L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 20 mars 2025 offre un éclaircissement substantiel sur la gestion des conflits entre un mandat d’arrêt européen et une demande d’extradition émanant d’un État tiers. En l’espèce, un ressortissant français faisait l’objet de poursuites pénales en France pour des faits commis entre 2010 et 2012. Alors qu’il devait être jugé par le tribunal judiciaire de Marseille, il fut interpellé et incarcéré en Espagne en exécution d’une demande d’extradition formée par les autorités suisses. Pour assurer sa comparution, la juridiction française a émis un mandat d’arrêt européen à son encontre. Conformément à la législation espagnole, la décision sur la priorité à accorder entre le mandat d’arrêt et la demande d’extradition a été prise par le Conseil des ministres, organe du pouvoir exécutif, qui a privilégié la demande suisse. Saisie de la question de la compatibilité de cette procédure nationale avec le droit de l’Union, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur le point de savoir si la décision-cadre 2002/584 s’oppose à ce que la compétence pour arbitrer un tel conflit soit attribuée à une autorité gouvernementale, et si une telle décision doit pouvoir faire l’objet d’un recours. La Cour de justice répond que la décision-cadre ne s’oppose pas à la désignation d’un organe du pouvoir exécutif comme autorité compétente, mais qu’une telle décision doit impérativement être susceptible d’un recours juridictionnel effectif. L’analyse de la Cour consacre ainsi une dissociation entre la nature de l’autorité décisionnaire et les garanties procédurales qui encadrent sa décision, permettant de concilier les impératifs de la coopération internationale classique et ceux, plus intégrés, de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
Il convient donc d’examiner la consécration par la Cour d’une compétence exécutive dans la résolution du conflit de normes (I), avant d’analyser la nécessaire soumission de cette compétence à un contrôle juridictionnel (II).
I. La consécration d’une compétence exécutive dans la résolution du conflit
La Cour de justice valide la possibilité pour un État membre d’attribuer à un organe de l’exécutif la compétence de statuer sur un conflit entre mandat d’arrêt européen et demande d’extradition. Cette solution repose sur une interprétation littérale et téléologique de la décision-cadre, qui distingue clairement l’autorité compétente en la matière de l’autorité judiciaire (A) et reconnaît par là même la nature spécifique des procédures d’extradition (B).
A. La distinction entre « autorité compétente » et « autorité judiciaire »
L’analyse de la Cour s’appuie de manière décisive sur la terminologie employée par le législateur de l’Union. L’article 16, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584 dispose qu’en cas de conflit avec une demande d’extradition, la décision sur la priorité est prise par l’« autorité compétente » de l’État membre d’exécution. La Cour souligne à cet égard que le législateur n’a pas repris le terme d’« autorité judiciaire d’exécution » qu’il utilise pourtant au paragraphe 1 du même article pour régler les conflits entre plusieurs mandats d’arrêt européens. Comme le relève l’arrêt, « les notions d’“autorité judiciaire” et d’“autorité compétente” ne sauraient, dans le cadre de cet article, être assimilées ». Cette différenciation textuelle n’est pas un hasard ; elle révèle une intention délibérée de laisser aux États membres une marge de manœuvre pour désigner l’organe chargé de cette décision spécifique. La Cour renforce son raisonnement en opérant un parallèle avec l’article 28 de la même décision-cadre, relatif à la remise ou à l’extradition ultérieure, qui oppose également le consentement de l’« autorité judiciaire » pour une remise à un autre État membre et celui de l’« autorité compétente » pour une extradition vers un État tiers.
Cette distinction lexicale trouve sa pleine justification dans la nature hétérogène des procédures en présence.
