Cour de justice de l’Union européenne, le 20 mars 2003, n°C-291/00

Par un arrêt du 20 mars 2003, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’interprétation de la notion de signe identique à la marque dans le cadre de la première directive sur les marques. En l’espèce, une société titulaire d’une marque verbale enregistrée pour des articles vestimentaires avait engagé une action en contrefaçon. Elle reprochait à une autre entreprise l’usage d’un signe pour des produits identiques, signe qui reprenait le terme distinctif de sa marque mais en y adjoignant d’autres éléments et en utilisant une graphie différente. La société demanderesse soutenait que cet usage constituait une reproduction interdite de sa marque.

Saisi du litige, le tribunal de grande instance de Paris a sursis à statuer. La juridiction française a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si l’interdiction de faire usage d’un signe identique à la marque, prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104/CEE, visait exclusivement la reproduction à l’identique, sans aucune altération, ou si elle pouvait s’étendre à la reproduction de l’élément distinctif d’une marque complexe ou à la reproduction intégrale d’une marque à laquelle des signes seraient ajoutés. La question posée revenait donc à définir les contours de la notion d’identité en droit des marques. En réponse, la Cour a jugé qu’un signe est identique à la marque « lorsqu’il reproduit, sans modification ni ajout, tous les éléments constituant la marque ou lorsque, considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux d’un consommateur moyen ».

Il convient donc d’analyser la conception restrictive de l’identité consacrée par la Cour, laquelle est néanmoins tempérée par le recours à la perception du consommateur (I), avant d’étudier la portée de cette solution sur la délimitation des régimes de protection de la marque (II).

I. La consécration d’une conception restrictive de l’identité tempérée par la perception du consommateur

L’arrêt établit une définition précise de l’identité qui, bien qu’affirmant un principe d’interprétation stricte (A), l’assouplit par l’introduction d’un correctif fondé sur l’appréciation du public pertinent (B).

A. L’affirmation d’une interprétation stricte de la notion d’identité

La Cour de justice énonce un critère de principe pour définir l’identité entre un signe et une marque. Elle juge en effet qu’« il existe une identité entre le signe et la marque lorsque le premier reproduit, sans modification ni ajout, tous les éléments constituant la seconde ». Cette approche s’oppose à une conception extensive qui aurait pu inclure les cas de reproduction quasi servile ou de reprise des éléments essentiels de la marque. En adoptant cette définition, la Cour souligne la spécificité de la protection absolue conférée par l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive.

Cette protection, qui s’applique en cas d’identité du signe et de la marque pour des produits ou services identiques, n’est pas subordonnée à la preuve d’un risque de confusion. La Cour a ainsi entendu réserver ce régime de protection renforcée aux seules hypothèses où le signe litigieux est une copie parfaite de la marque enregistrée. Étendre la notion d’identité à des situations où le signe comporte des différences, même minimes, reviendrait à empiéter sur le champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive. Cette dernière disposition vise les cas de similitude et subordonne, elle, la protection à l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public.

B. L’introduction d’un correctif fondé sur l’appréciation globale du consommateur moyen

Toutefois, la Cour ne s’en tient pas à une approche purement littérale et formelle de l’identité. Elle tempère la rigueur du principe en introduisant un élément d’appréciation concret. La perception de l’identité doit en effet être évaluée « globalement dans le chef d’un consommateur moyen qui est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ». Ce faisant, la Cour importe dans le champ de l’identité un standard d’appréciation traditionnellement utilisé pour évaluer le risque de confusion.

L’apport essentiel de cette précision réside dans la prise en compte de l’impression d’ensemble produite par le signe. Le consommateur moyen ne procède que rarement à une comparaison directe et détaillée des signes ; il se fie à l’image imparfaite qu’il en a gardée en mémoire. Dans cette perspective, la Cour admet que l’identité peut être reconnue même en présence de légères différences, à la condition que celles-ci soient si insignifiantes qu’elles « peuvent passer inaperçues aux yeux d’un consommateur moyen ». Cette solution pragmatique évite qu’un contrefacteur ne puisse échapper à la qualification d’usage d’un signe identique par l’ajout d’un détail infime et imperceptible, qui ne modifierait en rien la perception globale du signe.

II. La portée de la solution sur la délimitation des régimes de protection de la marque

La définition de l’identité retenue par la Cour a pour conséquence majeure de clarifier la frontière entre les différents régimes de protection prévus par la directive (A), assurant ainsi la cohérence de l’architecture générale du texte (B).

A. La clarification de la frontière entre protection absolue et protection relative

L’arrêt opère une distinction nette entre le champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, sous a), et celui de l’article 5, paragraphe 1, sous b). Le premier offre une protection absolue, indépendante de tout risque de confusion, mais son bénéfice est strictement circonscrit à l’hypothèse d’une identité entre le signe, la marque et les produits ou services. Le second offre une protection plus large, couvrant les cas de similitude, mais elle est relative car conditionnée par la démonstration d’un risque de confusion.

En interprétant restrictivement la notion d’identité, la Cour confirme que les situations de reproduction partielle d’une marque ou de reproduction avec adjonction d’éléments ne relèvent pas, en principe, du régime de la protection absolue. De telles hypothèses doivent être examinées au regard de la similitude et donc sur le terrain du risque de confusion. Cette solution met fin aux incertitudes qui pouvaient exister dans certains ordres juridiques nationaux, où les concepts de « contrefaçon partielle » ou d’« adjonction inopérante » permettaient parfois de retenir une contrefaçon par reproduction, sans avoir à prouver le risque de confusion. Désormais, l’analyse de ces situations doit s’opérer dans le cadre de l’article 5, paragraphe 1, sous b).

B. La préservation de la cohérence de l’architecture de la directive

Au-delà de la clarification des régimes, la décision renforce la logique et l’économie générale de la directive. Le législateur communautaire a entendu créer une échelle de protection graduée en fonction du degré de ressemblance entre le signe et la marque. Une interprétation extensive de la notion d’identité aurait perturbé cet équilibre en élargissant de manière excessive le champ de la protection absolue. Cela aurait eu pour effet de vider de sa substance l’exigence de risque de confusion prévue pour les cas de similitude.

La portée de cet arrêt est d’ailleurs systémique, la Cour précisant que l’interprétation dégagée pour l’article 5, paragraphe 1, sous a), est transposable à l’article 4, paragraphe 1, sous a), qui traite des motifs de refus ou de nullité d’une marque. Cette solution assure une application uniforme des conditions d’identité, que ce soit dans le cadre d’une action en contrefaçon ou d’une procédure visant à l’annulation d’une marque postérieure. En définitive, la Cour livre un critère équilibré qui garantit au titulaire une protection forte contre la reproduction servile de sa marque, tout en maintenant l’exigence de risque de confusion comme pivot de la protection contre les signes simplement similaires.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture