Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel d’une juridiction espagnole, la Cour de justice de l’Union européenne précise l’étendue des droits des créanciers face aux retards de paiement des pouvoirs publics, en application de la directive 2011/7/UE. En l’espèce, une société de recouvrement, ayant acquis les créances de plusieurs fournisseurs auprès d’entités publiques de santé, réclamait le paiement des factures impayées. Outre le principal et les intérêts de retard, elle sollicitait une indemnité forfaitaire de quarante euros pour chaque facture individuelle, conformément à la législation nationale transposant la directive. Le litige a conduit la juridiction de renvoi à interroger la Cour sur trois points essentiels du droit de l’Union. Il s’agissait de déterminer si l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement s’applique à chaque facture impayée, même en cas de réclamation groupée. La juridiction cherchait également à savoir si une réglementation nationale pouvait fixer un délai de paiement général de soixante jours pour les pouvoirs publics. Enfin, elle s’interrogeait sur la nécessité d’inclure la taxe sur la valeur ajoutée dans l’assiette de calcul des intérêts de retard. La Cour de justice a répondu que l’indemnité forfaitaire est due pour chaque facture, qu’un délai de paiement systématique de soixante jours est contraire à la directive, et que la taxe sur la valeur ajoutée doit être incluse dans le calcul des intérêts, indépendamment de son versement à l’administration fiscale. La décision de la Cour réaffirme ainsi avec force le cadre temporel strict imposé aux débiteurs publics (I), avant de consacrer une approche protectrice des droits financiers du créancier (II).
I. Le cadre strict du déclenchement des sanctions pour retard de paiement
La Cour de justice rappelle que les délais de paiement applicables aux pouvoirs publics sont strictement encadrés par la directive, consacrant un délai de principe relativement court (A) et limitant drastiquement les possibilités de dérogation (B).
A. La primauté du délai de paiement de trente jours
L’analyse de la Cour confirme que le régime institué par la directive 2011/7 repose sur un principe de célérité destiné à protéger la trésorerie des entreprises. Le délai de paiement de principe, applicable aux transactions commerciales avec un pouvoir public, est fixé à trente jours civils. Ce délai court à compter de divers événements, notamment la réception de la facture ou la fin d’une procédure de vérification de la conformité des biens ou services. La Cour souligne ainsi la règle édictée à l’article 4, paragraphe 3, de la directive, qui établit cette durée comme la norme impérative. Cette règle vise, comme le rappelle la jurisprudence antérieure et les considérants de la directive, à corriger un déséquilibre économique fondamental. Les pouvoirs publics, bénéficiant de flux financiers plus stables et de conditions d’emprunt plus favorables, ne sauraient imposer des contraintes de liquidité excessives à leurs cocontractants privés. En systématisant un délai bref, le législateur européen a entendu faire des paiements publics un facteur de stabilité et non de précarité pour les entreprises.
Si ce principe est clairement établi, la Cour en précise également le caractère impératif en encadrant strictement les possibilités de dérogation.
B. Le caractère exceptionnel de l’allongement du délai de paiement
La Cour de justice censure la possibilité pour un État membre d’instaurer une réglementation nationale fixant un délai de paiement généralisé de soixante jours pour les pouvoirs publics. Elle juge qu’une telle pratique est contraire à l’article 4 de la directive. En effet, la Cour estime qu’un allongement du délai au-delà de trente jours ne peut avoir qu’un caractère exceptionnel. La directive prévoit des cas limitatifs, comme la nature particulière du contrat justifiant objectivement un délai plus long, ou les activités spécifiques de certaines entités publiques. Cependant, une telle prolongation « doit être expressément stipulée par contrat » et ne peut en aucun cas excéder soixante jours civils. En l’espèce, la législation nationale espagnole transformait l’exception en règle, en combinant systématiquement un délai de vérification de trente jours et un délai de paiement de trente jours. La Cour juge qu’une telle approche « s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit, de manière générale, pour toutes les transactions commerciales entre entreprises et pouvoirs publics, un délai de paiement d’une durée maximale de 60 jours civils ». Ce faisant, elle prive la directive de son effet utile en institutionnalisant un délai long qui devrait demeurer une exception dûment justifiée au cas par cas. La portée de cette clarification est considérable, car elle interdit aux États membres de vider de leur substance les protections accordées aux créanciers par des transpositions laxistes.
Cette interprétation rigoureuse des conditions temporelles du paiement se prolonge dans une conception extensive des sanctions financières qui en découlent.
II. La conception extensive de l’indemnisation financière du créancier
La Cour de justice adopte une lecture de la directive particulièrement favorable au créancier, tant en ce qui concerne l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement (A) que pour la détermination de l’assiette des intérêts de retard (B).
A. L’application distributive de l’indemnité forfaitaire de recouvrement
La première question préjudicielle portait sur le calcul de l’indemnité forfaitaire de quarante euros prévue à l’article 6 de la directive. La Cour y répond sans ambiguïté : cette indemnité est due pour chaque transaction commerciale individuelle n’ayant pas été payée à l’échéance. Le fait que plusieurs factures impayées soient regroupées au sein d’une unique réclamation administrative ou judiciaire est sans incidence. La Cour établit un lien direct entre le « retard de paiement » et la transaction, matérialisée par une facture. Elle précise ainsi que « le montant forfaitaire minimal de 40 euros […] est dû pour chaque transaction commerciale non rémunérée à l’échéance, attestée dans une facture ». Cette solution repose sur la finalité même du dispositif, qui vise à la fois à décourager les retards de paiement et à compenser le créancier pour les coûts administratifs internes liés au suivi de chaque créance impayée. Une solution contraire aurait incité les débiteurs à multiplier les petits retards de paiement, sachant qu’ils ne seraient redevables que d’une seule indemnité forfaitaire en cas de réclamation groupée. La Cour écarte l’argument d’une indemnisation excessive, en distinguant clairement le montant forfaitaire, dû automatiquement, de l’indemnisation complémentaire pour les autres frais de recouvrement, qui doit, elle, rester raisonnable.
Cette même logique protectrice du créancier se retrouve dans la définition de l’assiette servant au calcul des pénalités.
B. L’assiette large du calcul des intérêts de retard
La dernière clarification apportée par l’arrêt concerne la composition du « montant dû » servant de base au calcul des intérêts de retard. La Cour juge que ce montant doit inclure la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) mentionnée sur la facture. Elle se fonde sur une interprétation littérale de l’article 2, point 8, de la directive, qui définit le montant dû comme « le montant principal, qui aurait dû être payé dans le délai de paiement contractuel ou légal, y compris les taxes, droits, redevances ou charges applicables figurant sur la facture ». La Cour précise que cette inclusion est inconditionnelle et « est indépendante du point de savoir si, à la date à laquelle le retard de paiement se produit, l’assujetti a déjà versé ce montant au Trésor public ». Cette interprétation est logique, car le retard de paiement du débiteur perturbe la trésorerie du créancier pour la totalité de la somme facturée, TVA comprise. Le créancier peut être tenu de verser la TVA à l’administration fiscale avant même d’avoir perçu le paiement de son client. Exclure la TVA de l’assiette des intérêts reviendrait à faire supporter au créancier, sans compensation, le coût financier lié au préfinancement de cette taxe pour le compte d’un débiteur défaillant. La solution retenue est donc cohérente avec l’objectif de la directive, qui est d’assurer une réparation aussi complète que possible du préjudice subi par le créancier du fait du retard.