B. La reconnaissance de la nature spécifique de l’extradition
En validant la compétence d’un organe exécutif, la Cour prend acte des différences fondamentales qui séparent le système de remise institué par le mandat d’arrêt européen et le mécanisme classique de l’extradition. Le premier est un système de coopération judiciaire intégrée, fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle et la confiance entre les autorités judiciaires des États membres. Il vise, comme le rappellent les considérants de la décision-cadre, à remplacer l’extradition entre États membres par « un système de remise entre autorités judiciaires ». L’extradition, en revanche, demeure régie par des conventions internationales et le droit interne, reposant sur la réciprocité et impliquant des considérations d’opportunité politique et diplomatique qui dépassent le strict cadre judiciaire. En utilisant la notion neutre d’« autorité compétente », la décision-cadre permet aux États membres de confier l’arbitrage du conflit à l’organe qui, dans leur ordre interne, est traditionnellement en charge des relations internationales en matière pénale, souvent le pouvoir exécutif. La décision sur la priorité peut ainsi légitimement reposer, comme le souligne la Cour, sur « des considérations qui ne sont pas exclusivement judiciaires ».
Toutefois, si la Cour admet une discrétion dans le choix de l’organe compétent, elle encadre rigoureusement l’exercice de cette compétence en l’assujettissant à un contrôle juridictionnel.
II. La soumission de la compétence exécutive à un contrôle juridictionnel
La reconnaissance de la compétence d’un organe exécutif n’implique pas une liberté totale dans la prise de décision. La Cour rappelle avec force que l’exercice de cette compétence est conditionné par l’existence d’une voie de droit effective, fondant cette exigence sur le droit fondamental à un recours juridictionnel (A), dont elle précise la portée et les implications pour l’État membre d’exécution (B).
A. L’exigence d’un recours effectif fondée sur le droit de l’Union
La seconde partie du raisonnement de la Cour constitue un rappel essentiel des garanties inhérentes à l’état de droit au sein de l’Union. Bien que l’article 16, paragraphe 3, de la décision-cadre soit silencieux sur les modalités procédurales de la décision de priorité, la Cour comble cette lacune en se référant directement à l’article 47, premier alinéa, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle en déduit que les États membres « doivent prévoir, au bénéfice de cette personne, la possibilité d’un recours juridictionnel effectif ». Cette exigence garantit que la marge d’appréciation laissée à l’autorité compétente ne se transforme pas en pouvoir arbitraire. La décision de donner la priorité à une demande d’extradition a des conséquences directes et graves sur la liberté de la personne concernée et sur sa situation juridique. L’absence de recours la priverait de toute possibilité de contester une décision qui pourrait méconnaître les critères prévus par la décision-cadre ou porter atteinte à ses droits fondamentaux. Le droit de l’Union impose donc une garantie procédurale que le droit national doit organiser en vertu du principe d’autonomie procédurale, mais dont il ne peut en aucun cas nier l’existence.
Le contrôle exercé par le juge doit par ailleurs présenter une consistance suffisante pour assurer son effectivité.
B. La portée du contrôle juridictionnel sur la décision de priorité
La Cour ne se contente pas d’affirmer le principe d’un recours ; elle en esquisse la portée. Le contrôle juridictionnel doit permettre de vérifier que l’autorité exécutive a bien respecté les obligations qui lui incombent. L’arrêt précise que ce contrôle doit porter sur le fait que la décision de priorité « a été prise en tenant dûment compte de tous les critères pertinents auxquels fait référence l’article 16, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584 ». Ces critères incluent notamment la gravité et le lieu des infractions, les dates des demandes, mais aussi les dispositions de la convention d’extradition applicable. En outre, le juge doit pouvoir s’assurer qu’une éventuelle atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la personne, consacrés par la Charte, a été prise en considération. L’effectivité du recours suppose également, selon une jurisprudence constante rappelée par la Cour, que la décision soit motivée, afin de permettre à la personne concernée de connaître les raisons de son grief et au juge d’exercer son contrôle. Ce faisant, la Cour de justice établit un équilibre subtil : elle respecte la souveraineté des États membres dans l’organisation de leurs procédures d’extradition, mais elle ancre fermement ces procédures dans le respect des droits fondamentaux garantis par l’Union dès lors qu’un instrument de l’Union, tel que le mandat d’arrêt européen, est en jeu.