La quatrième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 20 octobre 2011, une décision fondamentale pour le droit des dessins et modèles communautaires. Un litige opposait deux entités concernant la validité d’un enregistrement portant sur des supports circulaires destinés à des articles de jeux promotionnels. Le demandeur initial invoquait un droit antérieur sur un modèle similaire pour obtenir la nullité du titre déposé ultérieurement. La chambre de recours de l’autorité de propriété intellectuelle avait pourtant rejeté cette demande en soulignant la liberté restreinte du créateur dans ce secteur. Saisi d’un recours, le Tribunal a annulé cette position administrative, provoquant ainsi l’introduction du présent pourvoi devant la haute juridiction européenne.
Le litige soulève la question de la définition de l’utilisateur averti et de l’étendue du contrôle juridictionnel exercé sur les appréciations techniques de l’administration.
La Cour confirme que cet observateur occupe une position médiane et valide l’intensité du contrôle opéré par les juges du fond. Il convient d’étudier la conceptualisation de la figure de l’utilisateur averti (I) avant d’analyser l’encadrement du contrôle de légalité par le juge (II).
I. La conceptualisation de la figure de l’utilisateur averti
A. Une catégorie intermédiaire de l’observation juridique
Le juge européen définit l’utilisateur averti comme « une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen […] et celle d’homme de l’art, expert doté de compétences techniques ». Cette catégorie ne requiert aucune connaissance scientifique approfondie mais suppose toutefois une vigilance supérieure à celle d’un simple acheteur profane. L’utilisateur est ainsi « doté non d’une attention moyenne mais d’une vigilance particulière » en raison de son expérience personnelle du secteur considéré. Il connaît les différents modèles existants et fait preuve d’un « degré d’attention relativement élevé lorsqu’il les utilise ».
Cette qualification permet de distinguer le droit des dessins et modèles du droit des marques en exigeant une perception plus fine des détails. Le Tribunal a justement considéré que cet utilisateur pouvait être un enfant ou un directeur du marketing connaissant parfaitement le phénomène des jeux promotionnels. La décision souligne que l’attention portée aux produits dépend directement de l’intérêt manifesté par le sujet pour les caractéristiques visuelles des objets.
B. Une méthodologie de comparaison fondée sur l’examen direct
La nature de l’utilisateur averti implique que, « lorsque cela est possible, il procédera à une comparaison directe des dessins ou modèles en cause ». Cette méthode de confrontation immédiate des formes prime sur le simple souvenir imparfait souvent utilisé pour apprécier le risque de confusion. La Cour admet néanmoins que cette comparaison directe peut s’avérer « infaisable ou inhabituelle dans le secteur concerné » selon des circonstances spécifiques. Elle rejette l’idée que le législateur de l’Union ait entendu limiter strictement l’évaluation des modèles à cette seule modalité technique.
Le juge valide ainsi le raisonnement du Tribunal qui avait relevé des similitudes frappantes dans l’impression globale produite par les disques en conflit. Les éléments de ressemblance portaient sur des zones où le créateur disposait pourtant d’une réelle liberté de conception visuelle. L’impression globale divergente doit résulter de différences significatives et non de détails mineurs perçus uniquement par un expert technique. Cette approche garantit une protection effective des droits antérieurs tout en respectant les contraintes objectives pesant sur la création industrielle.
II. L’encadrement du contrôle de légalité par le juge
A. La plénitude du contrôle juridictionnel sur les éléments techniques
Le juge du fond dispose d’une compétence étendue pour exercer un « plein contrôle de légalité sur l’appréciation portée » par l’administration de la propriété intellectuelle. Cette mission ne se limite pas à la vérification des erreurs manifestes mais autorise une réformation complète des décisions administratives litigieuses. La Cour précise toutefois que le juge peut reconnaître à l’administration une « certaine marge d’appréciation » lors d’évaluations hautement techniques ou complexes. Le Tribunal n’a pas outrepassé ses pouvoirs en procédant à un examen minutieux des caractéristiques physiques des modèles présentés.
L’utilisation d’échantillons de produits réels pour confirmer l’impression visuelle tirée des dessins déposés ne constitue pas une erreur de droit critiquable. Cette comparaison matérielle sert à « confirmer les conclusions déjà tirées » à partir des représentations graphiques figurant dans les demandes officielles d’enregistrement. Le juge peut ainsi s’appuyer sur la réalité du marché pour affiner sa perception de l’impression globale produite sur l’utilisateur. La légalité de la décision administrative est alors scrutée avec une rigueur garantissant la sécurité juridique des titulaires de droits.
B. La limitation du contrôle du pourvoi aux questions de droit
La Cour de justice rappelle que l’appréciation des faits et des éléments de preuve ne relève pas de sa compétence en matière de pourvoi. Une partie ne peut utilement invoquer une dénaturation que si elle démontre une erreur manifeste apparaissant « de façon manifeste des pièces du dossier ». Le grief de dénaturation doit être étayé par des indications précises sur les éléments d’analyse qui auraient conduit à une conclusion erronée. En l’espèce, la critique portant sur la perception des modèles uniquement « de dessus » est rejetée comme étant de nature purement factuelle.
Le pourvoi est intégralement rejeté car les arguments soulevés ne démontrent aucune violation des règles relatives à la charge de la preuve. Cette solution consacre la souveraineté des juges du fond dans l’évaluation concrète de l’impression visuelle globale produite par les créations industrielles. La décision renforce la protection des modèles antérieurs dès lors que les similitudes portent sur des aspects non dictés par la fonction technique. La condamnation aux dépens de la partie requérante clôt définitivement ce litige relatif à la propriété intellectuelle européenne.