Cour de justice de l’Union européenne, le 20 octobre 2022, n°C-362/21

La Cour de justice de l’Union européenne a précisé, dans une décision préjudicielle, le régime juridique de la signature électronique qualifiée et ses implications sur la validité des actes administratifs nationaux. En l’espèce, la validité d’un acte administratif établi sous forme électronique était contestée au motif que la signature apposée ne répondait pas aux critères d’une signature qualifiée au sens du règlement (UE) n° 910/2014, dit eIDAS. La juridiction nationale, confrontée à cette difficulté d’interprétation, a saisi la Cour de plusieurs questions préjudicielles. Celles-ci portaient sur la possibilité de sanctionner par la nullité un acte ne respectant pas les exigences de signature, sur les critères d’identification d’une signature qualifiée, et sur l’incidence de la translittération du nom du signataire. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer les conditions de validité et les effets d’une signature électronique dans l’ordre juridique des États membres, au regard des exigences fixées par le droit de l’Union. La Cour répond que le règlement ne s’oppose pas à la nullité d’un tel acte, à condition que cette sanction ne résulte pas du seul caractère électronique de la signature. Elle clarifie également que seule la présence d’un certificat qualifié confère à une signature sa nature qualifiée, et que le juge national doit vérifier le respect des conditions de fond, y compris lorsque le nom du signataire est translittéré. La décision clarifie ainsi les critères stricts de la signature qualifiée (I), tout en définissant les conséquences de leur non-respect sur la validité des actes administratifs (II).

I. La définition et le contrôle de la signature électronique qualifiée

La Cour de justice apporte des clarifications essentielles sur les éléments constitutifs de la signature électronique qualifiée. Elle établit une hiérarchie stricte des modes de preuve de cette qualification (A) et détaille l’étendue du contrôle que doit opérer le juge national en cas de contestation (B).

A. La primauté du certificat qualifié sur les autres formes de reconnaissance

La Cour rappelle la distinction entre les différents niveaux de signatures électroniques définis par le règlement eIDAS. Elle affirme avec force que l’existence d’un « certificat qualifié de signature électronique » est la condition sine qua non pour qu’une signature soit considérée comme « qualifiée ». En conséquence, l’absence de ce certificat est, selon les juges, « suffisante pour établir qu’une signature électronique ne constitue pas une “signature électronique qualifiée” ». Cette précision met fin à toute ambiguïté potentielle.

De plus, la Cour écarte expressément la pertinence de notions étrangères au règlement, telle que la « signature électronique professionnelle ». Une telle qualification, même reconnue en droit national, est dépourvue d’effet pour satisfaire aux exigences du droit de l’Union. La simple inscription d’une signature dans un certificat délivré par un prestataire de services de confiance ne suffit pas en elle-même. Seul un certificat explicitement qualifié comme tel, et répondant aux critères de l’annexe I du règlement, peut fonder la reconnaissance d’une signature qualifiée, garantissant ainsi un niveau de sécurité et de fiabilité uniforme au sein du marché intérieur.

B. L’office du juge national dans la vérification des exigences de fond

La Cour souligne que la qualification d’une signature ne peut reposer sur une simple apparence. Lorsqu’une signature est contestée devant une juridiction, celle-ci ne saurait se contenter de l’affirmation d’une partie ou de l’intitulé d’un certificat. Le juge est tenu de vérifier si les « conditions cumulatives prévues à cet article 3, point 12, sont toutes remplies ». Cette obligation de contrôle impose un examen approfondi de la conformité de la signature aux exigences techniques et formelles édictées par le règlement, notamment celles de son annexe I.

Appliquant ce raisonnement à un cas pratique, la Cour se prononce sur la translittération du nom du signataire, en l’espèce de l’alphabet cyrillique vers l’alphabet latin. Elle adopte une approche pragmatique et fonctionnelle. La translittération n’est pas en soi un obstacle à la qualification de la signature. L’essentiel est que la signature reste « liée au signataire de manière univoque et qu’elle permette de l’identifier ». Il appartient donc au juge national de procéder à cette vérification factuelle, assurant que, malgré la modification orthographique, le lien indéfectible entre la signature et la personne physique du signataire est préservé.

II. La sanction du défaut de signature électronique qualifiée

Après avoir défini les critères de la signature qualifiée, la Cour se penche sur les conséquences juridiques de leur violation. Elle valide le recours à la sanction de nullité par le droit national (A), tout en posant une limite fondamentale liée au principe de non-discrimination (B).

A. La compatibilité de la nullité de l’acte administratif avec le droit de l’Union

La première question posée à la Cour visait à savoir si le règlement eIDAS interdisait à un État membre de prévoir la nullité d’un acte administratif signé au moyen d’une signature électronique non qualifiée. La Cour répond par la négative. Elle estime que l’article 25, paragraphe 1, du règlement « ne s’oppose pas à ce qu’un acte administratif établi sous la forme d’un document électronique soit déclaré nul » dans une telle situation. Cette solution relève de la logique du principe de l’autonomie procédurale des États membres.

Le règlement eIDAS a pour objet d’harmoniser les conditions de fiabilité des signatures électroniques, mais il ne régit pas les conséquences de la méconnaissance de ces règles dans les procédures administratives nationales. Il revient donc à chaque ordre juridique interne de déterminer les sanctions applicables, y compris une sanction aussi radicale que la nullité de l’acte. La Cour reconnaît ainsi la compétence des États membres pour garantir l’effectivité des normes européennes par les moyens de leur choix, pourvu que ceux-ci respectent les principes généraux du droit de l’Union.

B. Le principe de non-discrimination comme garde-fou à la sanction de la nullité

Toutefois, la Cour assortit immédiatement cette permission d’une réserve cruciale. La nullité de l’acte est possible, « à condition que la nullité de cet acte ne soit pas constatée au seul motif que la signature de celui-ci se présente sous une forme électronique ». Cette condition incarne le principe de non-discrimination, ou d’équivalence fonctionnelle, qui est au cœur du règlement eIDAS. Ce principe interdit de traiter les documents électroniques de manière plus défavorable que leurs équivalents papier.

En d’autres termes, un État membre ne peut imposer pour un acte électronique des exigences de forme dont la sanction serait plus sévère que pour un vice de forme équivalent affectant un acte sur support papier. Sanctionner de nullité un acte pour un défaut de signature électronique, alors qu’un défaut de signature manuscrite sur un document papier n’entraînerait qu’une irrégularité régularisable, constituerait une discrimination illégale. Cette limite est essentielle, car elle empêche que les exigences techniques de la dématérialisation ne deviennent des obstacles dissuasifs à l’utilisation des transactions électroniques, ce qui irait à l’encontre de l’objectif même du règlement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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