Par un arrêt du 20 octobre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conséquences du non-respect d’une obligation formelle sur le droit à l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à un transfert intracommunautaire. En l’espèce, un entrepreneur individuel avait transféré un véhicule de son entreprise d’Allemagne vers l’Espagne au cours de l’année 2006. Ce véhicule fut vendu en Espagne l’année suivante. L’administration fiscale allemande, après avoir initialement contesté l’opération sur l’année 2007, a finalement considéré que le transfert de 2006 constituait une opération imposable en Allemagne. Elle a refusé le bénéfice de l’exonération de TVA au motif que l’assujetti n’avait pas communiqué de numéro d’identification à la TVA attribué par l’Espagne, bien que le transfert physique du bien vers un autre État membre pour les besoins de l’entreprise ne fût pas contesté. Saisi du litige, le Finanzgericht München a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle décision avec le droit de l’Union. Il s’agissait de déterminer si une administration fiscale pouvait refuser l’exonération d’un transfert intracommunautaire au seul motif de l’absence de communication d’un numéro de TVA de l’État membre de destination, alors même que les conditions matérielles de l’exonération étaient remplies et qu’aucun indice de fraude fiscale n’était relevé. La Cour répond par la négative, estimant qu’une telle pratique est contraire à la sixième directive TVA. La communication du numéro d’identification à la TVA ne constitue qu’une exigence formelle qui ne saurait primer sur la réalité matérielle de l’opération, sauf dans des circonstances particulières. La solution consacre ainsi une hiérarchie claire entre les conditions de fond et les obligations de forme (I), tout en encadrant strictement les possibilités pour une administration de sanctionner un manquement purement formel par un refus d’exonération (II).
I. La hiérarchie établie entre conditions de fond et exigences formelles
La Cour de justice rappelle avec force que le bénéfice de l’exonération de TVA est avant tout subordonné au respect de conditions matérielles, la preuve de ce respect n’étant pas exclusivement liée à la communication d’un numéro d’identification. L’analyse de l’arrêt révèle ainsi la primauté réaffirmée des conditions de fond de l’exonération (A) et le caractère probatoire simplement subsidiaire du numéro d’identification à la TVA (B).
A. La primauté des conditions substantielles du transfert intracommunautaire
La Cour fonde son raisonnement sur le principe selon lequel « les opérations doivent être taxées en prenant en considération leurs caractéristiques objectives ». Pour un transfert intracommunautaire, ces caractéristiques découlent des dispositions de la directive. Il s’agit du transfert physique d’un bien corporel par un assujetti, ou pour son compte, en dehors du territoire d’un État membre mais à l’intérieur de l’Union, pour les besoins de son entreprise. Lorsque ces éléments matériels sont réunis, l’opération doit être qualifiée de transfert intracommunautaire exonéré.
Le juge européen souligne que la finalité de l’exonération est de garantir que la taxation ait lieu dans l’État membre de destination du bien. Le respect des conditions de fond assure la correcte application du système commun de TVA en évitant une double imposition ou une absence d’imposition. En conséquence, le principe de neutralité fiscale « exige que l’exonération de la TVA soit accordée si ces conditions de fond sont satisfaites, même si certaines exigences formelles ont été omises par les assujettis ». Le refus d’exonérer une opération qui remplit matériellement tous les critères reviendrait à remettre en cause cet équilibre fondamental du système.
B. Le caractère subsidiaire du numéro d’identification à la TVA
L’administration fiscale allemande et la législation nationale faisaient de la communication du numéro de TVA espagnol une condition de l’exonération. La Cour écarte cette approche en qualifiant cette obligation d’« exigence formelle ». Elle étend à la situation du transfert intracommunautaire la solution déjà retenue pour les livraisons intracommunautaires, pour lesquelles la communication du numéro de TVA de l’acquéreur constitue également une simple formalité. La possession d’un tel numéro n’est pas une condition pour obtenir la qualité d’assujetti.
Le numéro d’identification est certes un outil de contrôle efficace pour les administrations fiscales. Il constitue une preuve simple que le transfert est effectué pour les besoins de l’entreprise de l’assujetti dans l’État membre de destination. Cependant, il ne saurait être la seule preuve admissible. La Cour précise que « la preuve d’une telle qualité ne peut, dans tous les cas, dépendre exclusivement de la fourniture dudit numéro d’identification à la TVA ». Imposer cette seule modalité de preuve serait excessif et contraire à la logique du système qui se fonde sur la réalité économique des transactions.
II. Le refus sanctionné de l’automaticité de la sanction d’un manquement formel
La Cour, tout en rappelant que le non-respect d’une obligation formelle ne peut en principe priver un assujetti de son droit à exonération, délimite les cas où une telle conséquence est néanmoins possible. Elle circonscrit ainsi les hypothèses exceptionnelles justifiant un refus d’exonération (A) et renforce par là même la portée des principes de proportionnalité et de neutralité fiscale (B).
A. Les circonstances exceptionnelles justifiant le refus d’exonération
La jurisprudence a identifié deux situations dans lesquelles le non-respect d’une exigence formelle peut entraîner la perte du droit à l’exonération. La première est celle où « un assujetti a intentionnellement participé à une fraude fiscale qui a mis en péril le fonctionnement du système commun de la TVA ». Cette hypothèse est explicitement écartée en l’espèce, la juridiction de renvoi ayant constaté l’absence de tout indice sérieux de fraude. L’erreur de l’assujetti relevait d’une mauvaise qualification comptable, et non d’une volonté de se soustraire à l’impôt.
La seconde situation est celle où la violation de l’exigence formelle « a pour effet d’empêcher d’apporter la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites ». Cette exception ne trouve pas non plus à s’appliquer dans le cas présent. L’administration fiscale, bien que n’ayant pas reçu le numéro d’identification, disposait des éléments nécessaires pour vérifier la réalité du transfert du véhicule vers l’Espagne. Le fait que le bien ait été physiquement déplacé et affecté à l’activité de l’entreprise dans un autre État membre était établi. Le refus d’exonération ne pouvait donc se fonder sur une prétendue impossibilité de contrôle.
B. La portée des principes de proportionnalité et de neutralité fiscale
En dehors des deux cas précités, refuser l’exonération pour un simple manquement formel constitue une mesure disproportionnée. La Cour rappelle que les États membres peuvent adopter des mesures pour assurer l’exacte perception de la taxe et éviter la fraude. Toutefois, ces mesures ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs. Un refus d’exonération remettrait en cause la neutralité de la TVA en faisant peser une charge fiscale sur une opération qui ne devrait pas en supporter dans l’État de départ.
La Cour suggère une alternative plus adéquate pour sanctionner le non-respect d’une obligation formelle. Elle indique qu’une telle infraction « peut être sanctionnée par une amende proportionnée à la gravité de celle-ci ». Une sanction pécuniaire permet de pénaliser le comportement négligent de l’assujetti sans pour autant bouleverser les principes fondamentaux régissant la taxation des échanges intracommunautaires. Cette solution préserve l’équilibre entre l’efficacité des contrôles fiscaux et la protection des droits des contribuables de bonne foi.