La Cour de justice de l’Union européenne, en sa formation de grande chambre, a rendu le 20 septembre 2016 un arrêt de rejet essentiel. Cette décision précise la nature juridique des déclarations de l’Eurogroupe ainsi que les conditions de leur contestation devant le juge de l’Union. Le litige s’inscrit dans le contexte de la crise financière ayant frappé un État membre de la zone euro au cours de l’année 2012. À la suite d’une demande d’assistance, l’Eurogroupe a publié une déclaration relative à la restructuration du secteur bancaire, prévoyant notamment la conversion de dépôts.
Plusieurs déposants ont introduit des recours en annulation contre cette déclaration devant le Tribunal de l’Union européenne en visant la Commission et la Banque centrale européenne. Par des ordonnances du 16 octobre 2014, le Tribunal a rejeté ces demandes comme irrecevables en raison de la nature de l’acte attaqué. Les requérants ont alors formé un pourvoi devant la Cour de justice en invoquant des erreurs de droit concernant l’imputabilité de la déclaration. La problématique juridique repose sur la possibilité de qualifier une déclaration de l’Eurogroupe d’acte attaquable au sens de l’article 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
La Cour confirme la solution du Tribunal en soulignant l’absence de pouvoir décisionnel propre de l’Eurogroupe et des institutions agissant dans le cadre du mécanisme de stabilité. Le juge communautaire écarte ainsi toute possibilité d’annulation d’une telle déclaration en raison de son caractère purement informel et dépourvu d’effets juridiques obligatoires.
**I. La non-imputabilité de la déclaration de l’Eurogroupe aux institutions de l’Union**
**A. La nature informelle de l’Eurogroupe comme simple forum de discussion**
La Cour rappelle que l’Eurogroupe est une entité dont le fonctionnement est régi par le protocole numéro quatorze annexé au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Selon ce texte, les ministres concernés « se réunissent entre eux de façon informelle pour discuter de questions liées aux responsabilités spécifiques qu’ils partagent ». Cette définition interdit de considérer ce groupement comme un organe décisionnel capable de lier juridiquement les tiers ou de contraindre les États membres. Le juge souligne ainsi que la participation de la Commission et de la Banque centrale européenne ne modifie pas la nature intrinsèque de ces réunions ministérielles.
L’arrêt précise qu’aucun élément ne permet d’affirmer que l’Eurogroupe agirait sous le contrôle de la Commission ou de la Banque centrale en qualité de mandataire. En conséquence, les déclarations adoptées lors de ces sessions informelles ne peuvent être juridiquement imputées aux institutions précitées dans le cadre d’un recours. Cette interprétation stricte protège l’autonomie de l’instance politique tout en limitant la responsabilité des organes de l’Union pour des actes pris en dehors de leurs compétences.
**B. Le rôle restreint des institutions au sein du mécanisme européen de stabilité**
Les missions confiées à la Commission et à la Banque centrale européenne par le traité instituant le mécanisme européen de stabilité sont strictement encadrées par le droit. La Cour de justice affirme que « les fonctions confiées à la Commission et à la bce dans le cadre du traité mes ne comportent l’exercice d’aucun pouvoir décisionnel propre ». Ces interventions techniques consistent essentiellement à évaluer les besoins de financement, à négocier des protocoles d’accord ou à veiller au respect de la conditionnalité. Elles ne sauraient donc engager ces institutions en tant qu’auteurs d’une décision de restructuration bancaire imposée souverainement par l’État bénéficiaire de l’aide.
Le raisonnement de la juridiction s’appuie sur la distinction entre les tâches exécutives de mise en œuvre et le pouvoir de décision finale appartenant au conseil des gouverneurs. Puisque les activités exercées par ces deux institutions dans ce cadre n’engagent que le mécanisme de stabilité, l’imputabilité à l’Union est logiquement écartée. Cette position jurisprudentielle assure une cohérence avec les solutions antérieures relatives à la répartition des compétences entre les structures intergouvernementales et le cadre institutionnel communautaire.
**II. L’absence d’acte attaquable au sens du recours en annulation**
**A. Le caractère purement informatif et politique de la déclaration litigieuse**
Le recours en annulation exige la présence d’un acte produisant des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant sa situation. Or, la Cour de justice considère que la déclaration de l’Eurogroupe du 25 mars 2013 présente une « nature purement informative » pour le public et les marchés. Elle vise seulement à annoncer l’existence d’un accord politique entre les ministres des finances et les autorités nationales de l’État membre concerné par la crise. Une telle annonce ne crée aucune obligation légale immédiate à la charge de l’État de mettre en œuvre les mesures de restructuration mentionnées.
L’arrêt démontre que la modification de la situation juridique des déposants résulte uniquement de l’adoption de lois et de décrets par les autorités nationales compétentes. Le juge européen relève que la déclaration litigieuse ne comporte aucun élément traduisant une volonté de créer une obligation juridique contraignante pour les tiers. En l’absence de force obligatoire, l’acte échappe nécessairement au contrôle de légalité prévu par les traités pour les décisions unilatérales des institutions européennes.
**B. L’exclusion de l’Eurogroupe du champ des organes soumis au contrôle juridictionnel**
La liste des entités dont les actes peuvent être annulés est limitativement énumérée à l’article 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’Eurogroupe ne figure pas parmi les différentes formations du Conseil de l’Union européenne, lesquelles sont précisément listées dans le règlement intérieur de cette institution. La Cour conclut que « l’Eurogroupe ne peut ni être assimilé à une formation du Conseil ni être qualifié d’organe ou d’organisme de l’Union ». Cette qualification rigoureuse confirme l’impossibilité de diriger un recours en annulation contre une entité qui demeure structurellement informelle et diplomatique.
Cette solution préserve la souplesse des mécanismes de coordination politique au sein de la zone euro tout en rappelant les limites du contrôle du juge. En refusant d’assimiler l’Eurogroupe à une institution de l’Union, la Cour maintient une séparation nette entre les enceintes de discussion et les autorités décisionnelles. Les requérants ne peuvent donc obtenir l’annulation d’un acte qui n’émane pas d’un organisme juridiquement identifié comme une composante du pouvoir législatif ou exécutif européen.