Par un arrêt rendu le 5 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur un recours en manquement introduit par la Commission européenne à l’encontre d’un État membre. La Commission reprochait à cet État de ne pas avoir correctement transposé en droit interne certaines dispositions de la directive du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement. En l’espèce, il était question de l’absence d’une procédure garantissant qu’une évaluation environnementale soit systématiquement réalisée pour des catégories de projets, notamment agricoles ou d’infrastructure, susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, et ce, avant même l’octroi de leur autorisation. La procédure précontentieuse, initiée par une lettre de mise en demeure puis un avis motivé, n’ayant pas conduit l’État membre à se conformer pleinement à ses obligations, la Commission a saisi la Cour de justice. Devant la Cour, l’État membre mis en cause a vraisemblablement soutenu que son cadre législatif global permettait d’atteindre les objectifs fixés par la directive. La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si un État membre manque aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union lorsque sa législation nationale ne garantit pas de manière suffisamment claire et contraignante qu’un examen préalable et une évaluation des incidences sur l’environnement soient menés pour tous les projets potentiellement dommageables visés par la directive. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, en jugeant qu’en « n’ayant pas pris […] toutes les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi d’une autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement […] soient soumis à une procédure d’autorisation et à une évaluation de leurs incidences », l’État membre avait effectivement manqué à ses obligations.
Il convient d’analyser la manière dont la Cour rappelle le caractère impératif des garanties procédurales environnementales (I), avant d’étudier la portée de ce contrôle dans le cadre du contentieux du manquement (II).
I. Le rappel du caractère impératif des garanties procédurales
La décision commentée réaffirme avec force l’exigence d’une transposition complète et effective de la directive, tant en ce qui concerne le champ d’application de l’évaluation (A) que la finalité préventive de celle-ci (B).
A. Une interprétation stricte du champ d’application de l’évaluation
La Cour sanctionne une transposition incomplète qui laissait subsister une incertitude juridique. La directive en cause vise à ce qu’une décision soit prise en connaissance de cause sur les conséquences environnementales d’un projet. Pour ce faire, elle établit des listes de projets, dont ceux de son annexe II qui doivent faire l’objet d’un examen au cas par cas pour déterminer si une évaluation est nécessaire. Le manquement constaté réside dans le fait que la législation nationale ne prévoyait pas un tel examen systématique pour certaines catégories de projets.
En jugeant que l’État membre n’avait pas pris « toutes les dispositions nécessaires », la Cour souligne qu’une transposition ne saurait se contenter de mesures partielles ou générales. Le droit national doit assurer de manière certaine que tout projet relevant du champ de la directive soit soumis au mécanisme de filtrage qu’elle institue. Cette obligation de résultat impose aux États membres d’édicter des règles claires, précises et contraignantes qui ne laissent aucune marge de manœuvre susceptible de vider la directive de son effet utile.
B. La consécration de la finalité préventive de la procédure
Le dispositif de la directive repose sur une logique préventive, ce que la solution de la Cour vient confirmer sans équivoque. L’évaluation des incidences doit nécessairement intervenir avant l’octroi de l’autorisation du projet. Cette antériorité de l’évaluation est la condition fondamentale pour que les autorités compétentes puissent effectivement tenir compte des informations environnementales dans leur prise de décision, et le cas échéant, refuser ou modifier le projet.
La Cour censure donc une situation où des projets pourraient être autorisés sans que leurs incidences sur l’environnement aient été préalablement et dûment appréciées. Elle rappelle ainsi que la protection de l’environnement, telle que voulue par le législateur de l’Union, ne peut s’accommoder de régularisations a posteriori ou d’évaluations purement formelles. Le respect de la séquence procédurale est essentiel pour garantir l’efficacité de l’instrument et atteindre le niveau élevé de protection visé par les traités.
II. La portée du contrôle juridictionnel en matière environnementale
Cet arrêt illustre de manière classique l’office du juge dans le contentieux du manquement (A) et confirme la vigueur de la jurisprudence de l’Union en matière de protection de l’environnement (B).
A. L’office du juge de l’Union dans le contentieux du manquement
Dans le cadre d’un recours en manquement, la Cour de justice opère un contrôle objectif du respect par un État membre de ses obligations. Il lui suffit de constater que le résultat prescrit par la directive n’a pas été atteint à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, sans qu’il soit besoin de rechercher les causes de ce manquement ou de démontrer une intention de la part de l’État. La seule divergence entre la législation nationale et les exigences de la directive suffit à caractériser la défaillance.
En l’espèce, la Cour ne s’attarde pas sur les éventuelles difficultés pratiques ou juridiques rencontrées par l’État membre. Elle se limite à confronter la législation nationale aux termes clairs de la directive. Cette approche rigoureuse fait du recours en manquement une arme efficace entre les mains de la Commission pour assurer l’uniformité et l’effectivité du droit de l’Union sur tout son territoire. La décision sert de rappel à l’ordre pour l’ensemble des États membres quant à leurs devoirs de transposition.
B. La consolidation d’une jurisprudence protectrice de l’environnement
La solution retenue s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante et bien établie. Depuis plusieurs décennies, la Cour de justice interprète les dispositions de la directive sur l’évaluation des incidences environnementales de manière à maximiser son efficacité. Elle a toujours veillé à ce que les États membres ne puissent pas contourner ses obligations par des artifices législatifs ou des pratiques administratives laxistes, notamment par le biais du « saucissonnage » de projets ou d’une interprétation restrictive de leur champ d’application.
La portée de cet arrêt, bien que doctrinalement peu novateur, est donc avant tout pratique et politique. Il renforce le rôle de la Commission en tant que gardienne des traités et incite les États membres à une vigilance accrue dans l’application du droit de l’environnement. Il réaffirme que les objectifs de développement économique ou agricole doivent se concilier avec les exigences procédurales environnementales, qui constituent une composante essentielle de l’ordre juridique de l’Union.