Cour de justice de l’Union européenne, le 20 novembre 2019, n°C-400/18

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 20 novembre 2019, interprète les conditions d’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée. Cette décision précise le régime fiscal applicable aux groupements autonomes de personnes fournissant des services à leurs membres ainsi qu’à des tiers extérieurs au groupement. Une association spécialisée dans l’informatique hospitalière offre des prestations techniques à ses membres affiliés et commercialise parallèlement ses solutions logicielles auprès d’entités non-membres. L’administration fiscale considère que cette activité commerciale impose l’assujettissement total du groupement, refusant ainsi le bénéfice de l’exonération pour les services rendus aux hôpitaux membres. Le tribunal de première instance de Bruges, par un jugement du 23 février 2009, confirme la dette fiscale de l’association pour l’ensemble de ses activités informatiques. La Cour d’appel de Gand infirme partiellement cette position le 21 septembre 2010 avant que la Cour de cassation de Belgique n’annule cette décision. La Cour d’appel d’Anvers, statuant sur renvoi le 20 septembre 2016, écarte à nouveau l’exonération au motif que le groupement ne sert pas exclusivement ses propres membres. Saisie d’un nouveau pourvoi, la Cour de cassation de Belgique sollicite l’interprétation des juges européens sur la compatibilité de cette exigence d’exclusivité avec la directive. Les magistrats de Luxembourg affirment que le droit européen s’oppose à une règle nationale subordonnant l’exonération à la fourniture exclusive de services aux membres du groupement. L’examen des critères de l’exonération précédera l’analyse des limites imposées aux États membres dans l’exercice de leur pouvoir de contrôle sur les distorsions de concurrence.

I. L’interprétation rigoureuse du droit de l’Union européenne

A. La lettre du texte face à l’exigence d’exclusivité

La Cour de justice souligne d’abord que le libellé de la directive ne prévoit aucune obligation pour les groupements de servir leurs seuls membres. Elle rappelle que « les termes employés pour désigner les exonérations visées à l’article 13 de la sixième directive sont d’interprétation stricte » par principe. Cette interprétation ne doit cependant pas priver les dispositions de leurs effets utiles ou rendre les exonérations quasi inapplicables dans la pratique quotidienne des acteurs. Les juges précisent qu’il « ne ressort pas de ce libellé que les prestations de services fournies à leurs membres sont exclues » du bénéfice de la mesure. Le droit européen exige simplement que les services soient directement nécessaires à l’activité exonérée des membres et facturés au prix de revient exact des dépenses. L’ajout d’une condition d’exclusivité par une législation nationale constitue donc une adjonction injustifiée qui dénature le texte originel de la directive harmonisée sur la taxe. Le refus d’une interprétation littérale restrictive permet alors d’envisager la portée sociale de l’exonération au regard des objectifs poursuivis par le législateur européen.

B. La finalité sociale du groupement autonome de personnes

L’objectif de la disposition est d’éviter que la collaboration entre professionnels ne génère des surcoûts fiscaux pénalisant l’accès à certaines activités d’intérêt général. La Cour affirme que les prestations fournies aux membres « contribuent directement à l’exercice des activités d’intérêt général » même si d’autres services sont rendus à des tiers. Cette approche permet de maintenir la neutralité fiscale du système commun tout en respectant la structure de coopération choisie par les divers opérateurs économiques. Néanmoins, le refus de l’exonération pour l’ensemble des activités réduirait indûment le champ d’application de la mesure de faveur prévue pour les groupements autonomes. La solution retenue assure une protection efficace des missions d’intérêt général contre une charge fiscale qui freinerait l’efficacité de la coopération technique entre hôpitaux. Cette interprétation libérale du champ d’application s’accompagne toutefois d’un encadrement strict des mécanismes de contrôle que les administrations nationales peuvent légitimement mettre en œuvre.

II. Les limites du contrôle étatique sur les exonérations

A. L’encadrement strict du risque de distorsion de concurrence

Les États membres disposent d’un pouvoir de réglementation pour prévenir les fraudes, mais ce pouvoir ne peut en aucun cas modifier le contenu des exonérations. La Cour de justice rappelle que c’est « l’exonération de la TVA en soi qui ne doit pas être susceptible de provoquer des distorsions de concurrence » réelles. Une législation nationale ne saurait instaurer une présomption générale de distorsion pour exclure systématiquement certains types de groupements du bénéfice de la dispense de taxe. Le risque de concurrence déloyale doit être apprécié de manière concrète et ne peut résulter de la seule présence d’activités imposables réalisées avec des tiers. Ainsi, les juges européens censurent une approche automatique qui transformerait une règle de protection du marché en un obstacle disproportionné à l’application du droit communautaire. L’absence de distorsion constatée interdit par conséquent aux autorités nationales de restreindre le bénéfice de la mesure de faveur de manière disproportionnée et automatique.

B. La sanction d’une restriction disproportionnée du champ d’application

La décision condamne fermement les dispositions nationales instaurant une présomption irréfragable de fraude ou d’évasion fiscale pour les groupements fournissant des services à des tiers. Les magistrats européens considèrent qu’une telle mesure « a pour effet de limiter le champ d’application » de la directive au-delà des nécessités de la lutte contre l’abus. Seules les prestations fournies aux non-membres doivent rester soumises à la taxe conformément au principe général de l’assujettissement de toute prestation effectuée à titre onéreux. Cette dissociation des régimes fiscaux permet de concilier la protection des finances publiques avec le maintien d’une incitation à la coopération entre les organismes sociaux. Dès lors, la portée de cet arrêt réside dans la réaffirmation de la primauté des objectifs européens sur les formalités administratives nationales jugées trop restrictives. Les États membres doivent veiller à ce que leurs conditions d’application n’altèrent pas l’essence même des libertés fiscales garanties par le droit de l’Union.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture