Cour de justice de l’Union européenne, le 20 octobre 2022, n°C-295/21

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 20 octobre 2022, une décision précisant les modalités de transfert des avantages fiscaux lors de fusions. Ce litige porte sur l’interprétation de la directive concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents. Une société anonyme d’assurances a absorbé plusieurs entités disposant d’importants excédents de revenus définitivement taxés reportables sur les exercices d’imposition ultérieurs. Toutefois, l’administration fiscale nationale a rejeté le report intégral de ces créances, limitant le transfert au prorata de l’actif net fiscal des sociétés absorbées. Saisie d’un recours, la Cour d’appel de Bruxelles a décidé, le 29 avril 2021, d’interroger la juridiction européenne sur la validité d’une telle restriction réglementaire. La société requérante soutenait que cette limitation constituait une imposition indirecte des dividendes, en violation flagrante des principes de neutralité fiscale européenne. À l’opposé, l’État défendeur affirmait que la directive n’impose aucun droit au report automatique et inconditionnel des avantages fiscaux lors d’une fusion. La question posée consistait à déterminer si le droit de l’Union s’oppose à une règle nationale restreignant le transfert des dividendes reportables entre sociétés fusionnées. Le juge a conclu que la réglementation européenne n’interdit pas une telle limitation proportionnelle dès lors qu’elle ne provoque aucune double imposition effective. L’analyse de cette solution impose d’étudier l’autonomie des États dans la mise en œuvre de l’exonération puis la licéité de la limitation du transfert.

I. L’autonomie des États membres dans la mise en œuvre du régime d’exonération des bénéfices

A. L’absence d’obligation européenne concernant le transfert intégral des créances fiscales L’article 4 de la directive laisse aux États le choix entre le système de l’imputation et celui de l’exonération pour éviter la double imposition économique. Les dispositions européennes fixent un résultat à atteindre sans toutefois prescrire les modalités techniques de transmission des créances fiscales entre des entités juridiques distinctes. La Cour souligne ainsi que l’obligation de s’abstenir d’imposer n’est assortie d’aucune condition relative au report automatique des excédents vers une nouvelle société absorbante. Le juge précise que « l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435 ne prévoit pas la possibilité de procéder à un report inconditionnel des excédents ». Les États membres demeurent libres d’organiser les modalités procédurales de l’exonération selon les nécessités spécifiques de leur ordre juridique interne et de leur souveraineté.

B. La validation du mécanisme de déduction différée au regard des objectifs de neutralité fiscale Le régime national prévoit l’inclusion initiale des dividendes dans la base imposable avant de permettre une déduction ultérieure à hauteur de quatre-vingt-quinze pour cent. Ce mécanisme complexe garantit que les bénéfices distribués ne subissent aucune taxation directe, respectant scrupuleusement les finalités poursuivies par la réglementation fiscale de l’Union. Le report des déductions non utilisées permet de compenser l’intégration des revenus, évitant que la société mère ne subisse une charge fiscale indirecte injustifiée. La juridiction relève que le droit interne renvoie explicitement aux normes européennes, assurant une parfaite cohérence entre les règles nationales et les impératifs communautaires. Cette architecture garantit la neutralité fiscale, bien que l’exercice effectif du droit à déduction puisse être encadré par des conditions de transfert lors des restructurations. Cette autonomie dans l’organisation des déductions permet d’envisager sereinement la conformité des restrictions appliquées lors des opérations de fusion par absorption des sociétés.

II. La conformité de la limitation proportionnelle du transfert des reports fiscaux

A. La licéité d’une restriction calquée sur le traitement des pertes professionnelles antérieures L’administration fiscale applique par analogie le régime des pertes professionnelles pour restreindre le transfert des revenus définitivement taxés lors d’une opération de fusion. Cette règle limite le report en proportion de la part que représente l’actif net fiscal de la société absorbée dans le total de la nouvelle entité. La Cour considère que cette méthode n’entraîne pas une imposition indirecte prohibée car elle ne remet pas en cause le principe même de l’exonération. Il est désormais acquis que « l’article 4, paragraphe 1, de la directive 90/435 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation ». La limitation au prorata constitue une mesure proportionnée visant à prévenir des avantages fiscaux excessifs tout en maintenant l’élimination de la double taxation des bénéfices.

B. La préservation de l’équilibre fiscal entre le système d’exonération et celui de l’imputation Une comparaison rigoureuse démontre qu’un transfert intégral des excédents placerait la société absorbante dans une situation plus favorable qu’une simple exclusion des revenus distribués. Le juge observe que, sans cette limitation, l’entité fusionnée pourrait obtenir une réduction de sa base imposable supérieure à celle offerte par l’exonération simple. La neutralité fiscale est préservée dès lors que la charge finale n’est pas plus lourde que celle résultant de l’exclusion directe des bénéfices de la base. La juridiction européenne confirme ainsi que le droit de l’Union ne confère aucun droit à un avantage fiscal excédant la simple neutralisation de l’imposition. Cette décision offre une clarification essentielle sur la marge de manœuvre des autorités nationales pour réguler la transmission des attributs fiscaux durant les fusions.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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