Par un arrêt en date du 20 novembre 2003, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de décompte des trajets de poids lourds dans le cadre du régime d’écopoints applicable au transit à travers un État membre. En l’espèce, un État membre avait sollicité la Commission afin qu’elle propose une réduction du nombre d’écopoints pour l’année 2001, arguant que le nombre de trajets de transit enregistrés en 2000 dépassait de plus de 8 % le seuil de référence fixé par le Protocole n° 9 de son acte d’adhésion. La Commission a refusé de donner suite à cette demande, contestant la méthode de calcul de l’État membre qui incluait des trajets pour lesquels les données étaient incomplètes ou incohérentes. Saisie d’un recours en annulation par cet État contre la décision de la Commission, la Cour a dû se prononcer sur l’interprétation de la notion de « trafic de transit ». La question de droit soulevée était de savoir si le décompte des trajets de transit devait se fonder sur la simple déclaration du conducteur lors de son entrée sur le territoire, ou s’il exigeait la preuve d’une traversée effective de celui-ci, impliquant un point d’entrée et un point de sortie distincts. La Cour de justice a rejeté le recours, considérant que la qualification de trajet de transit dépend de la preuve d’une traversée complète du territoire de l’État membre concerné, et qu’il incombe à cet État de mettre en place un système de contrôle permettant de vérifier la réalité de ces trajets. L’arrêt, en écartant une conception purement formelle du transit fondée sur une déclaration, renforce l’exigence d’une preuve matérielle de la traversée, ce qui conditionne la mise en œuvre du mécanisme correcteur prévu par le droit de l’Union. La solution clarifie ainsi la notion de transit en la fondant sur un critère matériel, dont la preuve est à la charge de l’État gestionnaire du système.
I. La consécration d’une approche matérielle du trajet en transit
La Cour de justice rejette l’interprétation formaliste défendue par l’État requérant en rappelant la définition substantielle du transit (A), ce qui a pour effet de priver la déclaration du conducteur de toute valeur probante autonome (B).
A. La traversée du territoire comme condition substantielle
La Cour fonde son raisonnement sur la définition même du transit, telle qu’elle est fixée par le droit primaire. Elle rappelle que, selon l’article 1er, sous c), du Protocole n° 9, le « trafic de transit à travers l’Autriche » se définit comme « le trafic qui traverse le territoire autrichien à destination et en provenance de l’étranger ». De cette disposition, la Cour déduit logiquement que la qualification d’un trajet en transit repose sur une double condition géographique : le point de départ et le point d’arrivée du camion doivent tous deux être situés en dehors du territoire de l’État concerné.
Cette interprétation ancre la notion de transit dans une réalité physique objective, celle de la traversée complète d’un territoire. La Cour précise que, le trafic étant composé de trajets individuels, cette exigence s’applique nécessairement à chaque trajet pris isolément. Ainsi, pour qu’un camion soit comptabilisé au titre du régime des écopoints, il ne suffit pas qu’il pénètre sur le territoire de l’État membre ; il doit également en sortir, et ce, à destination d’un pays tiers. En conséquence, la preuve de l’entrée du véhicule doit être complétée par celle de sa sortie pour établir l’existence d’un trajet de transit.
B. L’insuffisance de la déclaration du conducteur
Face à cette exigence matérielle, l’argumentation de l’État requérant, fondée sur un prétendu « principe de la déclaration », est écartée par la Cour. L’État soutenait que la déclaration effectuée par le conducteur via son écoplaquette lors de l’entrée sur le territoire suffisait à qualifier le trajet de transit. La Cour réfute cette thèse en interprétant de manière stricte les dispositions du règlement d’application n° 3298/94. Elle juge que l’obligation pour le conducteur de régler son écoplaquette avant de pénétrer sur le territoire constitue une simple modalité technique et non un acte déclaratif créateur de droits.
La Cour souligne que cette manipulation de l’écoplaquette a pour unique but d’indiquer l’intention du conducteur, mais ne saurait se substituer à la vérification des faits. Elle affirme que si des « indications erronées étaient fournies par le conducteur », il reviendrait aux autorités nationales « de rectifier de telles erreurs ». Par cette formule, la Cour signifie que la déclaration du conducteur est réfragable et que la charge de vérifier sa véracité et de corriger les anomalies pèse sur l’État qui gère le système. En conséquence, le principe de la déclaration allégué est jugé sans fondement dans les textes, ce qui renforce la primauté de la preuve matérielle sur l’intention déclarée.
Cette approche matérielle du transit a des conséquences directes sur la charge de la preuve, que la Cour fait peser sans équivoque sur l’État membre qui gère et contrôle le système d’écopoints.
II. La charge de la preuve, clé de voûte du contrôle du système
La Cour établit clairement que la responsabilité de la collecte des preuves incombe à l’État gestionnaire du système (A), de sorte que toute défaillance probatoire de sa part entraîne le rejet de ses prétentions (B).
A. La responsabilité probatoire de l’État gestionnaire
La décision de la Cour repose sur l’idée que celui qui gère un système de contrôle doit être en mesure d’en prouver le bon fonctionnement et la fiabilité des données qu’il produit. La Cour déduit cette responsabilité des termes mêmes du règlement d’application, notamment de son article 2. Elle relève que la déduction des écopoints s’effectue « sur confirmation du fait qu’il effectue un passage en transit », et que cette opération est « effectuée par l’infrastructure fournie et gérée par les autorités autrichiennes ». Le rôle central confié à l’État membre dans la gestion de l’infrastructure implique donc nécessairement la responsabilité de confirmer la nature de chaque trajet.
Cette obligation de confirmation se double d’un devoir de transparence, la Cour rappelant que les autorités nationales sont tenues de mettre les informations nécessaires à la disposition des autres États membres et de la Commission. Il en ressort qu’il incombe à l’État requérant de se doter des moyens techniques et administratifs permettant un contrôle effectif non seulement de l’entrée, mais également de la sortie des véhicules. En faisant peser la charge de la preuve sur l’État qui a la maîtrise de l’infrastructure, la Cour adopte une solution pragmatique et cohérente avec une bonne administration du système.
B. Les conséquences de la défaillance probatoire
La conséquence logique de cette attribution de la charge de la preuve est que l’absence d’éléments probants se retourne contre l’État qui avait l’obligation de les fournir. La Cour applique ce principe aux deux catégories de trajets litigieux. Concernant les trajets avec entrée et sortie par le même poste frontière, elle considère qu’ils n’impliquent pas « à première vue, la traversée du territoire ». De même, les trajets pour lesquels aucune donnée de sortie n’est disponible apparaissent « à première vue, comme des trajets dont le point d’arrivée est situé en Autriche ».
Dans les deux cas, la Cour constate que l’État requérant « n’a présenté aucun élément de preuve de nature à infirmer une telle appréciation ». Le doute profite donc au maintien du statu quo, c’est-à-dire au refus de déclencher le mécanisme de réduction des écopoints. La Cour établit ainsi une présomption simple : en l’absence de preuve d’une traversée complète, un trajet est présumé ne pas être un transit au sens du Protocole. Cette solution rigoureuse incite l’État gestionnaire à garantir la fiabilité et l’exhaustivité de son système de collecte de données, condition indispensable à l’application correcte d’un mécanisme environnemental aussi sensible.