Cour de justice de l’Union européenne, le 20 novembre 2003, n°C-126/01

Par un arrêt du 20 novembre 2003, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’interprétation de la notion d’aide d’État au sens de l’article 92 du traité CE. En l’espèce, un État membre avait institué un service public de collecte et d’élimination des cadavres d’animaux et des déchets d’abattoirs, financé par une taxe sur les achats de viandes réalisée par les détaillants. Ce service était fourni gratuitement à ses principaux usagers, à savoir les éleveurs et les abattoirs. Une société assujettie à cette taxe en a demandé le remboursement, soutenant que le dispositif constituait une aide d’État illégalement mise à exécution. Saisie du litige, la juridiction de première instance a fait droit à cette demande. L’administration fiscale a alors interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Lyon qui, avant de statuer, a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il était ainsi demandé si un tel mécanisme, qui soulage certains opérateurs d’une charge qui leur incomberait normalement, devait être qualifié d’aide d’État. La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant qu’un régime « qui assure gratuitement pour les éleveurs et les abattoirs la collecte et l’élimination des cadavres d’animaux et des déchets d’abattoirs, doit être qualifié d’aide d’État ». Cette solution repose sur une analyse méthodique des conditions de qualification d’une aide d’État (I), et elle réaffirme une conception large et matérielle de cette notion (II).

I. La caractérisation de l’aide d’État par l’application des critères classiques

La Cour de justice applique de manière rigoureuse les conditions cumulatives de l’article 92 du traité CE pour qualifier le dispositif national d’aide d’État. Elle identifie d’abord un avantage économique octroyé au moyen de ressources publiques (A), puis confirme que cet avantage est sélectif et affecte les échanges entre États membres (B).

A. L’existence d’un avantage économique financé par des ressources d’État

La Cour rappelle que la notion d’aide englobe les interventions qui « allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise ». En l’espèce, le service de collecte et d’élimination des déchets d’abattoirs et des cadavres d’animaux est fourni gratuitement aux éleveurs et aux abattoirs. Or, la Cour considère que la charge financière liée à cette élimination « doit être considérée comme un coût inhérent à l’activité économique » de ces opérateurs. Dès lors, en prenant en charge ce coût, l’intervention publique leur confère un avantage économique certain.

Cet avantage est de plus accordé au moyen de ressources d’État. Le financement du service public est en effet assuré par le produit d’une taxe, affecté à un fonds spécifique géré par un organisme public. Bien que l’activité d’équarrissage soit assurée par des entreprises privées titulaires de marchés publics, le régime est imputable à l’État qui l’a institué et qui en assure le financement par des ressources qu’il contrôle. La condition tenant à l’origine étatique de l’avantage est donc remplie sans difficulté.

B. La sélectivité de la mesure et l’affectation des échanges intracommunautaires

La Cour examine ensuite le caractère sélectif de la mesure. Le gouvernement de l’État membre concerné soutenait qu’il s’agissait d’une mesure générale, puisque d’autres personnes, comme les propriétaires d’animaux domestiques, pouvaient en bénéficier. La Cour écarte cet argument en retenant une approche pragmatique. Elle constate que, nonobstant la diversité des bénéficiaires potentiels, « les effets de la loi […] se manifestent essentiellement au profit des éleveurs et des abattoirs ». La mesure favorise donc bien « certaines entreprises ou certaines productions », remplissant ainsi la condition de sélectivité.

Enfin, la Cour établit l’affectation des échanges entre États membres. Elle retient que lorsqu’une aide « renforce la position d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires, ces derniers doivent être considérés comme affectés ». Le fait que les opérateurs de la filière viande dans l’État concerné n’aient pas à supporter les coûts d’équarrissage améliore nécessairement leur compétitivité-prix. Une telle mesure est donc de nature à favoriser les exportations de cet État et à fausser la concurrence au sein du marché commun.

II. La portée de la décision : la confirmation d’une conception matérielle de l’aide d’État

Au-delà de la stricte application des critères, l’arrêt illustre la prévalence d’une approche matérielle qui s’attache aux effets de la mesure plutôt qu’à ses objectifs (A). Il confirme ainsi la portée très large du contrôle des aides d’État en droit de l’Union européenne (B).

A. L’indifférence des objectifs de l’intervention étatique

Le gouvernement de l’État membre faisait valoir que la mesure litigieuse relevait d’une politique de sécurité sanitaire dépassant l’intérêt particulier des entreprises. La Cour oppose à cet argument une jurisprudence constante et fondamentale en matière d’aides d’État. Elle rappelle que « l’article 92, paragraphe 1, du traité ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais définit celles-ci en fonction de leurs effets ». Cette approche purement économique est au cœur du contrôle des aides d’État.

Peu importe que l’intention du législateur national ait été de protéger la santé publique et l’environnement. Dès lors que le moyen choisi pour atteindre cet objectif se traduit par l’octroi d’un avantage sélectif qui fausse la concurrence, il tombe sous le coup de l’interdiction de principe des aides d’État. La légitimité de l’objectif poursuivi ne peut, le cas échéant, être prise en compte qu’au stade de l’examen de la compatibilité de l’aide avec le marché commun, et non au stade de sa qualification.

B. L’illustration de l’emprise du droit de la concurrence sur les services publics

Cette décision réaffirme que l’organisation d’une activité sous la forme d’un service public ne la soustrait pas au champ d’application du droit des aides d’État. En l’espèce, la collecte et l’élimination des déchets animaux avaient été qualifiées de « mission de service public » par le droit national. Toutefois, la Cour se concentre sur la réalité économique de l’intervention. En libérant les entreprises d’une charge qui leur est inhérente, l’État ne se contente pas d’organiser un service d’intérêt général ; il subventionne indirectement une filière économique.

La solution s’inscrit dans une logique extensive du contrôle des interventions publiques. Elle rappelle que les entreprises doivent en principe internaliser l’ensemble de leurs coûts de production, y compris ceux liés au traitement de leurs déchets. Toute intervention étatique qui déroge à ce principe au profit de certains acteurs économiques est susceptible d’être qualifiée d’aide. L’arrêt constitue ainsi une illustration claire de la vigilance de la Cour à l’égard de toute mesure, quelle que soit sa forme ou sa finalité affichée, qui viendrait fausser le jeu normal de la concurrence au sein du marché intérieur.

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Hassan KOHEN
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