Cour de justice de l’Union européenne, le 20 mars 2018, n°C-596/16

La Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a rendu le 20 mars 2018 un arrêt majeur relatif au principe ne bis in idem. Cette décision précise l’articulation entre les sanctions pénales et administratives en matière d’opérations d’initiés au regard de la Charte des droits fondamentaux. Des personnes physiques avaient acquis en 2008 des actions d’une société émettrice en exploitant des informations privilégiées obtenues dans l’exercice de leurs fonctions. L’autorité de régulation des marchés financiers a infligé des sanctions pécuniaires aux intéressés par une décision administrative datée du 7 novembre 2012. La cour d’appel de Milan a statué sur les recours par deux arrêts rendus les 4 avril et 23 août 2013, provoquant un pourvoi en cassation. Parallèlement, le tribunal de Milan a prononcé une relaxe définitive car les faits constitutifs de l’infraction pénale n’étaient pas matériellement établis. La question de droit porte sur la conformité d’une règle nationale interdisant la poursuite d’une procédure administrative après un tel jugement d’acquittement. La Cour juge que l’article 50 de la Charte ne s’oppose pas à l’autorité de la chose jugée au pénal en cas d’absence de faits. L’analyse examinera d’abord l’autorité des constatations factuelles pénales avant d’étudier l’application du principe ne bis in idem aux sanctions administratives à caractère répressif.

I. L’autorité des constatations factuelles pénales sur la procédure administrative

A. La compatibilité de la règle de procédure nationale avec l’exigence d’effectivité

L’article 14 de la directive 2003/6 impose aux États membres de prévoir des sanctions administratives effectives, proportionnées et dissuasives pour réprimer les abus de marché. La juridiction européenne rappelle que « l’article 14, paragraphe 1, de cette directive se limite à prescrire aux États membres l’obligation de prévoir des sanctions administratives ». Le droit de l’Union respecte l’autonomie procédurale nationale concernant les effets d’un jugement pénal définitif sur une procédure administrative ouverte pour les mêmes faits. La Cour souligne l’importance du principe de l’autorité de la chose jugée tant dans l’ordre juridique européen que dans les ordres juridiques des États membres. Une réglementation nationale peut valablement limiter les poursuites administratives si un juge pénal a constaté, de manière contradictoire, que les faits n’étaient pas établis. Cette approche préserve la sécurité juridique sans compromettre l’exigence d’effectivité dès lors que les faits réels demeurent susceptibles d’être sanctionnés par le juge compétent. L’effectivité des sanctions repose également sur les prérogatives accordées à l’autorité de régulation lors de l’instance pénale menée parallèlement à son enquête.

B. La garantie d’une participation effective de l’autorité de régulation au procès

L’autorité de régulation peut influencer l’issue de la procédure pénale en exerçant les droits conférés aux entités lésées par l’infraction devant les juridictions répressives. Elle dispose de la faculté de se constituer partie civile et doit transmettre aux autorités judiciaires la documentation recueillie lors de ses propres investigations. « Il apparaît que la Consob peut effectivement s’assurer qu’un jugement pénal […] est prononcé en tenant compte de l’ensemble des éléments de preuve ». La collaboration entre les magistrats et le régulateur garantit que le jugement de relaxe repose sur une évaluation exhaustive de la réalité matérielle des agissements. L’autorité de la chose jugée ne fait donc pas obstacle à la répression effective lorsque les éléments constitutifs de l’opération d’initié sont réunis. La cohérence des décisions de justice impose toutefois de tirer les conséquences juridiques de l’absence de preuve constatée souverainement par le juge pénal du fond. Cette primauté des constatations factuelles s’inscrit plus largement dans le respect du droit fondamental garantissant qu’un individu ne soit pas jugé deux fois.

II. L’application du principe ne bis in idem aux sanctions administratives répressives

A. La reconnaissance de la nature pénale des amendes administratives pécuniaires

Le principe ne bis in idem interdit qu’une personne soit poursuivie ou punie pénalement pour une infraction pour laquelle elle a déjà été acquittée définitivement. Les sanctions administratives pécuniaires litigieuses présentent une finalité répressive et un degré de sévérité élevé justifiant leur qualification pénale au sens de la Charte. « Elles poursuivent une finalité répressive et présentent un degré de sévérité élevé et, partant, une nature pénale au sens de l’article 50 de la Charte ». L’identité des faits matériels entre les deux procédures déclenche la protection accordée par le droit fondamental à ne pas subir un double jugement répressif. La Cour précise que cette garantie bénéficie tant aux personnes condamnées qu’à celles ayant fait l’objet d’une décision de relaxe passée en force jugée. La poursuite de l’action administrative après un acquittement définitif constitue ainsi une limitation caractérisée du droit garanti par l’article 50 du texte constitutionnel européen. Il convient alors d’apprécier si une telle atteinte peut être légitimée par les nécessités impérieuses de la régulation des marchés financiers.

B. L’interdiction d’un cumul de poursuites disproportionné en cas de relaxe définitive

Toute limitation du principe ne bis in idem doit respecter le principe de proportionnalité et répondre à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union européenne. La protection de l’intégrité des marchés financiers justifie un cumul de sanctions uniquement si celles-ci visent des buts complémentaires et demeurent strictement nécessaires. « La poursuite d’une procédure de sanction administrative pécuniaire de nature pénale dépasserait manifestement ce qui est nécessaire afin de réaliser l’objectif » de protection du public. L’existence d’un jugement de relaxe constatant l’absence d’éléments constitutifs prive la procédure administrative de toute justification juridique et de tout fondement factuel. La primauté des droits fondamentaux interdit d’infliger une sanction répressive alors que l’innocence matérielle de l’intéressé a été judiciairement reconnue lors d’un procès pénal. Cette solution assure une articulation équilibrée entre la nécessité de réprimer les abus de marché et la protection individuelle contre le renouvellement des poursuites. L’arrêt rendu par la grande chambre confirme ainsi que la protection juridictionnelle effective des administrés prime sur la volonté répressive des autorités de régulation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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