Cour de justice de l’Union européenne, le 20 octobre 2005, n°C-264/03

Par un arrêt en date du 20 octobre 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la nature juridique du contrat de maîtrise d’ouvrage déléguée au regard du droit communautaire de la concurrence. En l’espèce, la législation d’un État membre réservait la possibilité de confier une telle mission à une liste limitative de personnes morales relevant de son droit national. Saisie par la Commission dans le cadre d’un recours en manquement, la Cour était amenée à déterminer si cette exclusion des opérateurs économiques des autres États membres était compatible avec les règles de passation des marchés publics et avec la libre prestation des services. L’État membre mis en cause soutenait que le contrat litigieux, qualifié de mandat, échappait au champ d’application du droit communautaire des marchés publics, le mandataire ne faisant qu’exercer une mission d’intérêt général pour le compte d’un pouvoir adjudicateur. Face à cette argumentation, la Cour devait donc se prononcer sur le point de savoir si un contrat par lequel une autorité publique confie à un tiers l’exercice rémunéré de certaines de ses attributions constitue un marché public de services et, dans l’affirmative, si en restreindre l’accès aux seules entités nationales constitue une violation des obligations communautaires. En réponse, la Cour a jugé qu’une telle réglementation nationale méconnaissait à la fois la directive relative aux marchés publics de services et l’article 49 du traité CE.

L’analyse de la Cour repose sur une qualification rigoureuse du contrat de maîtrise d’ouvrage déléguée, le faisant entrer dans le champ du droit de la concurrence (I), ce qui conduit inévitablement à la censure de la législation nationale qui en restreignait l’accès (II).

I. La qualification de marché public de services retenue pour le contrat de maîtrise d’ouvrage déléguée

La Cour procède à une analyse fonctionnelle du contrat pour le qualifier de marché public de services. Elle écarte pour cela l’argument tiré de sa nature de simple mandat (A) avant de réfuter l’idée d’une participation à l’exercice de l’autorité publique (B).

A. Le rejet de la qualification de mandat excluant l’application du droit communautaire

Pour déterminer si le contrat de maîtrise d’ouvrage déléguée relevait de la directive 92/50, la Cour a examiné si les critères objectifs posés par celle-ci étaient remplis. Elle rappelle que la notion de marché public de services doit être interprétée de manière autonome, sans égard pour la qualification retenue en droit interne. Le juge communautaire constate que la convention est un contrat conclu par écrit, à titre onéreux, entre un pouvoir adjudicateur et un prestataire. La Cour observe que « pour établir si le contrat […] relève du champ d’application de la directive 92/50, il y a lieu d’examiner si les critères établis à l’article 1er, sous a), de cette dernière sont remplis ». Elle se détache ainsi de l’argumentaire du gouvernement défendeur, fondé sur la notion de mandat, pour s’en tenir à la réalité économique de l’opération.

Le raisonnement de la Cour souligne que les différentes attributions confiées au mandataire, telles que l’assistance administrative et technique ou la préparation du choix des maîtres d’œuvre et des entrepreneurs, constituent bien des prestations de services. Contrairement à la thèse défendue, ces missions ne sont pas indissociables de la fonction de représentation. Le fait que le maître d’ouvrage puisse ne confier qu’une partie de ses attributions au mandataire démontre la divisibilité des prestations et leur nature de services distincts. La qualification de marché public de services est donc logiquement retenue par la Cour.

B. L’absence de participation à l’exercice de l’autorité publique

La Cour examine ensuite si les missions confiées au maître d’ouvrage délégué relèvent de l’exception prévue aux articles 45 et 55 du traité CE, relative aux activités participant à l’exercice de l’autorité publique. Une telle qualification aurait permis de justifier une restriction à la libre prestation de services. Cependant, la Cour rejette cette possibilité en analysant le degré d’autonomie du mandataire. Elle constate que le maître d’ouvrage conserve la responsabilité principale de l’opération et que ses décisions finales sont requises pour les actes importants.

Le mandataire ne dispose pas d’un pouvoir de décision propre suffisant pour caractériser un transfert d’autorité. La Cour relève en effet que « le maître de l’ouvrage, responsable principal de celui-ci, remplit dans ce rôle une fonction d’intérêt général dont il ne peut se démettre. En outre, le mandataire ne peut agir qu’après approbation donnée par le maître de l’ouvrage ». Le rôle du délégataire est donc celui d’un exécutant, même s’il dispose d’une expertise technique, et non celui d’un détenteur de prérogatives de puissance publique. Dès lors, les missions qu’il accomplit, qu’il s’agisse de tâches techniques, administratives ou de représentation, ne sauraient être considérées comme une participation à l’exercice de l’autorité publique.

II. La portée de la condamnation au regard du respect des libertés fondamentales

La qualification de marché public de services emporte des conséquences directes quant à l’application des règles de concurrence (A), mais la Cour étend également son raisonnement aux contrats qui échappent au champ d’application de la directive, en se fondant sur les principes fondamentaux du traité (B).

A. L’application distributive des règles de concurrence aux contrats de maîtrise d’ouvrage déléguée

Une fois le contrat qualifié de marché public de services, l’application de la directive 92/50 devient une évidence pour les contrats dont la valeur atteint le seuil fixé par celle-ci. Or, la législation nationale en cause violait manifestement cette directive sur deux aspects essentiels. D’une part, elle instaurait une discrimination directe fondée sur la nationalité en réservant la mission de maîtrise d’ouvrage déléguée à des entités de droit national. D’autre part, elle ne respectait pas les obligations de transparence et de mise en concurrence, principes cardinaux du droit des marchés publics.

La Cour souligne ce manquement en des termes clairs, notant qu' »il est établi que la loi […] ne prévoit aucune procédure de mise en concurrence pour le choix du mandataire ». Cette absence de procédure contrevient directement à l’objectif de la directive, qui est d’assurer l’ouverture des marchés publics à la concurrence la plus large possible au sein de la Communauté. La condamnation de l’État membre sur ce point réaffirme avec force l’impérativité des règles procédurales prévues par le droit communautaire dérivé en matière de commande publique.

B. L’assujettissement des contrats exclus du champ de la directive aux principes fondamentaux du traité

La portée de l’arrêt réside également dans le rappel que les contrats publics qui n’entrent pas dans le champ d’application matériel des directives ne constituent pas pour autant une zone de non-droit. La Cour affirme que pour les marchés de services dont la valeur est inférieure aux seuils, ou pour ceux qui sont autrement exclus du champ de la directive, les règles fondamentales du traité continuent de s’appliquer. Elle énonce ainsi que « bien que certains contrats soient exclus du champ d’application des directives communautaires dans le domaine des marchés publics, les pouvoirs adjudicateurs les concluant sont, néanmoins, tenus de respecter les règles fondamentales du traité et le principe de non-discrimination en raison de la nationalité en particulier ».

Cette affirmation s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence antérieure et confirme que tout pouvoir adjudicateur est tenu par une obligation de transparence qui découle directement du principe de non-discrimination et de la libre prestation des services consacrée à l’article 49 du traité CE. La législation nationale, en réservant l’accès à la maîtrise d’ouvrage déléguée aux seules personnes morales de droit français, constituait une restriction directe et injustifiée à cette liberté fondamentale. La décision étend ainsi l’exigence de non-discrimination à l’ensemble de la commande publique, quelle que soit sa valeur, renforçant la cohérence du marché intérieur.

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