enseignement établis dans d’autres États membres. Subsidiairement, la Cour rappelle que le statut de citoyen de l’Union implique le droit de ne pas subir un traitement moins favorable du seul fait d’avoir exercé sa liberté de circulation.

B. La censure de l’exclusion générale de la déductibilité des frais

Ayant établi l’existence d’une restriction, la Cour examine si celle-ci peut être justifiée. Elle juge qu’une réglementation qui exclut de manière générale le droit de déduire les frais de scolarité acquittés auprès d’un établissement situé dans un autre État membre, alors que cette possibilité existe pour les établissements nationaux, crée un désavantage injustifié. Une telle différence de traitement est contraire à l’article 49 CE et à l’article 18 CE. La Cour précise dans son dispositif que l’article 49 CE « s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit la possibilité, pour les contribuables, de déduire de l’impôt brut les frais de cours d’enseignement universitaire dispensés par les établissements universitaires situés sur le territoire de cet État membre, mais qui exclut de manière générale cette possibilité s’agissant de frais d’enseignement universitaire encourus dans un établissement universitaire privé établi dans un autre État membre ». La Cour ne retient aucune justification à une telle exclusion de principe, qui pénalise le contribuable pour le seul motif qu’il a exercé sa liberté de circulation.

Si la Cour condamne fermement toute exclusion de principe, elle se montre en revanche plus mesurée quant à l’encadrement de la déduction, validant un mécanisme de plafonnement qui respecte le principe de non-discrimination.

II. La validation d’une limitation non discriminatoire de l’avantage fiscal

La Cour admet que les États membres peuvent limiter le montant des déductions fiscales, à condition que les critères retenus ne soient pas discriminatoires. Elle reconnaît ainsi la légitimité d’un plafonnement fondé sur un référentiel national (A), confirmant par là même la persistance d’une autonomie fiscale des États membres sous le contrôle du juge de l’Union (B).

A. L’admissibilité d’un plafonnement fondé sur un critère territorial objectif

La Cour analyse ensuite la compatibilité de la limitation quantitative et territoriale appliquée par la réglementation nationale. Le plafond de déduction pour des études à l’étranger était déterminé par les frais d’un cours similaire dans l’université publique la plus proche du domicile fiscal du contribuable. La Cour juge qu’un tel mécanisme n’est pas en soi constitutif d’une restriction. Elle relève que cette limitation s’applique de manière cohérente, que le contribuable choisisse un établissement privé en Italie ou dans un autre État membre, le point de référence étant dans les deux cas les frais d’une université publique nationale. La Cour considère que « la déduction des frais d’enseignement encourus par le contribuable n’est pas soumise à un régime fiscal différent selon que le cours d’enseignement fréquenté a lieu dans d’autres États membres ou dans l’État membre concerné ». Par conséquent, le dispositif ne dissuade pas les contribuables d’étudier à l’étranger et est jugé compatible avec le droit de l’Union. Il est ainsi dit pour droit que le traité « ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit la possibilité pour les contribuables de déduire de l’impôt brut les frais […] dans la limite du plafond fixé pour les frais correspondants prévus pour la fréquentation de cours similaires dispensés auprès de l’université publique nationale la plus proche du domicile fiscal du contribuable ».

B. La portée de la solution : la confirmation de l’autonomie fiscale encadrée des États membres

En validant ce mécanisme de plafonnement, la Cour réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle, en l’absence d’harmonisation, les États membres restent compétents pour déterminer les critères de calcul des avantages fiscaux. Toutefois, cette compétence doit être exercée dans le respect du droit de l’Union, et notamment du principe de non-discrimination. L’arrêt illustre le rôle de la Cour qui n’est pas de dicter aux États membres le système le plus généreux ou le plus opportun, mais de s’assurer que les règles nationales n’entravent pas de manière injustifiée les libertés fondamentales. En acceptant un critère de référence national pour limiter une dépense fiscale, la Cour permet aux États de maîtriser leur budget tout en garantissant un traitement équivalent entre les situations purement internes et les situations transfrontalières. La portée de cette décision est donc de fournir aux États membres un mode d’emploi pour concilier leurs prérogatives en matière fiscale avec les exigences de la construction européenne, en particulier la mobilité de leurs citoyens.

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